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Et la voici qui me papote aimablement toute l’historiette aussi abra qu’adabrante. Donc, le Vernon (qui doit se la faire, j’en mettrais ma burne droite — la plus belle — au feu) décide de faire cavalier seul. Il soutire un maxi d’osier à Amin, mais alors du pognozoff épais, espère ! Pour faire joli, il en cloque un brin à l’I.R.A., un autre brin à l’Irapa que dirige un pote à lui, le Dr Mârtine. Mais des févettes comparés à ce qu’il engourdit. Son objectif, tu veux que je te le fasse part ?

Amener Amin Dada en Irlande, clandestinement, s’assurer de sa personne, lui faire signer un paquet de titres de propriété des terrains uraniés, pétrolés, nutsés, kimorangés, diamantés, lesquels titres sont dûment notariés, tout bien. Et puis carboniser le père Dada. Du coup, de riche, Vernon O’Bannon devient puissant, tu piges ? L’un des gus les plus importants of the world (comme on dit au C.E.S. de Bernay). Ça devait être son Austerlitz. Hélas, c’est son Waterpolo ! Mais basta ! Ce qui flanque tout par terre, c’est la réaction de la Maf quand elle apprend, cette coquine, que le gars O’Bannon joue sa partie en solitaire. Du coup, c’est l’ordre d’équarrissage et Vernon n’a que le temps de disparaître, aidé par ses plus féaux lieutenants, dont ma camarade de crocodiles, son mari…

Du temps qu’elle explique, poussée par un intense besoin d’épanchement, je continue de m’escrimer les liens sur la dent de lion. Le deuxième croco tortore un bras, à présent. Il bouffe à la façon de Béru, en force, sans prendre le temps de mâcher ses aliments.

Son pote dort, quant à lui, à la manière de Pinuche, c’est-à-dire menu, avec juste le petit sifflement de sa respiration par les trous de nez.

Et la gonzesse me tient brandi son bijou à la noix (je déteste les trophées) de ses mains liées, exsangues et qui tremblotent. Son front tuméfié par le cachet de fer rougi ne parvient pas à neutraliser sa beauté d’aventurière farouche, de fière pasionaria fascinée par les hauts faits d’un truand irlandais.

Elle lui a consacré sa vie et elle va sans doute mourir à cause de lui, mais sans regrets. L’impact de Vernon sur ses contemporains est si fort que le mari n’y a pas résisté non plus. Au reste, beaucoup de cocus admirent l’amant de leur épouse et se complaisent dans son ombre.

La suite, c’est presque moi, selon ma vaniteuse habitude, qui la lui récite. Vernon a décidé de venir en Irlande pour exécuter son plan. Mais il doit y vivre dans une planque sûre s’il veut échapper à la Mafia. Alors il se souvient du père O’Goghnaud. Le vieillard est retiré dans un monastère, mourant. Vernon fait enquêter sur sa famille. L’ecclésiastique a un neveu dans leur pays natoche. Il n’hésite pas à administrer à l’un de ses enfants une toxine vacharde pour le rendre très malade. Comme il possède son contrepoison, il lui est aisé de sauver l’enfant et d’avoir dès lors barre sur le gars Aïlikitt qui tient à sa progéniture et se déclare prêt à tout ce qu’on voudra. On l’envoie récupérer le vieux moribond qu’on transforme en mort authentique. On planque le cadavre. O’Bannon prend sa place, grimé. Ainsi est-il paré. On peut fouiller l’Irlande, nulle part on ne trouvera un habitant supplémentaire. Le mari de l’infirmière, promu docteur, fait la liaison. Le coup contre Amin continue de s’échafauder.

La date du jubilé arrive. Mais…

Mais la Mafia, qui veut coûte que coûte « récupérer » le transfuge, met Thomson en piste. Et Thomson viendra me demander assistance bel et bien, tout comme il l’avait prétendu.

Mais Cathy, la fille unique de Vernon, se met elle aussi en campagne.

Mais l’argent versé aux organisations secrètes attise la guerre entre elles, et un beau vilain jour, un commando de l’I.R.A. vient dessouder la sainte famille Martin, pile au moment que la Cathy s’y trouve. En plein scrafage général j’interviens. La môme, miraculeusement, est donc amenée à servir de paravent au dernier tueur vivant. Sortie au pas de charge, comme précisé en son temps. Mais les gars du commando sont venus massacrer les Martin. Ils ne vont pas s’encombrer d’une gonzesse ni la buter en pleine fuite. Ils se contentent de la balancer. Par ailleurs…

Poum ! mes liens viennent de craquer. Raymond Aron avait parfaitement raison : l’incisive de lion sectionne parfaitement la fibre de couillardier. J’ôte le bijou de la charmante poitrine et me mets à trancher les liens de mes chevilles. La dernière fibre est particulièrement coriace. Aussi dois-je m’escrimer.

— Comment se fait-il que tout ait foiré, mon petit loup ?

— A cause de vous.

— De moi ?

— Votre arrivée nous a obligés à fuir et à brusquer les choses. Vernon a voulu tenter le coup de main contre Amin. Mais le gros sac à malice avait pris ses précautions et dépêché un sosie en avant-garde : l’homme qui lui servait à jeter de la poudre aux yeux des observateurs étrangers. Grâce au second Dada, on l’annonçait dans deux lieux différents à la fois et les journalistes y perdaient leur latin. Nos batteries dévoilées, le tyran ougandais nous a fait emprisonner et marquer au fer rouge, comme du bétail, car il a la haine du Blanc et ne perd jamais une occasion de l’humilier avant de le détruire plus ou moins ouvertement. Et tout cela par votre faute ! Si vous n’étiez pas venu fouinasser à Oughterard, chez les Aïlikitt, nous aurions pu prendre notre temps et ne serions pas tombés dans un piège. Mais à cause de vous il a fallu faire face à des tas de situations imprévues, comme par exemple la présence de Thomson qui vous filait et qu’on s’est fait un plaisir de liquider dans votre voiture. Ou comme à Dublin, dès votre arrivée, quand un policier s’est intéressé à vous et que l’un des nôtres qui vous surveillait l’a abattu plus pour se débarrasser de vous en vous compromettant que pour liquider un flic, bien que cela fasse partie du plan « désordres » promis à Dada.

— Et vos compagnons, ces « autres » dont vous parlez, où sont-ils ?

— Au diable ! riposte-t-elle méchamment. Imaginez-vous que Vernon allait garder le contact avec eux longtemps, pour risquer d’être démasqué ? Il avait bien assez à faire avec vous ! Vous n’êtes qu’un…

Sa phrase s’achève par un hurlement démentiel. Oui, je pèse mes mots : démentiel ! Et tu ne me feras pas rectifier, bougre d’ahuri, inculte, moudu, tocard, foireux !

Elle hurle démentiellement because le croco somnoleur s’est réveillé. Et qu’il s’est jeté sur elle pour lui harponner une guibolle. Il l’entraîne dans le bac sanglant pour la briffer. Je me précipite, chope la main désespérée qu’elle me tend.

Craaaac ! Trop tard !

La guibolle sectionnée ! Sec ! Au-dessus du genou. Elle s’est évanouie sous l’effet de la douleur. Et le deuxième odile (on dit toujours croco, faut changer, d’ailleurs c’est une femelle) qui raffole de la cervelle lui glaoupe le citron. Ploc ! Adieu, Marjolaine ! Fin de section.

C’est le cas d’y dire.

Mon ultime lien a lâché.

Tandis que croco et odile font bombance, le gars Moi-même dégonde la lourde d’un formide coup d’épaule.

Je me précipite chez Térieur (il se prénomme Alex).

Je suis nu de plus en plus. La réaction m’amène à claquer des dents, moi qui n’ai peur de rien. Nu, avec juste une dent de lion en guise de talisman, c’est pas béniche pour se sortir d’un tel merdier.

D’autant que j’entends cavalcader tout azimut dans la strasse. Ça effervesce en plein, comme si on levait le siège. Pour en savoir plus, je me fourre dans le réduit aux balais situé entre les chiottes et la cuisine.

On crie de partout. On lance des ordres. Des injonctions de coordination. Des interjections de suprématie. Des injections de permenganache ! Venant du sous-sol, une rafale de mitraillette. Rrrrrrraaannnnn ! Une seconde : rrrraaaannnn !