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Et là, il y avait la partition qu’il avait prêtée à la signora Pazzi… Il s’en saisit, la tapota pensivement contre ses dents. Les narines palpitantes, il inhala avec délices, puis se pencha, son visage tout près de celui de l’inspecteur.

— Laura, si je puis me permettre de l’appeler par son petit nom… Laura semble utiliser une merveilleuse crème de nuit pour les mains. Onctueuse, non ? Froide d’abord, mais ensuite bien chaude sur ses paumes. Parfumée à l’eau de fleur d’oranger. Laura l’orange… Mmmm. Je n’ai pas eu le temps d’avaler quoi que ce soit, aujourd’hui. Tenez, le foie et les reins, là, tout de suite, ce soir : un délicieux souper. Mais le reste de la viande devra être mis à faisander une bonne semaine, si ce temps frais persiste. Je n’ai pas vu les prévisions météo, vous si ? Dois-je comprendre que c’est « non »?

» Si vous me dites ce que j’ai besoin de savoir, commendatore, je me contenterai de partir sans savourer mon repas. La signora Pazzi sera épargnée, en d’autres termes. Je vais vous poser les questions et nous verrons bien. Vous pouvez me faire confiance, savez-vous ? Même si j’imagine que vous n’avez pas la confiance facile, à force de vous connaître vous-même…

» C’est au concert que j’ai compris que vous m’aviez identifié, commendatore. Quand je me suis penché sur la main de votre épouse, avez-vous trempé votre pantalon ? Et comme la police ne venait pas m’arrêter, j’ai conclu sans difficulté que vous m’aviez vendu. Est-ce avec Mason Verger que vous m’avez négocié ? Clignez les paupières deux fois pour « oui ».

» Ah, merci. C’est bien ce que je pensais. J’ai appelé le numéro qu’ils donnent sur son inévitable affiche, une fois, loin d’ici, juste pour l’amusement. Est-ce que ses hommes m’attendent dehors ? Je vois, je vois. Et l’un d’eux sent la saucisse de sanglier avariée, non ? Bien. Avez-vous parlé de moi à quiconque, à la Questura ? Vous n’avez cligné qu’une fois, c’est exact? Je m’en doutais. Bon, maintenant, je veux que vous réfléchissiez un instant et que vous me communiquiez votre code d’accès au VICAP de Quantico. — Il ouvrit son couteau Harpie. — Je vais vous retirer votre bâillon pour que vous puissiez me le dire… Mais attention, n’essayez pas de crier. Vous pensez que vous pouvez vous abstenir d’appeler à l’aide ?

Sa gorge irritée par l’éther lui donnait une voix rauque :

— Je jure devant Dieu que je ne le connais pas par cœur. Je… je n’arrive pas à m’en souvenir en entier. Vous pouvez aller à ma voiture, il y a des papiers et…

Le docteur Lecter fit pivoter le chariot pour placer Pazzi en face de l’écran, sur lequel l’image de Pietro Della Vigna et celle du Judas éventré se succédèrent à un rythme hypnotique.

— Qu’en pensez-vous, commendatore ? Avec les entrailles sorties ou non ?

— Le code est dans mon agenda.

Il le feuilleta devant la figure de Pazzi jusqu’à ce qu’il le trouve, dissimulé au milieu de numéros de téléphone.

— Et on peut se connecter de n’importe où, en tant que visiteur ?

— Oui, croassa l’inspecteur.

— Merci, commendatore.

D’un coup sec, il tourna le chariot et le poussa devant les portes-fenêtres.

— Écoutez, écoutez-moi ! J’ai de l’argent, plein d’argent! Il vous en faudra pour vous enfuir. Mason Verger ne renoncera jamais, jamais! Vous ne pouvez pas passer chez vous prendre de l’argent, ils surveillent le palais.

Le docteur Lecter prit deux planches sur un échafaudage et les posa sur le rebord d’une porte-fenêtre pour faire passer le chariot roulant sur le balcon.

La brise était froide sur le visage de Pazzi. Il parlait de plus en plus vite :

— Vous ne sortirez jamais vivant d’ici ! J’ai de l’argent, je vous dis ! Cent soixante millions de lires en liquide ! Ou en dollars, cent mille dollars! Laissez-moi téléphoner à ma femme. Je lui demanderai de prendre l’argent et de le mettre dans ma voiture. Elle la laissera juste devant le palais.

Lecter alla prendre le nœud coulant et l’apporta dehors. Le gros fil orange traînait derrière lui, enroulé plusieurs fois autour de la lourde ponceuse à l’autre bout. Pazzi poursuivait son monologue

— Elle m’appellera sur mon portable dès que l’auto sera en place comme convenu. J’ai le permis de circuler sur le pare-brise, elle pourra traverser la place jusqu’ici. Elle fera tout ce que je lui dirai ! Hé, elle fume, ma voiture ! Vous n’aurez qu’à vous pencher pour voir que le moteur tourne. Les clés seront dessus, promis!

Le docteur bascula Pazzi contre la balustrade du balcon. Elle lui arrivait à la hauteur des cuisses.

En bas, malgré les spots qui l’aveuglaient, il apercevait l’endroit où Savonarole avait été brûlé, l’endroit où lui-même s’était juré de vendre Lecter à Mason Verger. Il leva les yeux vers les nuages bas que les projecteurs coloraient d’orange et il espéra, il espéra que Dieu puisse tout de même le voir.

Mais son regard repartit dans l’atroce direction, c’était plus fort que lui, il fixait le gouffre, il fixait la mort en espérant contre toute logique que les faisceaux des spots donnent une certaine densité à l’air, qu’ils le retiennent d’une manière ou d’une autre, qu’il puisse s’accrocher aux rayons de lumière.

Il sentit le caoutchouc froid autour de son cou, le docteur Lecter debout près de lui, si près.

— Arrivederci, commendatore.

Un éclair de Harpie remonta devant lui, un autre coup de lame trancha les liens qui le retenaient au chariot, et il fut projeté par-dessus bord, le cordon orange filant derrière lui, le sol arrivant en trombe, la bouche libre de hurler, et dans la salle des Lys la ponceuse propulsée en avant, précipitée sur le balcon et venant s’arrêter brutalement contre la balustrade, Pazzi tiré soudain vers le haut, stoppé dans sa chute, son cou brisé et ses intestins jaillissant au-dehors.

Pazzi et son appendice de boyaux se balancent et virevoltent contre le mur râpeux du palais illuminé, il est secoué de spasmes posthumes mais il n’a pas eu le temps d’étouffer, il est mort et les projecteurs plaquent son ombre démesurée sur la façade, il oscille, devant lui ses entrailles font un mouvement de balancier plus rapide, plus court, et sa virilité pointe hors de son pantalon déchiré dans une érection de pendu.

Carlo se précipite du porche où il était caché et déboule à travers la place, Matteo derrière lui, bousculant et renversant les touristes, dont deux ont déjà leur caméra vidéo braquée sur la façade du palais.

— C’est rien que du spectacle, entend-il quelqu’un assurer en anglais dans sa course.

— Tu te charges de l’autre porte, Matteo ! S’il sort, tu le tues et tu le découpes.

Tout en courant, il s’escrime à sortir son portable de sa poche.

Il est à l’intérieur, maintenant. Les escaliers quatre à quatre, premier étage, deuxième.

Les battants du grand salon sont entrebâillés. Carlo met en joue la silhouette projetée sur le mur, comprend sa méprise, se jette sur le balcon, inspecte l’ancien bureau de Machiavel, tout cela en quelques secondes.

Il a en ligne Piero et Tommaso qui attendent toujours dans la fourgonnette en face du musée.

— Foncez chez lui, surveillez tous les accès. Butez-le et découpez-le.

Il compose en hâte un autre numéro.

— Matteo ?

Le portable de son frère a sonné dans la poche intérieure de sa veste alors qu’il se tient hors d’haleine devant l’autre sortie du palais, cadenassée. Il a déjà inspecté du regard les toits et les fenêtres obscures, vérifié la serrure du portail, une de ses mains posée sur le revolver passé dans sa ceinture.