Выбрать главу

— Science du comportement? J’essaie de joindre Jack Crawford. Ici le shérif Dumas, comté de Clarendon, Virginie.

— Je suis l’assistante de Jack Crawford, shérif. Il est au tribunal, aujourd’hui. Je suis l’agent spécial Clarice Starling, que puis je pour vous ?

— Fallait que je parle à Jack Crawford. On a un type à la morgue qui a été dépecé. Dépecé pour sa viande, quoi ! C’est bien votre service qui se charge de ce genre de trucs ?

— Oui, shérif, nous sommes spécialisés en bouch… Euh, oui, vous avez frappé à la bonne porte. Dites-moi exactement où vous vous trouvez et j’arrive à l’instant. Mr Crawford sera prévenu dès qu’il aura terminé sa déposition.

En passant le portail de Quantico, les pneus de la Mustang hurlèrent assez pour que le Marine en faction fasse les gros yeux à Starling et brandisse un doigt menaçant dans sa direction. Il réussit à ne pas sourire.

58

La morgue du comté de Clarendon, au nord de la Virginie, est reliée à l’hôpital régional par un court sas équipé d’une ventilation haute et de doubles portes rabattables à chaque extrémité afin de faciliter l’accès aux morts. Un shérif adjoint se tenait devant l’entrée du sas, faisant face aux cinq journalistes et cameramen qui se massaient autour de lui.

Derrière eux, Starling se mit sur la pointe des pieds et brandit son insigne en l’air. Le représentant de l’ordre finit par la remarquer et lui adressa un hochement de tête. Aussitôt, elle plongea à travers la barrière humaine, sentant les flashs crépiter dans son dos.

La salle d’autopsie était plongée au contraire dans un silence quasi total, seulement rompu par le tintement des instruments sur les plateaux en métal.

Il y avait quatre tables en acier inoxydable, chacune équipée de ses instruments de mesure et d’un évier. Deux d’entre elles étaient couvertes d’un drap étrangement distendu par les restes qu’il dissimulait. A celle qui se trouvait le plus près de la fenêtre, une analyse post mortem de routine sur un malade décédé à l’hôpital était menée par le médecin légiste et une interne, qui devaient être accaparés par une phase délicate car ils ne relevèrent pas la tête quand Starling entra.

La plainte aiguë d’une scie électrique emplit la salle. Un instant plus tard, le médecin retirait la calotte crânienne et prenait dans sa main le cerveau, qu’il déposa sur la balance. Après avoir chuchoté son poids dans le micro épinglé à sa blouse, il examina l’organe sur le plateau, le tâtant de son doigt ganté. Lorsqu’il s’aperçut de la présence de Starling par-dessus l’épaule de son assistante, il jeta négligemment le cerveau dans le torse ouvert du cadavre, éjecta ses gants de chirurgien dans la poubelle comme un gamin s’amusant à tirer des élastiques et contourna la table pour aller vers elle.

Serrer cette main, après ce qu’elle venait de voir, donna un petit frisson à Starling.

— Clarice Starling, agent spécial du FBI.

— Docteur Hollingsworth, chirurgien des hôpitaux, médecin légiste, chef cuisinier et picoleur patenté.

Il avait des yeux d’un bleu très clair, luisants comme des œufs durs fraîchement écalés. Sans les détourner de Starling, il s’adressa à son assistante

— Appelez le shérif aux réanimations cardiologiques, Margot. Et découvrez-moi ces tables, s’il vous plait, miss.

Starling savait d’expérience que les médecins légistes sont souvent brillants mais loufoques, enclins à la dérision permanente et à la frime. Hollingsworth suivit son regard.

— C’est ce cerveau qui vous étonne ?

Elle hocha la tête. Il écarta les bras, narquois.

— Nous ne sabotons pas le boulot, ici, agent spécial Starling. C’est un petit service que je rends au type des pompes funèbres, de ne pas remettre le cerveau dans la boîte crânienne. Pourquoi ? Parce qu’on a prévu un cercueil ouvert avec une veillée interminable pour ce monsieur et que dans ce cas il est impossible d’empêcher le cadavre de commencer à fuir sur l’oreiller. Alors on bourre le crâne avec ce qu’on a sous la main, des couches-culottes par exemple, on referme et je fais une encoche pour que la calotte s’emboîte bien. Résultat, la famille a un corps intact et tout le monde est content.

— Je comprends.

— Ah ! Eh bien, dites-moi si vous comprenez ça, aussi.

Derrière Starling, l’assistante avait enlevé les draps qui masquaient les deux tables. L’image qu’elle eut d’un coup en se retournant allait rester gravée en elle toute sa vie.

Côte à côte, sur chacune des plaques en acier inoxydable, reposaient un chevreuil et un homme. C’était la flèche jaune encore plantée dans le corps de la bête et ses cornes qui avaient tendu le drap comme des piquets de tente.

Une flèche plus courte et plus épaisse transperçait la tête de l’homme de part en part au-dessus des oreilles. Il était nu, à part la casquette de base-ball portée à l’envers et que la flèche clouait à son crâne.

A ce spectacle, un absurde accès de rire assaillit Starling, si vite réprimé qu’il sembla un petit cri étranglé. Les deux dépouilles étaient allongées de la même manière, sur le flanc et non dans la position de l’examen anatomique, ce qui permettait de constater qu’elles avaient été dépecées d’une façon presque identique, la longe et l’aloyau soigneusement levés, en même temps que les petits filets situés en bas de la colonne vertébrale.

Un pelage de chevreuil sur une table d’autopsie. Les bois coincés en dessous surélevaient la tête et la bloquaient vers l’arrière, son œil blanc écarquillé comme s’il cherchait à voir le trait qui l’avait tué. Sur le flanc, son image reflétée par l’inox, la créature paraissait encore plus animale dans la netteté maniaque de cette salle, plus éloignée de l’homme qu’aucun chevreuil ne pouvait le sembler dans la forêt.

Les yeux du mort étaient ouverts, eux aussi. Un peu de sang perlait de ses canaux lacrymaux comme des larmes rouges.

— C’est bizarre de les voir ensemble, comme ça, remarqua le docteur Hollingsworth. Leurs deux cœurs pesaient exactement le même poids.

Il dévisagea Starling, constata qu’elle tenait le choc.

— Il y a une différence chez l’homme que vous pouvez voir ici… Là, les côtes ont été séparées de la colonne pour permettre l’extraction des poumons dans le dos. Ça lui fait comme des ailes, vous ne trouvez pas ?

— L’Aigle sanglant, murmura Starling après avoir réfléchi un instant.

— Encore jamais vu une chose pareille.

— Moi non plus.

— Alors, il y a un terme spécial pour ? Comment vous avez dit ?

— L’Aigle sanglant. On a une doc à Quantico là-dessus. C’est une tradition sacrificielle des Vikings. On taille dans les côtes, on sort les poumons et on les aplatit dans le dos pour suggérer des ailes. Dans les années 30, il y avait un néo-Viking qui faisait ça au Minnesota.

— Vous devez en avoir vu, vous… Je veux dire, pas ça, précisément, mais ce genre de trucs.

— Des fois, oui.

— Moi, ça sort un peu de mon registre. Ici, on traite essentiellement des meurtres « normaux » : une balle, un coup de couteau… Mais bon, vous voulez savoir ce que je pense ?

— J’aimerais beaucoup, oui, docteur.

— Je crois que ce type, ce Donnie Barber, d’après l’identité qu’on m’a communiquée, a tué illégalement cette bête hier, c’est-à-dire la veille de l’ouverture de la chasse. Oui, je sais à quelle heure il est mort. La flèche est la même que celles qu’on a retrouvées dans son équipement. Et il s’est dépêché de la saucissonner. Je n’ai pas encore fait analyser les antigènes du sang qu’il a sur les mains, mais c’est du sang de chevreuil, sans doute possible. Il voulait prendre les filets, là, et il a commencé un travail de sagouin, cette vilaine incision que vous voyez ici. Seulement il a eu une grosse surprise, une flèche à travers la caboche en l’occurrence. Même couleur que l’autre, mais pas du même type. Tenez, elle n’a pas d’entaille au bout. Vous savez ce que c’est?