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» Surge in vermena, ed in pianta silvestra : l’Arpie, pascendo poi delle sue foglie, fanno dolore, ed al dolor finestra.

Les traits habituellement pâles du docteur s’empourprent quand il recrée pour le Studiolo les râles étouffés du torturé. Sur l’écran, l’image de Della Vigna et celle de Judas éventré se succèdent en alternance.

Come l’altre verrem per nostre spoglie, ma non però ch’alcuna sen rivesta : chè non è giusto aver ciò ch’uom si toglie.
» Qui le strascineremo, e per la mesta selva saranno i nostri corpi appesi, ciascuno al prun de l’ombra sua molesta.

» Ainsi, Dante donne un écho sonore à la mort de Judas dans celle de Pietro Della Vigna, tous deux punis des mêmes crimes de cupidité et de trahison.

» Ahithophel, Judas, votre Pietro Della Vigna… Cupidité, pendaison, autodestruction, l’appât du gain aussi destructeur que le nœud coulant. Et que dit le suicidé florentin anonyme pleurant des larmes de sang sur son sort à la fin du canto?

» Io fei giubbetto a me delle mie case. » Je me fis un gibet de ma propre demeure…

» Une prochaine fois, vous aimerez peut-être évoquer le fils de Dante, Pietro. Très étonnamment, il est le seul auteur ancien à avoir établi le lien entre Pietro Della Vigna et Judas à propos du Chant XIII de L’Infemo. Je pense qu’il serait aussi intéressant d’explorer le thème de la morsure dans l’œuvre dantesque. Ainsi du comte Ugolin enfonçant ses dents dans la tête de l’archevêque, « là où le cerveau se relie à la nuque », et du Satan aux trois gueules broyant dans chaque paire de mâchoires Judas, Brutus et Cassius, tous traîtres, à l’instar de Pietro Della Vigna.

» Je vous remercie de votre bienveillante attention.

Les érudits l’applaudirent avec enthousiasme de leurs paumes molles et parcheminées. Le docteur Lecter ne ralluma pas les lustres pour prendre congé d’eux un par un. Des livres empilés dans ses bras le dispensaient de leur serrer la main. En quittant la douce pénombre de la salle des Lys, ils semblaient encore envoûtés par cette évocation infernale.

Puis Lecter et Pazzi, restés seuls dans la grande salle, les entendirent rivaliser de commentaires dès qu’ils furent dans les escaliers.

— Diriez-vous que j’ai sauvé ma place, commendatore ?

— Je ne suis pas un spécialiste, docteur Fell, mais il est clair qu’ils ont été impressionnés. Si vous n’y voyez pas d’inconvénient, docteur, j’aimerais vous raccompagner chez vous et prendre les affaires de votre prédécesseur.

— Il y en a deux valises pleines, commendatore, et je vois que vous avez déjà une mallette. Vous allez donc tout porter ?

— Je vais demander qu’on m’envoie une voiture au palais Capponi.

L’inspecteur était prêt à insister s’il en était besoin.

— Parfait. Laissez-moi juste une minute, que je range un peu.

Pazzi approuva d’un signe de tête et s’écarta vers les fenêtres en sortant son téléphone cellulaire. Le docteur, qu’il ne quittait pas des yeux, paraissait d’une sérénité absolue. Le bruit des outils électriques au travail leur parvenait des étages inférieurs.

Il composa un numéro et, quand il eut Carlo Deogracias en ligne, il parla d’une voix distincte :

— Bonsoir, Laura. Je serai à la maison d’ici peu, amore.

Lecter avait remis les volumes encore sur le pupitre dans sa sacoche. Puis il se tourna vers le projecteur dont la ventilation était toujours en marche, des grains de poussière restaient en suspension dans le faisceau de l’objectif.

— Ah, mais j’aurais dû leur montrer aussi celle-là ! Je n’arrive pas à comprendre comment j’ai pu oublier.

Il glissa dans l’appareil la diapositive d’un dessin qui représentait un homme dénudé, suspendu à la corniche du palais.

— Celle-ci va vous intéresser, j’en suis sûr. Voyons si je peux obtenir une image plus nette.

Après avoir tenté quelques réglages, il s’approcha de la housse de protection. Sur le mur, sa silhouette obscure était de la même taille que le pendu.

— Vous arrivez à distinguer ? C’est l’agrandissement maximum. Tenez, c’est ici que l’archevêque l’a mordu. Et là, en dessous, il y a son nom.

Sans s’approcher du docteur, l’inspecteur alla vers l’écran. Il sentit une odeur chimique qu’il attribua sans plus y penser à quelque produit utilisé par les restaurateurs d’œuvres d’art.

— Vous arrivez à déchiffrer? Là, « Pazzi », au milieu d’un poème satirique très cru. C’est votre ancêtre, Francesco, pendu haut et court sur la façade du palazzo Vecchio, sous ces mêmes fenêtres.

A travers le pinceau de lumière qui passait entre eux, il soutint le regard du policier.

— Pour en venir à un sujet connexe, signore Pazzi, je dois vous avouer ceci : j’envisage sérieusement de manger votre femme.

Le docteur Lecter fait tomber la lourde housse sur Pazzi. Prisonnier du tissu, ce dernier essaie de dégager sa tête, son cœur s’affole dans sa poitrine et Lecter est déjà derrière lui, l’attrape par le cou avec une force effrayante et plaque une éponge imbibée d’éther sur le drap couvrant son visage.

Rinaldo Pazzi se débat avec vigueur, mais ses bras et ses jambes sont gênés, il trébuche dans la housse et pourtant il arrive à saisir son Beretta pendant qu’ils s’affalent par terre tous les deux, il essaie de viser derrière lui malgré la toile qui l’étouffe et l’aveugle, il appuie sur la détente et la balle transperce sa cuisse tandis qu’il bascule dans un abîme en spirale…

Amortie par la housse, la détonation du petit calibre a été à peine plus audible que les coups de marteau et les départs de meuleuse aux étages en dessous. Personne ne monte les escaliers. Posément, le docteur Lecter referme les portes de la salle des Lys et pousse le verrou intérieur.

Nauséeux, suffoquant, Pazzi reprit conscience avec le goût âcre de l’éther dans la gorge et un poids sur les poumons.

Simultanément, il découvrit qu’il se trouvait toujours dans la salle des Lys et qu’il était incapable de bouger. Emballé dans la housse comme une momie, il était attaché par une corde au pesant chariot sur lequel les ouvriers avaient apporté le pupitre. Un ruban adhésif lui fermait les lèvres, un autre maintenait une compresse sur la blessure qu’il s’était lui-même infligée à la jambe.

Adossé au pupitre, le docteur Lecter songeait en le contemplant qu’il avait été lui aussi attaché pareillement sur un chariot lorsqu’ils le déplaçaient à travers l’hôpital des aliénés.

— Signore Pazzi ? Vous m’entendez ? Respirez bien à fond pendant que vous le pouvez encore et reprenez un peu vos esprits.

Ses mains s’activaient pendant qu’il parlait. Il était penché sur l’épais cordon électrique d’une lourde ponceuse à parquet qu’il avait poussée dans la salle. Bientôt, un nœud coulant fut prêt à l’extrémité du fil orange, côté prise ; le caoutchouc entourant le fil électrique émettait un petit sifflement pendant qu’il exécutait les treize tours, comme le veut la tradition. Il tira dessus pour le serrer et posa son œuvre sur le pupitre. La prise dépassait en haut du nœud.

Le revolver de Pazzi, ses liens de sûreté en plastique ainsi que le contenu de ses poches et de sa mallette attendaient à côté. Le docteur Lecter inspecta les papiers, glissa sous sa chemise le dossier des Carabinieri qui renfermait ses permis de séjour et de travail, les tirages et les négatifs où son nouveau visage apparaissait.