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Les camions descendirent de la montagne en grondant, jusqu’à la piste de Cagliari où les attendait un avion-cargo des Count Fleet Airlines, une compagnie spécialisée dans le transport des chevaux de course. L’Airbus était habituellement affecté aux liaisons transatlantiques, conduisant et ramenant des pur-sang américains aux courses hippiques de Dubaï. Un seul cheval se trouvait déjà dans la carlingue, embarqué lors d’une escale à Rome. Dès qu’il huma la forte odeur des cochons, il se mit à hennir et à ruer dans son box au point que l’équipage fut obligé de le laisser à terre, incident fort coûteux pour Mason, qui dut ensuite prendre en charge les frais de rapatriement de la bête ainsi que de généreux dédommagements versés à son propriétaire pour éviter des poursuites en justice.

Carlo et ses hommes restèrent aux côtés des animaux dans la soute pressurisée du cargo. Toutes les demi-heures, au-dessus de la mer démontée, Carlo venait les inspecter un par un, posant la main sur leurs flancs aux soies rêches afin de contrôler le battement sauvage de leur cœur.

Même si elles étaient robustes et affamées, seize bêtes ne seraient jamais en mesure de consommer l’entièreté du docteur Lecter en un seul repas. Il leur avait fallu une journée pour ingérer les derniers restes du réalisateur.

Le premier jour, Mason voulait que le docteur Lecter les voie dévorer ses pieds. Puis il serait maintenu en vie à l’aide d’une perfusion pour attendre le service suivant, le lendemain.

Mason avait promis à Carlo qu’il pourrait disposer du docteur pendant une heure, dans l’intervalle.

Pour leur second festin, les porcs seraient autorisés à le vider et à se repaître de sa panse et de son visage jusqu’à ce que, rassasiés, les plus gros d’entre eux et la truie gravide abandonnent la place à la deuxième vague de banqueteurs. Mais à ce stade la scène aurait déjà perdu de son attrait, évidemment.

65

C’était la première fois que Barney se rendait à la grange. Il entra par une porte dissimulée sous les gradins qui bordaient sur trois faces une piste de présentation abandonnée. Vide et silencieuse, n’étaient les roucoulements des pigeons dans les structures en bois, l’arène paraissait encore suspendue dans l’attente de l’arrivée des pur-sang. Derrière l’estrade du commissaire-priseur s’étendait le hangar ouvert, puis une porte à double battant commandait l’aile des écuries et de la sellerie.

Il entendit des voix quelque part et cria :

— Salut !

— On est dans la sellerie, Barney ! Viens par ici.

C’était Margot.

La pièce était agréable, tapissée de harnais et de selles aux courbes gracieuses. Les chauds rayons de soleil qui passaient par les fenêtres poussiéreuses tout en haut des murs réveillaient une bonne odeur de cuir et de foin. La salle était bordée sur un côté par un grenier ouvert qui donnait sur la réserve de foin.

Margot était en train de suspendre des étrilles et quelques bridons. Ses cheveux étaient plus clairs que la paille, ses yeux aussi bleus que l’estampille du boucher sur un quartier de viande.

— Bonjour, lança Barney sur le seuil.

Il trouvait que la sellerie ressemblait un peu à un décor de théâtre, conçu tout spécialement pour les enfants en visite.

Avec la hauteur de ses plafonds et la lumière oblique qui tombait d’en haut, on se serait presque cru dans une église.

— Salut, Barney. Entre, entre. On déjeune dans une vingtaine de minutes.

La voix de Judy Ingram tomba du grenier surélevé :

— Barneeeeey, enfin ! Bonjour. Hé, attendez un peu de voir ce qu’on a apporté ! Dis, Margot, tu veux qu’on essaie de manger dehors?

Tous les dimanches, elles avaient l’habitude de venir panser l’assortiment hétéroclite de poneys bien nourris qui étaient chargés de promener les petits visiteurs de la propriété. Et elles prenaient toujours un pique-nique avec elles.

— On peut essayer du côté sud, au soleil ! répondit Margot.

Barney se dit qu’elles avaient l’air un peu trop enjoué. Son expérience hospitalière lui avait appris que l’excès de gazouillements n’était jamais un bon signe.

La salle était dominée par un crâne de cheval accroché en trophée à un mur avec sa bride et ses œillères, l’ensemble se découpant sur un tissu aux couleurs de l’élevage Verger.

— C’est Ombre mouvante, vainqueur des courses de Lodgepole en 52, lui expliqua Margot. Le seul cheval de mon père qui ait jamais gagné une coupe. Mais il était trop radin pour le faire empailler…

Son regard suivit celui de Barney sur la face émaciée.

— Il ressemble drôlement à Mason, pas vrai ?

Dans un coin, une forge à soufflet grondait tout bas. Margot y avait allumé un petit feu pour réchauffer un peu la salle. Il s’échappait comme une odeur de soupe de la marmite posée sur les charbons.

Elle alla à un établi qui présentait l’équipement complet d’un maréchal-ferrant, s’empara d’un marteau à manche court et grosse tête. Avec son torse et ses biceps, elle aurait pu aisément passer pour quelqu’un du métier, ou pour un forgeron à la poitrine étonnamment proéminente…

— Tu me les envoies, ces couvertures ? cria Judy d’en haut.

Margot saisit une pile de lourdes couvertures de cheval toutes propres et les expédia dans le grenier d’un seul mouvement de balancier de son bras d’Hercule.

— OK, le temps de me laver les mains et je vais prendre le reste dans la jeep, annonça Judy en descendant l’échelle à reculons. Repas dans un quart d’heure, d’accord ?

Barney, qui sentait que Margot surveillait sa réaction, s’abstint de reluquer les fesses de son amie.

Restés en tête à tête, ils s’assirent sur des balles de foin recouvertes de couvertures pliées qui faisaient office de sièges.

— Tu as raté les poneys, constata Margot. Ils sont partis à l’étable de Lester.

— Oui, j’ai entendu les camions arriver, ce matin. Comment ça se fait?

— Ah, c’est les trucs de Mason, ça…

Un court silence s’établit. Ils pouvaient rester sans parler, d’habitude, mais cette fois un certain malaise était palpable.

— Bon, allons-y, Barney. Voilà: tu arrives à un point où il ne suffit plus de bavarder, il faut passer aux actes. On en est bien là, hein ?

— Comme dans un flirt, c’est ça?

La comparaison tombait mal, dans leur cas, et l’expression qui passa sur les traits de Margot le disait assez.

— Un flirt… Je te réserve autrement mieux que ça, moi ! Tu comprends à quoi je fais allusion, n’est-ce pas ?

— Je crois, oui.

— Mais si jamais tu décidais que tu ne veux rien faire et qu’il arrivait quand même quelque chose ensuite, tu comprends que tu ne pourras pas venir me chercher des histoires là-dessus, non ?

Elle tapotait sa paume avec le marteau de ferronnier, sans y penser peut-être, mais avec ses yeux d’un bleu carnassier fixés sur Barney.

S’il était encore en vie, c’était parce qu’il avait appris à lire les visages. Et là, il savait qu’elle pensait vraiment ce qu’elle disait.

— J’ai pigé, oui.

— Et si nous passons à l’acte, même topo. A part que je me montrerai très, très généreuse, une fois, rien qu’une fois, mais ce sera amplement suffisant. Tu veux savoir à quel point, généreuse ?