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— Simple et de qualité, dis-je. Elle me connaissait donc ?

— De réputation, oui.

C’est flatteur, d’ailleurs je suis flatté jusqu’à la moelle.

Il y a un silence. J’ai une pensée émue pour mes trois compères continuant de morfondre, en bas. Le Mastar qui a horreur de poireauter ne doit pas être un compagnon très sociable.

— Il ne vous reste plus qu’à me parler du docteur Martin, ma gosse. Après quoi, nous nous tournerons vers l’avenir.

— Je les connus, sa femme et lui, aux Etats-Unis. L’an dernier, ils ont passé un mois à la maison, invités par papa. C’étaient des gens charmants, ils m’avaient fait promettre de venir les voir.

— Des amis de votre père ?

— Il m’a semblé. En tout cas, daddy et le docteur paraissaient très liés.

— Relations d’affaires ?

— Je ne saurais vous le dire, mon père n’a pas pour habitude de me mettre au courant de ses occupations.

C’est vraiment le moins qu’on puisse dire ! Cependant, je garde cette réflexion pour moi, par galanterie. Quand tu viens de te respirer une gonzesse avec un tel bonheur d’expression et que tu lui as concrétisé tes sentiments de la cave au grenier, il est malvenu de lui virguler des sarcasmes.

— Pourquoi êtes-vous descendue au Gresham et non chez eux ?

— Parce que je préférais conserver ma liberté d’action.

— Les Martin paraissaient-ils redouter quelque chose ?

— Du tout, ils se montraient très enjoués, au contraire.

— Vous leur aviez parlé de la disparition de votre paternel ?

— Naturellement.

— Et quel était leur sentiment, là-dessus ?

— Ils me prêchaient la patience, me rassuraient en m’affirmant que mes recherches ne pouvaient que contrarier les projets de papa et que je ferais mieux de rentrer aux U.S.A. pour attendre de ses nouvelles. Ils ne paraissaient pas inquiets sur son sort.

Là-dessus, elle sort les aérofreins pour m’attaquer bille en tronche, car elle en a quine d’être sur la sellette, qu’en revanche, mézigue, je lui interprète le grand concerto de mutisme de Jean-Sébastien Bouchecousue.

— Et vous, chéri ? Vous, où en êtes-vous ? Avez-vous retrouvé papa ? Qu’est-il arrivé ici, chez ces gens, ces Aïlikitt. Pourquoi étiez-vous travesti en évêque, et que…

Je lève les bras.

— Je me rends ! Pas tout à la fois, de grâce ! Oui, j’ai eu l’honneur et l’avantage de rencontrer monsieur votre père, mais dans des circonstances si particulières…

Je ne termine pas ma phrase, vu qu’un drôle de bruit se produit dans la rue de la coquette cité vacancière. Un bruit comme si tu jouais du tambour sur la carrosserie d’une bagnole. Ou plutôt, non, attends que je te fasse mieux piger : suppose un orage de grêle qui ne durerait que six secondes au plus.

— Béruuuuu ! je hurle en m’élançant.

Mon cœur dévissé va choir sur le vieux plancher de l’auberge. Non, car j’avise le Gravos, au déboulé de l’escadrin. L’air ahuri, somnoleur, les coquilles gonflées comme des zobs d’étalon assistant à la course des pouliches d’Auteuil ou de j’sais plus où, moi, les bourrins, tu sais, je les aime ni sur pieds ni sur assiette, contrairement à mon pote qui assure raffoler du « bifteck » de cheval. J’ai jamais flambé au tiercé et même les statues équestres à Jeanne d’Arc ou Poléon me filent la nausée. La plus noble conquête de l’homme ? J’t’en fais cadeau ! J’suis pas fana des ongulés. Une bestiole dont le même membre comporte un coude et un genou, je la trouve pas catholique, même qu’on s’en soye servi pour les croisades.

Mais c’est pas de canasson que je traite en ces pages mélodieuses et si bourrées de miséricorde (à nœuds).

C’était juste pour te dire mon Béru avec sa frite de prophétie réalisée in extremis, avec du bouillon gras.

— T’as entendu ? il me fait.

— Et comment. Pourquoi as-tu quitté ces deux branques ?

— Je m’inquiétais sur ce que tu branlais.

Il avise Cathy et hoche la tête.

— Je vois.

Pas surpris outre mesure, Césarin. Lui, rien ne l’épate vraiment, jamais. Il accepte le temps, les gens et les événements tels que le destin les lui propose, sans barguigner.

Nous n’avons pas été les seuls à percevoir le brouhaha extérieur. Ça se met à remue-ménager dans l’hôtel. On dévale en catastrophe l’escalier. Je sais bien ce qui nous attend. Et ça nous attend bel et bien. La chignole à sir Beston criblée de balles. Lui, la bouille excavatée, à la renverse sur son siège, derrière son pare-brise pulvérisé. W. C. dans une posture identique, sauf que son cher visage de supermachin en retraite a été épargné, kif celui au maréchal mort Ney, ce pauvre, qu’aurait jamais dû aller à la rencontre de son empereur sur la route de Grenoble, merde fallait ben être un con comme le gros Dixhuit pour pas prévoir ce qu’allait se passer, que moi, tout mouflet, j’ai pas été surpris un poil de seconde en apprenant sa volte.

Oubliant le prince de la Moskova, je me précipite sur Wallace Coy dont il est clair qu’il respire encore.

— Dobliyouci ! je l’interpelle, car c’est ainsi que tu prononces W. C. dans toutes les classes d’anglais de sixième au C.E.S. d’Annemasse. Dobliyouci, m’entendez-vous ?

— Ya, il profère dans un râle.

— Avez-vous eu le temps d’apercevoir vos agresseurs ?

— Ya.

— Combien étaient-ils ?

— Two.

— En voiture ?

— No.

— A pied ?

— Ya.

— Ils étaient masqués ?

— No.

— Vous pourriez les reconnaître ?

— No.

— Pourquoi ?

— They were negroes…

— Des Noirs ?

— Ya.

— En êtes-vous certain ?

— Ya.

— Ils n’auraient pas, par exemple, enfilé des bas noirs sur leurs têtes ?

— No.

— Ils sont repartis à pied ?

— Excuse me, balbutie Wallace Coy.

Et il meurt en plein, sans faire d’histoire. Sans doute était-il un peu faisandé, mais je savais déjà qu’il avait conservé toute son énergie poulardière.

Béru qui attend à mon côté demande soudain :

— Tu trouves pas que not’ situation d’vient d’plus en plus dégueulasse ?

Je n’hésite pas à convenir de la chose. Et puis, bon, comme tu t’en doutes, le processus logique se déclenche. Des gens mal réveillés arrivent, des gens crient, des gens font du zèle, des gens parlent de police, de moi, des morts, de Dieu.

On profite du brouhaha et de la pénombre pour se tirer.

Ailleurs, n’importe où ; l’essentiel est de ne pas rester ici.

CHAPITRE XXII

L’essentiel est de ne pas rester ici.

Ce qu’il y a de fatidique dans nos relations avec ce bon patelin d’Oughterard, ce que l’histoire retiendra de notre séjour ici, c’est que nous y venons inlassablement pour y subir chaque fois un coup fourré de haut style qui nous met en fuite. Et nous y revenons inlassablement, telles des mouches fascinées par une charogne. Nos activités adoptent, par rapport à ce bled du Conemara, un va-et-vient de marée. Flux, reflux. L’onde de choc nous oblige de carapater, la faim d’obtenir des résultats nous ramène.