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La petite Cathy serait orpheline que ça ne m’étonnerait qu’à quart (tu vois : pas même à moitié).

Dehors, une bagnole ronfle, décarre en trombe. Piétinements, cric, cris. Cricri ! Grigris ! Cours-moi après que je t’attrape ! C’est Annibal levant le siège de devant la Société Protectrice des Annibaux et filant au volant de son Amilcar faire une partie de dames avec six pions (l’Africain).

Une deuxième voiture dégage itou. Et puis une troisième qui doit se trouver devant la maison.

Le silence revient très rapidement.

Et très relativement.

Car la radio continue de tohubohuter. Et sais-tu ce qu’elle raconte, la radio ? Un truc qui explique la fuite éperdue de ces messieurs et dames.

Je laisse la voix (au chapitre) du speaker :

« Il est confirmé que le président Amin Dada dont on était sans nouvelles se trouve en Irlande. Il se livre à un coup de main dans le comté de Galway, très exactement dans la localité d’Oughterard. D’énormes forces de police sont en route pour cerner la localité. Nous vous informerons dans les minutes qui viennent de l’évolution de la situation. »

CHAPITRE XXX

L’évolution de la situation.

Que vous dire encore, mon cher président ?

Que je sortis de mon placard et visitai la maison ?

Que j’y trouvis le cadavre du recherché O’Bannon criblé de vilaines balles tirées à la va-comme-je-te-tue par un meurtrier pressé. Ainsi que le cadavre de son compagnon. Qu’après quelques recherches, je dénichas mes hardes et les réintégris.

Qu’ainsi revêtu et décent, j’allis faire un signe de croix dans le local aux crocodiles où ce couple de sauriens était en train de manger son pain blanc le dernier.

Puis courus à la route où le boucher du coin accepta volontiers de me prendre à bord de sa fourgonnette de marque malgré tout britannique.

Et qu’il m’expliqua, ce digne enfariné, que la gracieuse localité d’Oughterard vivait un drame historique, vu que le maréchal Amin Dada, enfermé dans la maisonnette de la chaisière du pays, était en train de torturer icelle de première ; poussant la cruauté jusqu’à lui laisser le buste à demi défenestré afin qu’elle pût clamer ce qui lui arrivait.

Quelques obscurs kilomètres déguisés en miles nous séparaient seulement du lieu de la tragédie.

Nous les franchîmes.

Et nous arrivâmes au carrefour marqué par la vitrine d’un marchand d’articles de pêche dont l’achalandage me laisse à rêver. Non loin, une maison basse. Au premier étage, effectivement, rameutant la foule massée en demi-cercle, une corpulente dame dont le buste donnait sur la rue et qui se trouvait séparée de l’intérieur par la fenêtre à guillotine baissée sur sa taille, clamait qu’elle souffrait mille morts. Et que le maréchal Amin Dada la torturait avec véhémence. Des gens munis de jumelles confirmaient la chose, assurant qu’ils voyaient et reconnaissaient parfaitement le célèbre chef d’Etat dont la radio avait laissé entendre qu’il se trouvait en Irlande.

Je prias l’un des assistants à jumelles de bien vouloir me confier son instrument d’optique, et il accepta malgré que je fusse mal vêtu avec l’accent français.

Naturellement, je reconnus Bérurier, au-delà de la vitre. Il grimaçait et criait des choses furieuses que l’on n’entendait pas.

Alors, courageusement, et malgré les supplications de la foule et les injonctions de permanganate (cette fois) de la police qui attendait des renforts, je m’élançai dans la maison de la dame.

* * *

Nouvelle porte défoncée d’un coup d’épaule.

Mais elle livre accès à une merveilleuse vision.

Bérurier plaqué à la dame, dans une posture qui ne permet aucun doute. Le pantalon tombé. Ce deuxième faux Amin exhibe un derrière blanc, poilu, copieusement fendu, agrémenté de cicatrices.

Il se détourne, m’avise.

— De Dieu, tu tombes à pic ! C’est l’coup d’Bruxelles qui r’commence. T’t’rappelles, av’c ma Japonaise1. C’est ben l’comb’, à c’t’heure. V’là que chaque fois que j’empétarde une frangine un peu mignarde de l’oigne, ça m’fait comme aux clébards : j’peux plus me la séparer. Et alors là, alors là, le bouquet, mec ! Figure-toi que j’lu fais connaissance c’matin. J’attendais l’ouverture du pube. Ell’ m’aborde : « Mon Dieu, qu’elle fait, y m’a semblé, en anglais, vous n’êtes pas le maréchal Amin Dada ? » Du moment qu’ç’aurait l’air de lu êt’ agriable, je lu rétroque qu’si. Bon, j’la chambre. Ell’ m’amène dans sa tome. J’lu passe quéqu’z’agaceries mutines : deux doigts dans le minouche, une langue su’les loloches, tout ça bien, recta, rectum, verso, tout.

« Et c’t’bonne dame, voilliant que j’vas concrétiser, elle m’esplique en p’tit nègre qu’elle a envie que je la chibre par-derrière. Moi, qu’est-ce j’en avais à fout’ ? J’dis banco, n’étant pas racial ni sectaire. Alors, mistresse se trousse, s’accoude à sa fenêtre et j’l’embroque. C’te posture m’arrangeait d’autant mieux qu’en me déguisant en bougne, j’m’étais pas passé à la cire les parties géniales et qu’un zob blanc monté su’ un Noir, même qu’é croive qu’il est Amin Dada, ça l’eusse surprise, non ? Très bien. Je t’lu fais un calçage tout t’azimut, quand voilage-t-il pas que c’te foutue f’nêt’ de merde lu dégringole su’ les endosses, à mémère. Oh, ma douleur. Ell’ s’met à beugler. Moi, j’veux la relever, mais elle était coinçage. Pour lors, compr’nant que c’te postance peut pas éterniser, j’m’dis : Alexandre-Benoît, faut qu’tu sortes de madame pou’ lu porter aide et assistance. Tu veux que j’te dise ? Im-pos-sible ! L’coup d’Bruxelles, mon pote ! Quand j’ai été obligé d’aller au docteur av’c la Japonaise en f’sant semblant qu’en porte un guéridon pou’ nous masquer l’enfilade. »

Quand il se tait, je m’empare d’une chaise et m’y laisse choir. Cette fois, c’en est trop. Je rigole à en crever. A ce point, c’est torturant comme une crise de coliques néphrétiques.

— Et ça l’fait marrer, c’boug’ de sagoin ! s’enrogne Béru ; j’vous jure qu’y rigole, le nœud !

Je me laisse pouffer jusqu’à plus souffle. Dire que c’est le Gros qui m’a sauvé la mise avec ses exploits tringleurs en passant pour Amin Dada ! Et les sbires du vrai ont cru qu’ils allaient être cernés ! Ah, la farce ! Ah, l’énormité ! Ah, la vie !

— Bouge pas, j’vais chercher un docteur, gars.

Bouger, ça, il ne risque pas.

CHAPITRE XXXI

Alors voilà, ça finit comme ça…

Le reste de la journée, je le passe avec la Rousse, à Oughterard pour commencer, à Galway ensuite.

Déclarations, rapports, coups de fil au Vieux, témoignages…

Des heures à jacter, à justifier, expliquer…

Le Gros vient me rejoindre, ayant été déculé par le docteur O’Guylaneuf.

Lui aussi confirme, affirme, explique. On lui a adjoint une traductrice, solide petite binoclarde qui ressemble à un tas de pommes et qu’il pelote déjà de la prunelle, cet incorrigible.

A force de, on finit par se retrouver dehors, vu notre innocence, le service rendu au pays, notre qualité de collègues et le reste. Simplement, va falloir demeurer encore quelque temps en Irlande pour les besoins de l’enquête. Normal.

Dans la soirée, on frappe à la lourde du vieux Greeve.

Il est cointché à bloc, le barqueur. Mais il peut toujours jacter. Un Irlandais ivre, c’est un pléonasme. Un Irlandais ivre mort, ça n’existe pas.

— Salut, les gars, tout est O.K. pour vous autres ?