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— Écoute, Margot, rien n’arrivera pendant que je suis de garde, en tout cas. Pas tant qu’il me paie pour que je prenne soin de lui.

— Mais pourquoi, enfin?

Il haussa les épaules.

— Parce qu’un deal, c’est un deal.

— Hein ? Tu appelles ça un deal ? En voici un, Barney, un vrai : cinq millions de dollars. La même somme que Krendler est censé toucher pour court-circuiter le FBI, si tu veux savoir.

— On parle de prendre du sperme à Mason, de quoi rendre Judy enceinte…

— Oui, de ça et de quelque chose d’autre encore. Tu te doutes bien que si tu lui soutires sa crème et que tu le laisses en vie, il te coincera aussi sec, Barney. Tu ne pourras pas lui échapper et tu iras droit aux cochons, merde !

— J’irais droit où, tu dis ?

— Qu’est-ce qui te retient, Barney ? Ce « Semper Fi » que tu as tatoué sur le bras ? La parole d’honneur d’un ancien Marine ?

— Quand j’ai accepté son fric, je me suis engagé à m’occuper de lui. Tant que je travaillerai pour lui, je ne lui ferai aucun mal.

— Mais tu n’auras rien à « faire » quand il sera mort, à part le… prélèvement. Moi, je ne peux pas toucher son machin. Pas une seule fois de plus, tu m’entends ? Et il faudra peut-être que tu m’aides si Cordell vient s’en mêler.

— Si Mason est mort, tu ne pourras compter que sur une émission, pas deux.

— Il suffit de cinq centimètres cubes, même d’un sperme moins riche que la normale, on le dilue et on a de quoi faire cinq tentatives d’insémination, in vitro si nécessaire… Ils sont tous très fertiles, dans la famille de Judy.

— Tu n’as pas pensé à l’acheter, Cordell ?

— Non. Il ne tiendrait jamais son engagement. Je ne lui fais pas confiance une seconde. Il cherchera à me soutirer du fric, tôt ou tard. Non, il va falloir le neutraliser.

— Tu as réfléchi à tout, on dirait…

— Oui. Toi, il faut que tu sois aux commandes à l’infirmerie. Tous les moniteurs sont concentrés là-bas, chaque instant est enregistré sur une bande de sauvegarde. Il y a le circuit télé, aussi, mais là ils n’enregistrent pas en permanence à la vidéo. Nous… je veux dire, moi, je passe la main dans le poumon artificiel et je lui bloque la poitrine. Sur le moniteur, la machine continuera à fonctionner normalement. Dès que la courbe de son pouls et de sa pression sanguine présente un changement, tu te précipites dans la chambre, tu le trouves évanoui, tu peux tenter toutes les réanimations que tu veux, simplement tu fais comme si je n’étais pas là. Moi, je continue à appuyer jusqu’à ce qu’il meure. Tu t’y connais assez en autopsie, toi : qu’est-ce qu’ils regardent d’abord, quand ils soupçonnent un étouffement prémédité ?

— S’il y a eu hémorragie sous les paupières.

— Il n’en a pas, de paupières!

Elle était cultivée, pleine de ressources, et habituée à pouvoir acheter n’importe quoi, n’importe qui.

Barney la regarda bien en face, mais c’était le marteau dans sa main qu’il surveillait du coin de l’œil lorsqu’il donna sa réponse

— Non, Margot.

— Et si je t’avais laissé me sauter, tu l’aurais fait ?

— Non.

— Et si tu ne travaillais pas ici, si ta responsabilité d’infirmier n’était pas engagée envers lui, tu le ferais ?

— Non plus, probablement.

— C’est quoi, déontologie ou manque de couilles?

— J’en sais rien.

— Bon, on va bien voir. Tu es viré, Barney.

Il opina du bonnet, sans manifester de surprise.

— Et puis, Barney ?

Elle posa son doigt sur ses lèvres.

— Chuuut, hein ?J’ai ta parole, n’est-ce pas ? Ne me force pas à te rappeler que je peux te casser les reins avec ces antécédents que tu as en Californie. Je n’ai pas besoin de revenir là-dessus, ou si ?

— Tu n’as pas à t’inquiéter, répliqua Barney. C’est plutôt moi qui devrais flipper. Je ne sais pas si Mason a l’habitude de laisser partir ses employés. Peut-être qu’ils « disparaissent », juste…

— Pas de souci, toi non plus. Je lui dirai que tu as attrapé une hépatite. Après tout, tu ne connais pas grand-chose de ses petites affaires, à part qu’il essaie d’aider la justice de son pays… Et comme il sait qu’on te tient avec cette histoire de Californie, il va te laisser partir gentiment, crois-moi.

Un moment, Barney se demanda qui, du frère ou de la sœur, avait semblé le patient le plus intéressant aux yeux du docteur Lecter.

66

Il faisait nuit noire quand le long fourgon argenté vint s’arrêter devant la grange de Muskrat Farm. Ils étaient en retard, et de fort méchante humeur.

Au début, tout s’était bien passé à l’aéroport de Baltimore Washington. L’inspecteur du département de l’Agriculture monté à bord avait donné son accord à l’entrée des seize animaux sans barguigner. Lui-même expert en race porcine, le fonctionnaire n’avait encore jamais vu pareils spécimens.

Lorsque Carlo Deogracias avait inspecté le camion qui devait les emmener à la ferme, par contre, il avait constaté qu’il s’agissait d’une bétaillère dont les anciens occupants avaient laissé des traces nauséabondes un peu partout. Il avait refusé de faire débarquer ses bêtes et l’avion avait donc été immobilisé pendant que les trois Sardes et le chauffeur très en colère partaient à la recherche d’un véhicule plus convenable, trouvaient une station de lavage et récuraient l’intérieur à la vapeur.

En arrivant à la route d’accès à la ferme, dernière contrariété : après avoir jaugé le tonnage du camion, le garde forestier leur avait refusé le passage sous prétexte qu’ils devraient emprunter un pont qui n’était pas prévu pour un tel poids. Il les avait obligés à prendre la piste de service à travers la forêt domaniale. Les trois derniers kilomètres, le gros véhicule s’était péniblement faufilé sous les arbres, accrochant les branches au passage.

Carlo fut cependant satisfait en découvrant la belle grange de Muskrat Farm, la propreté des lieux et la souplesse avec laquelle le petit chariot élévateur déposa les caisses dans les stalles abandonnées par les poneys.

Quand le conducteur de la bétaillère arriva avec un aiguillon électrique en proposant d’envoyer une décharge à l’un des porcs afin de vérifier s’il était toujours sous l’effet du sédatif, Carlo lui arracha la pique des mains et lui lança un regard si menaçant que l’autre ne s’avisa pas de demander qu’il la lui rende.

Le maître-porc voulait que ses bêtes sortent de leur léthargie dans la pénombre et qu’elles ne quittent leur caisse qu’après avoir retrouvé toutes leurs facultés motrices. Il craignait en effet que les porcs réveillés en premier ne soient tentés de s’offrir une collation au détriment de ceux encore plongés dans leur sommeil forcé : quand les bêtes n’étaient pas assoupies en même temps, la moindre forme allongée réveillait leur appétit.

Piero et Tommaso devaient d’ailleurs redoubler de vigilance depuis que la bande avait dévoré le réalisateur et, quelques jours après, son cameraman préalablement décongelé. Il n’était plus question de traverser l’enclos ou la pâture quand les cochons étaient lâchés. Non pas qu’ils se soient montrés menaçants, à grincer des dents comme le feraient des sangliers : non, ils se contentaient de regarder les hommes avec la terrible obstination du cochon et s’approchaient lentement, de côté, jusqu’à se retrouver assez près pour charger.

Tout aussi entêté qu’eux, Carlo ne pensa à prendre quelque repos qu’après avoir inspecté avec une torche la longue clôture qui bouclait la partie du sous-bois réservée par Mason à ses porcs, en bordure de la forêt domaniale. Avec son couteau de poche, il fouilla l’humus sous les arbres et trouva des glands. Plus tôt, alors qu’ils roulaient dans les dernières lueurs du jour, il s’était dit qu’il devait y en avoir par là quand il avait entendu des geais gazouiller. Et, certes, il y avait des chênes dans la pâture clôturée, mais pas trop, heureusement : il ne voulait pas que les bêtes se nourrissent d’elles-mêmes, ce qui leur aurait été des plus faciles dans la forêt.