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Le vice-directeur saisit le dossier posé sur la table devant lui.

— Pouvez-vous vous présenter, je vous prie, pour le compte rendu de cette audition ?

— Agent spécial Clarice Starling. Il y aura vraiment un compte rendu, monsieur le vice-directeur ? J’aimerais que ce soit le cas…

Comme il ne répondait pas, elle alla de l’avant :

— Vous ne voyez pas d’inconvénient à ce que j’enregistre ?

Elle sortait déjà un petit Nagra compact de son sac quand Krendler intervint :

— D’ordinaire, ce genre de réunion préliminaire se tient dans les locaux de l’inspection générale du Département de la Justice. Nous sommes ici parce que cela arrangeait tout le monde en raison des célébrations d’aujourd’hui, d’accord, mais les règles de chez nous continuent à s’appliquer. C’est une question de préséance élémentaire et de diplomatie. Pas d’enregistrement.

— Dites-lui les charges, Mr Krendler, se contenta de répliquer Noonan.

— Agent Starling, vous êtes sous l’accusation de révélation illégale d’informations confidentielles à un criminel en fuite, prononça Krendler en s’efforçant de garder un visage impassible. Concrètement, vous êtes accusée d’avoir fait publier cette annonce dans deux quotidiens d’Italie afin de prévenir le criminel en fuite Hannibal Lecter qu’il risquait d’être capturé.

Le marshal remit à Starling une page de journal saturée d’encre, provenant d’un exemplaire de La Nazione. Elle la tourna vers la fenêtre pour lire le petit paragraphe entouré d’un cercle : « A.A. Aaron, livrez-vous aux autorités, où que vous soyez. Vos ennemis sont tout près. Hannah. »

— Alors, que répondez-vous ?

— Je n’ai rien fait de tel. Je n’ai jamais vu cette annonce.

— Comment expliquez-vous que le nom de code « Hannah » soit employé ici, un nom connu du seul Hannibal Lecter et du FBI ? Celui que Lecter vous avait demandé d’utiliser.

— Je ne sais pas. Qui a trouvé ce texte ?

— Le service de documentation de la CIA à Langley. Ils sont tombés dessus par hasard en traduisant les articles consacrés au docteur Lecter dans La Nazione.

— Mais si ce code est un secret du seul FBI, comment un documentaliste de Langley a-t-il pu le remarquer ? Il faut demander à la CIA qui a attiré leur attention sur cette « Hannah ».

— Je suis certain que le traducteur connaît bien le dossier Lecter.

— A ce point? J’en doute. Non, demandons-lui qui lui a donné cette piste. Et puis, comment aurais-je su que le docteur Lecter se trouvait à Florence, à l’époque ?

— C’est vous qui avez découvert que la Questura de Florence avait consulté le dossier VICAP de Lecter, répliqua Krendler. Cela s’est produit plusieurs jours avant le meurtre de Pazzi et nous ne savons pas à quel moment vous l’avez repéré, vous. Pour quelle autre raison la Questura de Florence aurait voulu des infos sur Lecter ?

— Et quelle raison plausible aurais-je eue de vouloir le mettre en garde ? En quoi est-ce l’affaire de l’inspecteur général, monsieur le vice-directeur ? Je suis prête à me soumettre au détecteur de mensonges, tout de suite. Faites-en apporter un ici.

— Les Italiens ont émis une protestation diplomatique pour tentative de collaboration avec un criminel avéré dans leur pays, annonça Noonan en montrant l’homme aux cheveux roux assis à ses côtés. Voici Mr Monténégro, de l’ambassade d’Italie.

— Bonjour, monsieur. Et comment ont-ils été mis sur la piste, « les Italiens » ? Pas par Langley, en tout cas.

— Les diplomates ont préféré nous refiler le bébé, dit Krendler sans laisser le temps à Monténégro de prononcer un mot. Nous voulons que cette histoire soit éclaircie pour donner toute satisfaction aux autorités italiennes, ainsi qu’à l’inspecteur général et à moi-même. Et sans traîner, en plus. Mieux vaut pour tout le monde que nous considérions tous les faits ensemble. Alors, qu’y a-t-il entre Lecter et vous, miss Starling ?

— J’ai interrogé le docteur Lecter à plusieurs reprises, suivant les instructions du chef de division Crawford. Depuis son évasion, j’ai reçu deux lettres de lui en sept ans. Vous avez l’une et l’autre.

— En fait, nous avons encore autre chose, claironna Krendler. Ça date d’hier. Ce que vous avez pu encore recevoir par ailleurs, nous l’ignorons.

De sous son siège, il tira un colis en carton couvert de cachets et sérieusement malmené par plusieurs services postaux.

Il se pencha dessus, feignant de humer avec délices les arômes mêlés qui sortaient de la boîte. Sans prendre la peine de la montrer à Starling, il posa un doigt sur la case du destinataire.

— Posté à votre adresse d’Arlington, agent Starling. Mr Monténégro, auriez-vous l’obligeance de nous dire de quoi il s’agit?

Dans un grand déploiement de boutons de manchettes scintillants, le diplomate italien fouilla le papier de soie qui protégeait les articles.

— Oui, ce sont des lotions, du sapone di mandorle, le célèbre savon aux amandes de Santa Maria Novella à Florence, fabriqué par la Farmacia du même nom, des parfums… Le genre de cadeaux que les hommes font à une femme dont ils sont amoureux.

— On a analysé tout ça, n’est-ce pas, Clint ? demanda Noonan à l’ancien chef de Starling. Des produits toxiques, là-dedans?

— Non, répondit Pearsall, qui semblait tout honteux. Rien de suspect.

— Un présent d’amoureux, conclut Krendler d’un air satisfait. Et voici le billet doux !

Il prit la feuille de parchemin qui se trouvait dans le colis, la déplia et la tint en l’air pour montrer à l’assemblée la photo de presse du visage de Starling complété d’un corps de lionne ailée. Au verso, il lut les quelques lignes tracées de la ronde parfaite du docteur Lecter : « Pourquoi les Philistins ne vous comprennent-ils pas, Clarice, y avez-vous jamais pensé ? C’est parce que vous êtes la réponse à l’énigme de Samson : vous êtes le miel dans la lionne. »

— Il miele dentro la leonessa, c’est joli, ça, apprécia Montenegro en se promettant de se resservir de l’expression à son usage personnel.

— C’est… quoi ? s’étrangla Krendler.

L’Italien écarta la question d’un geste las. Il voyait bien que le fonctionnaire était incapable de goûter la musique de la métaphore, ni de ressentir ses sensuelles évocations.

— En raison des répercussions internationales, l’inspection générale entend prendre en charge cette affaire, annonça Krendler. De quelle manière elle va évoluer, procédure administrative ou inculpation, cela dépendra de ce que nous allons trouver dans l’enquête que nous menons. S’il s’avère que cela relève du droit pénal, agent Starling, le ministère public sera saisi et il y aura procès. Vous serez informée largement à temps pour vous y préparer. Monsieur le vice-directeur…

Noonan prit sa respiration avant de brandir la hache.

— Clarice Starling, je vous place en congé administratif à durée indéterminée jusqu’à ce que cette affaire soit réglée. Vous allez nous remettre vos armes de service et votre insigne du FBI. Vous n’êtes plus autorisée à accéder aux bâtiments fédéraux, à l’exception des installations ouvertes au public. Vous serez escortée jusqu’à la sortie de cet immeuble. Je vous prie de rendre maintenant vos armes personnelles et votre carte magnétique à l’agent Pearsall. Approchez.

En venant à la table, Starling eut une seconde l’impression que les hommes devant elle étaient des quilles dans un concours de tir. Elle aurait pu les abattre tous les quatre avant qu’un seul d’entre eux n’ait le temps de dégainer. Elle se ressaisit, sortit son revolver, fit tomber le chargeur dans sa paume sans quitter Krendler des yeux, le posa sur sa table et éjecta la balle déjà engagée dans le barillet. Krendler la rattrapa au vol et la serra dans son poing, ses jointures blanchissant sous l’effort.