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Ils m’entraînèrent donc et je me félicitais intérieurement d’avoir eu la présence d’esprit de ramasser le revolver d’Amin qui m’était tombé de la main au moment de l’échauffourée et de l’avoir discrètement coulé sous mon aisselle, seul endroit propice à un relatif camouflage, compte tenu de ce que je me trouvais complètement nu, sauf votre respect, mon cher abbé. Toujours sauf votre respect, je me trouvais encore en état d’érection, et même d’insurrection sensorielle et, pendant mon transport (en commun), ma petite camarade Coquette semblait diriger la Cinquième avec la maestria d’un von Caravane grand concert. En la voyant passer, les dames présentes la regardaient d’un air ému, l’œil et la chatte humides, mesurant combien il était dommage de laisser se perdre dans les abysses de l’inemployé une vigueur à ce point bien conformée.

Imaginez des petits Biafrais regardant fondre une motte de beurre au soleil ; ou bien M. Chirac apprenant la démission du président de la République alors qu’il est en quarantaine dans une île du Pacifique pour y avoir attrapé quelque mauvaise peste plus ou moins bubonique.

Donc, ils m’évacuèrent, mon bon abbé. Et me descendirent jusqu’au sous-sol. Comme ils me véhiculaient sans grand ménagement, en cours de route, le revolver me chut de l’aisselle et ricocha sur les marches, ce qui m’amena à me traiter de con et à traiter le sort de fumier.

Décidément, ma position restait critiquissime ; le seul côté positif — ô combien ! — résidant dans le fait qu’ils ne m’avaient pas mis à mort.

Nous parvînmes dans un grand local voûté qui sentait la tourbe. Il avait de bonnes raisons pour cela, car une moitié de son volume était occupé par des briques de tourbe agglomérée, à la découpe plaisante, lisses et compactes. Dans la partie demeurée disponible se trouvaient trois personnes méchamment enchaînées.

En les voyant, mon sang ne fit qu’un tour. Après quoi, il continua, Dieu thank you, d’en faire d’autres.

Mais que je te dise, l’abbé.

* * *

Sur les trois personnes que je te cause, il y en a une que je n’ai jamais vue, mais comme il ne s’agit pas de la plus importante, je te la laisse pour ta collection privée. Il s’agit d’un bonhomme qui ressemble un peu à Spencer Tracy, quand il était vivant bien sûr. La seconde est une dame, celle qui jouait à l’infirmière chez les Aïlikitt et qui trucida si proprement le maître de maison. La troisième, tu l’auras deviné sans doute, à moins que tu n’aies déjà lu le paragraphe ci-joint, la troisième, mon chéri…

La troisième personne n’est autre de Vernon O’Bannon.

Pan, dans les carreaux ! Chope et va à l’essai, mec ! Si t’aimes pas ce genre de coup de théâtre, je vais te faire préparer une omelette norvégienne au lard.

On m’enchaîne à mon tour, car il s’agit bien de véritables chaînes, avec des bracelets d’acier pour les chevilles (si on peut se risquer à appeler bracelet des trucs qu’on te met aux jambes). Et puis on me laisse. Un jour médiocre, blafard, filtre par un soupirail dont la vitre est grise de poussière. Je considère mes compagnons avec apitoiement, car, ce que je ne t’ai pas encore révélé, c’est que tous trois ont le front tuméfié, brûlé, cloqué, bistouqué.

— Salut, la coterie ! lancé-je joyeusement, et pardon de me présenter à vous dans un aussi simple appareil, ce sont ces braves gens qui m’ont déshabillé.

Ils me friment avec des expressions vachement fanées, tous.

— Si on parvient à s’arracher d’ici, continué-je, il ne vous restera plus qu’à vivre en France, après vous être fait naturaliser russe ou polonais.

— Pourquoi ? demande sèchement O’Bannon.

— Parce que vous aurez le mot « slave » imprimé au front. Chez nous, il n’a pas la même signification que chez vous et qualifie quelqu’un appartenant au groupe des Russes, Tchèques, Polaks, etc.

Là-dessus, je décide de leur laisser le crachoir, malgré toutes les questions qui me carbonisent les muqueuses buccales.

C’est un bon procédé.

Un nouveau arrive dans une geôle, ceux qui s’y trouvaient avant lui ne peuvent résister au besoin de lui parler.

Et ça ne manque pas.

— Comment êtes-vous arrivé ici ? questionne le compagnon d’O’Bannon.

— En charrette à âne.

— Ils vous ont eu ?

— Comme vous pouvez le constater, mais moi en revanche, j’ai eu le grand Amin Dada. Vous serez les premiers à apprendre le décès à la fleur de l’âge de cet illustre personnage.

La nouvelle n’a pas l’air de les épater.

— Le type d’en haut ? demande l’infirmière.

— Amin, oui.

Elle hausse les épaules.

— Ce n’est pas Amin, mais sa doublure.

Merde !

Voilà, je n’ai qu’un mot pour traduire mon état d’âme en français : merdre. Son sosie ! Sa doublure ! Mais naturellement. Et la voix au talkie-walkie était celle du vrai Dada. Et c’est lui qui a crié à ses sbires d’ici de ne pas hésiter à buter l’autre pour reprendre la situation en main !

Et qui est-ce qui l’a dans le babe ? Le Santa joli !

— Mais alors, où est le vrai ? demandé-je à la cantonade.

— A bord d’un navire, hors des eaux territoriales.

Le veau, la vache, le cochon, la couvée !

— Mais, dis-je, que manigance-t-il ? Pourquoi ce commando en Irlande ? Et qu’avez-vous à voir avec lui, mister O’Bannon ?

Comme tu le vois, mes belles résolutions de silence-destiné-à-déclencher-les-confidences ne tiennent pas. Trop de questions se coincent dans ma gorge, dévastent mon esprit, font craquer ma nervouze. Seulement, le trio n’a pas envie de répondre. Ces trois personnages sont calmes, certes, mais abattus. Ils se trouvaient lancés dans une opération qui a capoté. Ils savent se résigner, ce qui ne les empêche pas de ruminer des amertumes. Alors, la causette, à la tienne, ils la laissent pour le Café du Commerce.

Depuis la cave, on continue d’entendre la radio, comme quoi Sa Gracieuse Majesté est parvenue à Westminster dont on entend le carillon. Alleluia ! Loué le Yahweh ! Vive ! Vive ! Couronne is good for God ! Et l’Edimburg, il gode, lui ? Je voudrais le voir s’embourber mémère, le soir à la chandelle. Sa Majesté vergetée de first ! Pip pip pipe hurrah !

Un peu plus tard, le chef de la bande de pieds-plats du haut, celui qui a les cheveux frisés et une pointe Bic, se pointe, entouré d’une demi-douzaine de lascars. Il nous examine d’un œil vaguement indécis, semblant opérer un choix, comme le militaire au bordel qui met en compétition pêle-mêle, gentillesse et doudounes, air salingue et cul pommé.

Il est infiniment sérieux, ce garçon. Enrichi, dirait-on, par ses prérogatives, ce qui est fréquent chez la plupart des individus investis d’un quelconque pouvoir qui les différencie.

Il désigne l’infirmière.

— Elle ! dit-il vraisemblablement en africain.

On déchaîne, non pas un tollé général, mais la dadame qui envoya ad patres le pauvre assureur, et ils l’entraînent vers l’escalier. Elle est verte de peur, mais courageuse.

J’interpelle le big chief :

— Hé, Fleur de Tropique ! Ça ne vous ennuierait pas de prévenir le père Amin que j’ai un message important à lui transmettre ?

L’autre me défrime méchamment, puis il me désigne à ses péones, du même geste qu’il vient d’avoir pour sélectionner la fille. On m’ôte déjà mes fers et je me joins au cortège.

Te dire que je suis rassuré quant à la finalité de mon séjour ici, ce serait te mentir. Or, tu connais mon souci maniaque de franchise intégrale. Chez l’ami Santa, c’est de la cuisine au beurre : la vérité, rien que la vérité, toute la vérité, et quand y a pas de vérité en réserve, on en invente ; jamais laisser le lecteur manquer de vérité.