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Étouffant un juron, Carlo entrouvrit enfin la vitre et leva son arme tandis que Piero s’écartait. Le van trembla sous le départ du fusil.

Le trait fila dans le soleil. Avec un petit bruit sourd, il traversa le col empesé du docteur Lecter et alla se ficher dans son cou. La dose massive de tranquillisant, administrée à un endroit aussi sensible, agit instantanément. Le docteur chercha à se redresser, mais ses genoux le trahissaient. Le paquet s’échappa de sa main, roula sous la Mustang. Il réussit à sortir un couteau à cran d’arrêt de sa poche et à l’armer pendant qu’il s’affaissait lentement au sol, ses membres liquéfiés par la drogue. Un mot chuchoté : « Mischa ». Sa vision s’obscurcissait.

Piero et Tommaso avaient déjà bondi sur lui tels deux grands félins. Ils l’immobilisèrent à terre jusqu’à être certains qu’il ne pouvait plus résister.

Encombrée de son deuxième chariot de la journée, Starling traversait le parking quand elle entendit le claquement sec du fusil à air comprimé. Reconnaissant instinctivement le bruit, elle se courba aussitôt par réflexe, alors qu’autour d’elle les clients continuaient leurs allées et venues sans rien remarquer. Impossible de dire d’où était parti le coup de feu. Au moment où son regard se posait sur sa voiture, elle vit des jambes disparaître à l’arrière d’une fourgonnette et pensa qu’il s’agissait d’un vol à main armée.

Sa main se plaqua à la hanche où son revolver n’était plus là pour l’accompagner. Elle se mit à courir vers le van en se protégeant derrière les véhicules à l’arrêt.

La Lincoln et son conducteur âgé étaient de retour, réclamant à coups de klaxon l’accès à la zone pour handicapés que la fourgonnette obstruait. La voix de Starling se perdait dans le vacarme

— Stop! Stop ! FBI ! Arrêtez ou je tire !

Elle aurait peut-être le temps de relever le numéro d’immatriculation, au moins…

Piero, qui l’avait vue, se hâta de trancher avec le couteau du docteur la valve du pneu avant de la Mustang, côté conducteur, puis il plongea dans la fourgonnette qui démarra en trombe, franchit brutalement un ralentisseur et fonça vers la sortie.

D’un doigt, Starling inscrivit le numéro du van sur le capot poussiéreux d’une voiture. Elle avait sorti ses clés, s’était jetée au volant et entamait déjà une marche arrière précipitée quand elle entendit le sifflement insistant du pneu crevé. Elle n’apercevait plus que le haut de la fourgonnette.

Elle courut à la Lincoln et tapa à la vitre du vieil homme qui klaxonnait toujours, contre elle maintenant.

— Vous avez un téléphone portable ? Je suis du FBI. Vous auriez un cellulaire, s’il vous plaît ?

— Avance, Noël ! ordonna la femme assise à côté du conducteur en lui pinçant la jambe. Ne l’écoute pas, ce doit être une ruse. Ne te laisse pas avoir !

La Lincoln s’éloigna. Starling se précipita à la première cabine en vue et appela le 911, les urgences.

Le shérif adjoint Johnny Mogli frisa l’excès de vitesse pendant trois kilomètres.

En retirant le dard de la nuque du docteur Lecter, Carlo fut soulagé de constater que le sang ne coulait pas. Il y avait un hématome de la taille d’une pièce de quinze cents sous l’épiderme. L’injection avait été prévue pour être absorbée par une masse musculaire plus importante. Ce fils de pute risquait bien de mourir avant que les porcs ne l’aient dépecé…

L’habitacle était silencieux, hormis la respiration précipitée des membres du commando et le caquètement continu des liaisons radio de la police interceptées par la CB installée sous le tableau de bord. Le docteur Lecter était étendu à l’arrière de la cabine dans son beau manteau. Son chapeau avait glissé de sa tête racée, une seule goutte de sang frais tachait son col impeccable. Il était aussi gracieux qu’un faisan couché sur l’étal d’un boucher.

Mogli s’engouffra dans un parking public et monta au troisième étage, où il ne s’arrêta que le temps de retirer les lettres adhésives sur les parois et de changer les plaques.

Il n’y avait même pas de quoi prendre ces précautions, pensa-t-il avec un petit rire intérieur lorsque la CB intercepta l’avis de recherche : l’opérateur du 911, qui avait apparemment mal compris la description que Starling lui avait donnée, parlait d’« un bus Greyhound », alors qu’elle avait dit « un minibus gris ou un van ». A son actif, on devait reconnaître qu’il ne s’était trompé que sur un chiffre de l’immatriculation qu’elle lui avait communiquée.

— Exactement comme chez nous, dans l’Illinois, s’esclaffa-t-il.

— Quand j’ai vu le couteau, j’ai eu la trouille qu’il se tue pour échapper à ce qui va lui arriver, disait Carlo aux deux frères. Il va regretter amèrement de ne pas s’être tranché la gorge, d’ici peu.

Devant le supermarché, Starling vérifiait l’état des autres pneus quand elle remarqua le paquet abandonné sous sa voiture.

Il contenait une coûteuse bouteille de Château-d’Yquem et un mot sur lequel elle reconnut immédiatement l’écriture :

« Joyeux anniversaire, Clarice. »

C’est seulement alors qu’elle comprit ce dont elle venait d’être témoin.

78

Starling connaissait par cœur tous les numéros dont elle avait besoin. Au lieu de rentrer chez elle téléphoner, elle retourna à la cabine, enleva d’autorité le combiné à une jeune femme et glissa des pièces de monnaie dans l’appareil pendant que l’autre, indignée, appelait à la rescousse un vigile du supermarché.

Elle appela l’unité d’intervention de l’antenne de Washington à Buzzard’s Point. Tout le monde la connaissait, dans le service où elle avait travaillé si longtemps. Pendant qu’on transférait son appel au bureau de Clint Pearsall, elle tâtonna à la recherche de monnaie supplémentaire tout en tentant de raisonner le gardien du magasin qui s’obstinait à lui demander ses papiers d’identité.

Elle entendit enfin la voix familière de Pearsall.

— Écoutez, je viens de voir trois ou quatre hommes enlever Hannibal Lecter sur le parking du Safeway, il y a à peine cinq minutes. Ils m’ont crevé un pneu, je n’ai pas pu les poursuivre.

— C’est cette histoire de bus que la police recherche ?

— Quoi, quel bus ? C’est un van gris, avec une plaque handicapés.

— Comment savez-vous que c’était Lecter ?

— Il m’a… il a laissé un cadeau pour moi. Je l’ai retrouvé sous ma voiture.

— Je vois…

Starling profita du silence qu’il laissait planer :

— Vous savez que Mason Verger est derrière tout ça, Mr Pearsall. C’est forcé. Personne d’autre ne s’y risquerait. C’est un sadique, il va torturer le docteur Lecter à mort, sans perdre une seconde du spectacle. Il faut émettre un ordre de recherche sur tous les véhicules de Verger et demander au procureur de Baltimore de préparer un mandat de perquisition pour chez lui.

— Starling… Attendez, Starling. Je ne vous le demanderai pas deux fois : vous êtes vraiment certaine de ce que vous avez vu ? Réfléchissez bien, pensez à tout le bon boulot que vous avez abattu ici, rappelez-vous le serment que vous avez prêté. Vous ne pouvez pas revenir là-dessus. Alors, qu’avez-vous vu, exactement?

« Qu’est-ce que je suis censée répondre ? Que je ne suis pas hystérique ? C’est la première chose que disent les hystériques… » En un éclair, elle mesura à quel point elle était tombée dans la confiance de Pearsall, et combien celle-ci résistait mal aux influences.

— J’ai vu trois ou quatre hommes enlever quelqu’un sur le parking du supermarché Safeway. Sur les lieux, j’ai trouvé un présent du docteur Lecter, une bouteille de Château-d’Yquem de la même année que ma naissance, avec un mot manuscrit de sa main. J’ai décrit le véhicule aux urgences. Et je soumets mon rapport à vous-même, Clint Pearsall, responsable des opérations à Buzzard’s Point.