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— ’Jour.

Au lieu de serrer la main que lui tendait Krendler, cependant, elle prit deux noix dans le bol qui était posé sur la table et les serra dans son poing jusqu’à ce que les coquilles cèdent avec un craquement sec. Puis elle reprit sa place dans le clair-obscur devant l’aquarium et se mit probablement à manger les noix. Krendler entendit les débris tomber sur le sol.

— Ooookay, fit Mason Verger. On vous écoute.

— Pour éjecter Lowenstein de la vingt-septième circonscription, dix millions de dollars sont un minimum, d’après moi. — Krendler croisa les jambes, les yeux fixés quelque part dans le noir sans savoir si son interlocuteur pouvait le voir, lui. — J’ai besoin de cette somme rien que pour les médias. Mais je vous garantis qu’il a son point faible, et comment ! Je suis bien placé pour le savoir.

— Et c’est quoi ?

— Disons simplement que sa conduite n’est…

— C’est quoi ? Le fric ou le cul ?

Krendler ne se sentait pas à l’aise de prononcer un mot pareil en présence de Margot, même si son frère, apparemment, trouvait cela très normal.

— Euh, c’est qu’il est marié et qu’il entretient depuis longtemps une relation avec un juge de la cour d’appel de son État. Qui a prononcé plusieurs verdicts favorables à certains de ses sponsors. Simple coïncidence, probablement, mais si les télés décident de le coincer là-dessus, il ne me faudra rien de plus.

— Ce juge, c’est une femme ? interrogea Margot.

Krendler fit oui de la tête puis, se rappelant que Mason ne le voyait peut-être pas, il répondit :

— Une femme, oui.

— Dommage! Ç’aurait été encore mieux s’il avait été une « tante »… Pas vrai, Margot? En tout cas, vous ne pouvez pas balancer la merde vous-même. Il est exclu que ça vienne de vous.

— On a concocté un plan qui permet aux électeurs de…

— Vous ne pouvez pas balancer la merde vous-même, répéta Verger.

— Je peux juste me débrouiller pour que l’inspection judiciaire s’intéresse à lui. Une fois que ça atteindra Lowenstein, ça lui restera collé dessus. Vous voulez dire que vous êtes prêt à m’aider?

— Avec la moitié, c’est possible.

— Cinq ?

— N’expédions pas une somme pareille avec ce « cinq » désinvolte. Disons plutôt, avec tout le respect que ça mérite, cinq… millions… de dollars. Le Seigneur m’a béni avec cet argent et avec cet argent j’accomplirai Sa volonté. Vous ne palperez que si Hannibal Lecter me tombe entre les mains, clair et net.

Il attendit le temps de quelques bouffées artificielles.

— Si c’est le cas, vous deviendrez Monsieur le député Krendler de la vingt-septième circonscription électorale du Congrès, net et clair. Et je ne vous demanderai jamais rien de plus que de vous opposer à leur législation pleurnicharde sur l’abattage des animaux. Mais, si le FBI repère Lecter, si les flics l’attrapent et s’il s’en tire avec la mort par injection, vous pouvez m’oublier tout de suite.

— Je ne peux rien faire s’il se fait inculper au niveau local. Ou en admettant que la bande de Crawford ait un peu plus de chance et le coince, c’est au-delà de mon influence, ça.

— Dans combien d’États qui appliquent la peine de mort le docteur Lecter pourrait-il être inculpé ?

La voix de Margot était pointue et cependant aussi grave que celle de son frère, avec toutes les hormones qu’elle avait prises pendant des années.

— Trois. La peine capitale pour homicides multiples, à chaque fois.

— S’il est arrêté, je veux qu’il soit jugé au niveau d’un État, prononça Mason. Pas d’histoires de kidnapping, ni de violation des droits civiques, ni de polémiques entre juridictions, rien du tintouin habituel. Je veux qu’il s’en sorte avec la perpétuité dans une prison d’État, pas dans un QHS fédéral.

— Je dois vous demander pourquoi ?

— Non, à moins que vous ne vouliez que je vous le dise. Ça ne tombe pas sous le coup de la loi sur l’abattage sans douleur, ça!

Après un bref gloussement, Mason se tut. Épuisé d’avoir tant parlé, il adressa un signe de tête à Margot qui s’avança dans la lumière, un porte-notes à la main, les yeux braqués sur le papier qu’elle avait devant elle.

— Nous voulons tout ce que vous obtiendrez dans cette affaire, et nous voulons voir ces informations avant qu’elles ne soient transmises à la division Science du comportement. Nous voulons voir tous les rapports qu’ils produisent, eux, ainsi que les codes d’accès au VICAP et au Centre d’information nationale sur la criminalité.

— Vous devrez téléphoner d’une cabine publique à chaque fois que vous accéderez au VICAP, remarqua Krendler en continuant à s’adresser aux ténèbres, comme si cette femme à la carrure d’athlète était transparente. Comment est-ce possible, pour vous ?

— C’est possible pour moi, intervint Margot.

— Elle le peut, oui, chuchota la créature dans le noir. Elle écrit des programmes d’exercices pour les machines de salles de gym informatisées. C’est son petit business à elle, qui lui permet de ne pas vivre aux crochets de son « frère chéri »…

— Le FBI a un système Intranet, en partie codé. Il faudra vous connecter par un serveur hôte, je vous préciserai lequel, et télécharger sur un portable préprogrammé au département de la justice. Si le VICAP vous balance un cookie à votre insu et vous repère avec, ils penseront que c’est normal. Conclusion, achetez-vous un bon portable avec un modem ultra-rapide, en cash, dans une grande surface, et sans renvoyer la garantie, bien entendu. Prenez un lecteur zip, également. N’allez pas sur Internet avec cet appareil. Je vous le prendrai un soir jusqu’au lendemain pour la programmation, et quand vous aurez fini il faudra que vous me le donniez. Je vous recontacte. Bon, voilà, on a tout vu.

— Non, mon cher, on n’a pas vraiment « tout » vu. Lecter n’est pas forcé de réapparaître. Il a assez d’argent pour rester caché toute sa vie.

— Comment il a fait? s’étonna Margot.

— Il avait des gens très riches dans sa clientèle, quand il exerçait la psychiatrie, lui expliqua Krendler. Il les a persuadés de le couvrir d’espèces ou d’actions et il a tellement bien caché tout ça que les impôts n’ont jamais pu retrouver quoi que ce soit. On a exhumé le corps de quelques-uns de ses mécènes, pour voir s’il les avait tués. Rien de probant. Pas de traces d’empoisonnement, rien.

— Donc il ne va pas se faire coincer en dévalisant une banque, résuma Mason. Il a du cash à foison. Ce qu’il faut, c’est l’attirer hors de sa cachette. Réfléchissez aux moyens possibles.

— Il va découvrir qui a essayé de l’avoir à Florence, remarqua Krendler.

— Évidemment.

— Conclusion : il va vouloir se venger de vous.

— Je ne sais pas. Il m’aime bien comme je suis. Réfléchissez, Krendler.

Mason Verger ne parla plus. Il fredonnait tout bas un air, sans prendre congé de son visiteur, lorsque celui-ci s’en alla. C’était une de ses habitudes, chantonner des hymnes religieuses pendant qu’il concevait un plan.

« Tu te crois déjà riche, Krendler, tu es ferré, mais on en reparlera quand tu te seras compromis en déposant une grosse somme à la banque. Quand tu m’appartiendras. »

45

C’est maintenant une réunion de famille dans la chambre de Mason Verger. Frère et sœur en tête à tête.

Lumière tamisée, musique. Rythmes d’Afrique du Nord, oud et percussions. Margot est installée sur le canapé, assise tête baissée, les coudes sur les genoux. Elle pourrait très bien être une lanceuse de marteau après l’effort ou une haltérophile marquant une pause pendant son entraînement au gymnase. Sa respiration est à peine plus rapide que le poumon artificiel de Mason.