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— Si stà svegliando.

Carlo revient dans la sellerie, la molaire de verrat dansant entre ses lèvres. Il apporte un pantalon bourré de fruits, de légumes et de carcasses de poulets, qu’il entreprend de frotter contre le docteur Lecter, en insistant sous les bras.

Tout en prenant garde de ne pas approcher sa main de la bouche du docteur, il l’attrape par les cheveux pour lui relever la tête.

— Buona sera, dottore

Le poste de télévision émet un léger sifflement, l’écran s’allume et Mason Verger apparaît.

— Allumez le projecteur au-dessus de la caméra, ordonne-t-il. Bonsoir, docteur Lecter.

Il ouvre les yeux pour la première fois depuis sa capture.

Carlo eut l’impression que des étincelles jaillissaient derrière ses pupilles. C’était peut-être les reflets de l’âtre, mais il se signa tout de même pour se protéger du mauvais œil.

— Mason, fit Hannibal Lecter à l’adresse de l’objectif.

Derrière son ravisseur, sur l’écran, il distingua la silhouette de Margot qui se découpait en noir sur l’aquarium. Avec courtoisie, maintenant :

— Bonsoir, Margot. Je suis content de vous revoir.

A la netteté de son élocution, on pouvait se demander s’il n’était pas réveillé depuis un certain temps.

— Docteur Lecter, le salua Margot de sa voix grave.

Tommaso avait trouvé le bouton de mise sous tension du projecteur. Le flot de lumière les aveugla tous une seconde. Mason Verger prit la parole, speaker d’une radio inconnue :

— Dans une vingtaine de minutes, docteur, nous allons servir aux cochons les entrées, en l’occurrence vos pieds. Après cela, nous aurons une petite conversation nocturne, vous et moi. En pyjama ou même en caleçon, dans l’état où vous serez alors. Cordell va faire en sorte de vous maintenir en vie longtemps et…

Mason continuait à parler quand Margot se pencha en avant pour regarder la scène sur l’écran. Après s’être assuré qu’elle pouvait voir ce qui allait se passer, Lecter murmura à l’oreille de Carlo, d’une voix métallique, autoritaire :

— Votre frère Matteo doit sentir encore plus mauvais que vous, à l’heure qu’il est. Il s’est chié dessus quand je l’ai tailladé.

Saisissant l’aiguillon électrique dans sa poche arrière, Carlo le fouetta en pleine face dans la lumière aveuglante. Puis il le saisit par les cheveux et appuya sur le bouton de voltage de la poignée, en la tenant sous le nez du docteur tandis que le courant à haute tension passait en arc tressautant entre les électrodes.

— Enculé de ta mère !

Et il enfonça la pique vrombissante dans son œil.

Le docteur Lecter n’émit aucun son. Ce fut du haut-parleur qu’un rugissement surgit, celui de Mason Verger, autant que son souffle le lui permettait. Tommaso s’efforçait de tirer Carlo en arrière. A deux, avec Piero descendu du grenier à sa rescousse, ils le forcèrent à s’asseoir dans le fauteuil en rotin et parvinrent à l’y maintenir.

— Tu l’aveugles et on perd le fric ! hurlèrent-ils à l’unisson, chacun dans une oreille.

Dans son palais de la mémoire, le docteur Lecter rajusta les tentures pour échapper à l’éclat brûlant. Aaaaaah… Il pressa son visage contre le flanc de Vénus, soulagé par le marbre froid.

Face à la caméra, parfaitement maître de sa voix :

— Je ne prendrai quand même pas votre chocolat, Mason.

— Il est complètement dingue, cet enfoiré! s’exclama Johnny Mogli. Bon, ça, on le savait. Mais Carlo l’est autant.

— Allez là-bas et séparez-les, ordonna Mason.

— Vous… vous êtes sûr qu’ils ne sont pas armés ?

— On ne vous a pas embauché pour que vous ayez la frousse, si ? Non, ils n’ont pas d’armes. Rien que le fusil à somnifère.

— Laisse, je m’en charge, intervint Margot. Ça les dissuadera de commencer à jouer les machos entre eux. Ils se tiennent à carreau devant leur mamma, les Italiens. Et puis, Carlo sait que c’est moi qui tiens les cordons de la bourse.

— Installe la caméra dehors et montre-moi les cochons, demanda Mason. Dîner à huit heures !

— Je ne suis pas obligée d’assister à ça, moi, dit Margot.

— Oh, que si !

83

A l’entrée de la grange, Margot reprit longuement son souffle. Si elle devait être prête à le tuer, elle était bien obligée de supporter sa vue. Avant même d’ouvrir la porte de la sellerie, elle perçut l’odeur de Carlo. Piero et Tommaso encadraient Lecter, face à leur chef toujours assis dans le fauteuil en rotin.

— Buona sera, signori, lança-t-elle. Vos amis ont raison, Carlo : vous le bousillez maintenant, vous ne touchez plus un rond. Alors que vous avez fait tout ce chemin, après tout ce que vous avez accompli…

Les yeux du Sarde ne quittaient pas le visage de Lecter.

Sortant un téléphone portable de sa poche, elle composa un numéro sur les touches fluorescentes et le tendit à Carlo.

— Allez-y, prenez-le. — Elle le plaça dans la trajectoire de son regard. — Regardez.

L’écran à cristaux liquides indiquait le destinataire de l’appel : Banco Steuben.

— C’est votre banque à Cagliari, signore Deogracias. Demain matin, quand tout ceci sera terminé, quand vous l’aurez fait payer pour votre frère si courageux, c’est ce numéro que j’appellerai. Je donnerai mon code à votre banquier et je lui dirai : « Débloquez le reste de la somme que vous gardez pour Carlo Deogracias. » Il vous le confirmera par téléphone, sans tarder, et demain soir vous serez dans un avion, de retour chez vous et riche, Carlo, riche. La famille de Matteo aussi. Tenez, si vous voulez, vous pourrez leur ramener les couilles du docteur dans une pochette plastique, en guise de consolation. Mais si Lecter n’est plus en état d’assister à sa mort, s’il ne peut plus voir les porcs se ruer sur lui pour lui manger la figure, vous n’aurez rien, rien. Comportez-vous en homme, Carlo. Allez chercher vos bêtes. Moi, pendant ce temps, je surveille cet enfoiré. D’ici une demi-heure, vous allez l’entendre hurler, quand ils vont attaquer ses pieds…

Carlo jeta soudain la tête en arrière, soupira profondément.

— Andiamo, Piero! Tu, Tommaso, rimani.

Sans broncher, le deuxième frère reprit le fauteuil en rotin et s’installa près de la porte.

— J’ai la situation en main, Mason, annonça Margot à la caméra.

— Je veux ramener son nez avec moi à la maison, tout à l’heure. Préviens Carlo.

Sur ces derniers mots de Verger, l’écran s’éteignit.

Pour l’invalide comme pour ceux qui l’entouraient, une sortie hors de sa chambre nécessitait un énorme effort. Les aspects purement techniques comportaient la connexion de tous les tubes aux réservoirs dont sa civière roulante était dotée, et le branchement du poumon artificiel sur une batterie portable.

Margot braqua son regard sur le visage du docteur Lecter. Son œil était fermé sous la paupière distendue, marquée aux deux extrémités par les deux brûlures laissées par les électrodes.

Il ouvrit celui resté intact. Il arrivait à conserver le contact apaisant de la hanche de marbre contre sa joue, le réconfort de Vénus.

— J’aime l’odeur de cette crème. C’est frais, citronné… Merci d’être venue, Margot.

— C’est exactement ce que vous m’avez dit quand votre assistante m’a fait entrer dans votre cabinet la première fois. Le jour où ils vous ont amené Mason pour sa thérapie.

— Vraiment ?

A peine revenu de son palais mnémonique où il avait relu les comptes rendus de ses séances avec Margot Verger, il savait qu’elle disait vrai.