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Starling observa un instant les traits parcheminés par le vent et le soleil du vieux garde-chasse.

— Eh bien, celui-ci, on va l’appeler « John Machin », Mr Moody. Merci pour cette information sur le Service de l’Oregon, cela nous sera peut-être très utile.

Au sourire que lui adressait la jeune femme, il piqua un fard en tripotant nerveusement sa casquette dans ses mains.

Pendant qu’elle était penchée sur son sac à la recherche de quelque chose, le docteur Hollingsworth la contempla, juste pour le plaisir. En parlant avec le vieux Moody, elle s’était détendue, son visage s’était éclairé. Le grain de beauté qu’elle avait à la joue ressemblait fort à une trace de poudre brûlée. Il faillit lui poser la question, mais préféra se taire, finalement.

— Dans quoi avez-vous mis les papiers ? demanda-t-elle au shérif. Pas dans du plastique, au moins ?

— Non, dans des sacs en papier kraft. C’est encore ce qu’il y a de mieux, pas vrai ?

Il se frotta énergiquement la nuque avant de poursuivre, les yeux dans ceux de Starling :

— Écoutez, vous comprenez pourquoi j’ai appelé votre bureau, pourquoi j’ai demandé Jack Crawford. Je suis content que ce soit vous qui soyez venue, parce que je me rappelle qui vous êtes, maintenant. Sorti de cette pièce, personne ne va prononcer le mot de « cannibale », autrement les journaleux vont débouler dans cette forêt comme des éléphants dans un magasin de porcelaine. Pour l’instant, tout ce qu’ils savent, c’est qu’il y a eu un accident de chasse. A la limite, ils ont entendu dire qu’il y avait eu mutilation. Mais ils ignorent qu’on a découpé Barber comme une bête de boucherie. Les cannibales, il n’y en a pas tant que ça, hein, miss Starling ?

— Non. Pas tant que ça.

— Et c’est du travail sacrément propre, exact ?

— En effet, shérif.

— C’est peut-être parce que la presse en a tellement parlé que je dis ça, mais… Est-ce que ça ressemble à du Hannibal Lecter, d’après vous ?

Elle regarda un moment une araignée à longues pattes qui se dissimulait dans la rainure de la table d’autopsie vacante avant d’annoncer calmement :

— La sixième victime du docteur Lecter était un chasseur à l’arc, également.

— Et… il l’a mangé ?

— Pas celui-là, non. Il l’a laissé suspendu à un tableau à outils, avec toutes sortes de blessures de par le corps. Une allusion à une planche médicale du Moyen Age qui s’appelle « l’Homme blessé ». Le docteur Lecter s’intéresse beaucoup à tout ce qui est médiéval.

Le médecin légiste montra du doigt les poumons de Donnie Barber étalés sur son dos.

— Vous disiez que c’est un rituel très ancien, ça…

— Je pense, oui. Mais je ne sais pas si c’est lui qui l’a fait. Si c’est le cas, ce n’est pas du fétichisme de sa part. Ce genre de mise en scène n’est pas une constante, chez lui.

— C’est quoi, alors ?

— C’est un… caprice, annonça-t-elle sans les quitter des yeux, pour voir si le terme qu’elle avait choisi les désarçonnait. C’est un caprice, et c’est à cause de ça qu’il s’est fait prendre, la dernière fois.

59

Le laboratoire d’identification d’ADN était tout récent. Il sentait le neuf et son personnel était nettement plus jeune que Starling, constat auquel elle se résigna avec un petit pincement au cœur : il fallait s’y habituer, puisqu’elle serait très bientôt plus vieille d’un an…

La fille d’une vingtaine d’années qui signa le reçu pour les deux flèches que Starling lui apportait avait un badge au nom d’A. Benning sur sa blouse.

Elle devait déjà avoir des expériences cuisantes en matière de réception de preuves, à en juger par son soulagement évident lorsqu’elle vit avec quel soin Starling leur avait évité tout contact pendant le transport.

— Oh, vous ne pouvez pas imaginer dans quel état on m’amène ce genre de trucs, des fois, soupira-t-elle. Bon, il faut que vous compreniez que je ne vais pas pouvoir tout vous dire comme ça, en cinq minutes…

— Je m’en doute. Il n’y a pas eu d’analyse PTFR sur le docteur Lecter, son évasion remonte à trop longtemps. Et toutes les pièces à conviction que nous avons sont inutilisables, à force d’être passées par des centaines de mains.

— Vous savez que l’heure de labo est beaucoup trop chère pour analyser tout et n’importe quoi, genre douze poils ramassés dans une chambre de motel. Par contre, si vous m’apportez quelque…

— Écoutez un peu ce que je dis, après vous parlerez. J’ai demandé à la PJ italienne de m’envoyer la brosse à dents qui était celle du docteur Lecter, d’après eux. Vous pourrez relever de l’épithélium dessus, je pense, il n’y a qu’à chercher le polymorphisme de taille des fragments de restriction. Et faites un séquençage court répété en tandem, aussi. Ce trait d’arbalète est resté un moment sous la pluie, ça m’étonnerait que vous en tiriez quoi que ce soit, mais si jamais vous…

— Pardon, je crois que vous n’avez pas bien compris ce que je vous disais.

Starling se força à sourire.

— Ne vous en faites pas, « A. Benning ». Je suis sûre que nous allons finir par nous entendre super-bien. Regardez, les deux flèches sont jaunes, d’accord, mais celle de l’arbalète, le vireton comme ils disent, est peint à la main. Pas mal, comme travail, juste un peu moins régulier. Et là, vous ne voyez pas quelque chose sous la peinture ?

— Un poil de pinceau, non?

— Peut-être. Mais quand même, c’est incurvé, et un peu renflé au bout… On dirait un cil, non ?

— Et s’il y a le follicule pilo-sébacé avec…

— Exactement.

— Bon, je peux faire une PCR, et vous trouver trois sites de restriction d’un coup sur l’ADN. Il va en falloir treize pour l’identification mais dans deux jours on pourra dire sans trop de risques de se gourer si c’est lui ou pas.

— Je savais que vous pourriez m’aider, A. Benning.

— Et vous, vous êtes Starling, l’agent spécial Starling. Je ne cherchais pas la bagarre, tout à l’heure… C’est juste que les flics nous donnent des trucs tellement nazes, des fois… Enfin, rien de personnel contre vous.

— Compris.

— C’est que… je vous imaginais plus âgée, c’est tout. Toutes les filles… Je veux dire, on vous connaît toutes de réputation, vraiment, et… (elle détourna les yeux)… et bon, on tient à vous, quoi !

Elle leva son petit pouce dodu.

— Je… je vous souhaite bonne chance avec Azazel. Si je peux me permettre.

60

Cordell, le majordome de Mason Verger, était un homme corpulent, aux traits marqués, qui aurait pu être séduisant si son expression n’avait pas toujours été si renfrognée. A trente-sept ans, il était définitivement interdit d’exercice dans les établissements de santé suisses et ne pouvait prétendre à aucun emploi qui l’aurait amené à côtoyer des enfants.

Il était grassement payé pour superviser tout le fonctionnement de la nouvelle aile, notamment les soins et l’alimentation de Mason Verger. Celui-ci s’était rendu compte qu’outre sa totale fiabilité Cordell présentait une indifférence complète à la souffrance humaine. Il avait assisté sur la vidéo à des « entretiens » accordés par Mason à certains petits visiteurs, dont la cruauté aurait rendu n’importe qui d’autre fou de rage ou de détresse.

Ce jour-là, Cordell était un peu préoccupé par le seul aspect de la vie qu’il considérait avec révérence : l’argent.