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Je vais à la voiture jaune, parce qu’elle est là, que je suis flic et que nous autres poulagas, comme fouille-merde, je te dis que ça.

J’ouvre la tire, reconnais le parfum discret de la bourgeoisie, l’hume, farfouine dans la boîte à gants, n’y trouve qu’un paquet de caramels à la menthe entamé, une carte routière de l’Irlandie et puis ça y est, voilà tout. Je mate la plage arrière, mais y a juste un dépliant du Régionne Tourist Offices sur les maisons de maître transformées en hostelleries. M’en prends alors au coffiot, seulement il est fermé à clé. Je cueille les caroubles au tableau de bord. Elles sont deux : celle pour le contact, l’autre pour les lourdes. Mais impossible d’ouvrir ce putain de coffre que la serrure doit être faussée ou j’ sais pas. Le rouquin désaffecté m’approche en me disant à travers ses extinctions de voix, consécutives à son pub habituel, que la malle peut plus s’openner et que les gens avaient dû empiler leurs valoches sur le siège arrière. Tu vois ? Moi, l’éternel insatisfait, qu’arrive à ses fins en toutes circonstances, je me sers de mon sésame. Parce que pour ce fripon, y a pas plus de serrures faussées que de radiations atomiques dans la culotte d’Elisabeth two. Faut tout de même bricoler un bout de temps avant d’obtenir satisfaction. Et puis cela finit par céder.

Je soulève le couvercle en éprouvant un léger quelque chose qui ressemble à de la prémonition, ce qui est ultra-normal, non ? Car pourquoi t’aurais-je raconté tout ça si ç’avait été pour me trouver devant une malle vide ? Tu t’attends au pire, hein, Bazu ? T’imagines tout de suite le méchant drame que je t’ai habitué : le cadavre, la tête sectionnée ou autre ? Eh ben, c’est autre chose, navré de te décevoir. Il y a dans ce coffre un grand carton plein de genêts fleuris. Je passe la pogne dans les branchettes pour m’assurer. Je fais bien. Mes doigts rencontrent très vite du dur, du rond, du froid. Le temps d’un léger va-et-vient sous les fleurettes et je dégauchis une mitraillette. Je la laisse en place, sans sourciller car le garde-tires me visionne à travers ses yeux couleur de Guinness dans le soleil couchant. Je retire le carton du coffre en faisant semblant qu’il est léger, rabats le couvercle négligemment.

— Il serait dommage de laisser perdre ces ravissantes fleurs, dis-je à mon aimable compagnon.

Lui, pas tellement poète, renifle un grognement plantigradesque. Les genêts en fleurs, il en a rien à branler, vu que ça n’a jamais gagné une course de chevaux ni eu le goût de wiskey (parce que là-bas, ils disent jamais whisky, pour faire chier les Rosbifs). Je le salue d’un sourire plus irradieux que le dépliant agrafé au milieu de Lui (ce qui ne veut pas dire que mon sourire soit con).

— Salut, l’ami !

* * *

Un taxi vient de décharger devant l’hôtel, ce dégueulasse. Je le hèle. Avec mon carton fleuri sous le bras je fais un peu Chpountz.

— Vous êtes libres ?

— Yé.

— Parnell Street !

— Va te chier, sale con ! me dit-il à peu près, car certains termes sont rétifs à la traduction.

Et il démarre en trombe, et on peut même ajouter en trompe, car y a une réclame pour le Thé Eléphant sur la vitre arrière de son carrosse.

Le portier, dont j’ai lubrifié la patte naguère, s’approche.

— Des problèmes, sir ?

Je lui explique. Son masque mortuaire ressuscite un instant pour sourire d’apitoyage.

Il tend le bras pour me montrer une rue voisine.

— At the corner, sir. Just at the corner !

J’aurais dû me gaffer que la petite mère Cathy créchait à proximité du garage.

* * *

Dublin, je vais te dire, la main sur le cœur : ça ne vaut pas un coup de cidre. C’est gris, c’est morne, ça fait capitale provinciale et, sans quelques mignonnes fillettes dont la chevelure est immuablement d’un châtain clair à reflets roux, tu te referais reconduire dare-dare à l’aéroport. Outre ces donzelles, la seule chose qui suscite quelque intérêt, ce sont les portes.

L’Irlandais a le goût de la porte, comme le Rosbif a celui-de la pelouse et le Français celui du comptoir.

Les lourdes de chaque immeuble sont cintrées, flanquées de colonnes, ornées de magnifiques heurtoirs en cuivre, laquées, mignardées, fourbies.

Celle du Dr Stephen Martin, tu peux la flasher pour ton album, elle vaut qu’on en gravisse le perron.

Elle comporte des colonnes doriques, une imposte garnie de fer forgé, un loquet que ça représente une main de femme en train de se chatouiller le clito, un trappon de boîte aux lettres ciselé, plus des trucs et des machins pour achever d’en faire une œuvre d’art à part entière. Je fais dong-dong-dong et dong au moyen du heurtoir. Une pimpante commère (elle est de Windsor) vient m’ouvrir, accorte, comme on dit puis, avec son blanc tablier et son bonnet dentelé.

— C’est une livraison ? elle questionne par-derrière son bec-de-lièvre.

— Oui, dis-je, mais qui nécessite une démonstration, aussi est-il indispensable que je rencontre le docteur Mââârtine.

— Il est en train de prendre son lunch.

Je sais qu’en ces contrées, la loi du lunch prime tout.

— Qu’à cela ne tienne, réponds-je, je vais l’attendre.

Elle consent sans la moindre rechignerie, en femme docile pour qui l’existence est sans problèmes majeurs. Me fait pénétrer dans un petit salon d’attente, meublé de fauteuils en raphia et dont sur les murs desquels c’est plein de jolies photos représentant des couchers de soleil sur la mer. Un vieillard mironton s’y trouve installé, beau comme un casse-noix sculpté, et hardé en mendiant. Il ouvre sa bouche pour me dire « Hello ! », j’ai le temps de compter ses dernières dents : il lui en reste deux, et encore je ne voudrais pas devoir m’accrocher après si je n’avais qu’elles pour m’empêcher de glisser dans un précipice.

Je dépose le carton sur une table basse, juste à côté d’une revue dont la couvrante représente Gagarine revenant de sa balade cosmique.

— C’est des genêts ! m’assure le débris en me montrant ma boîte en carton.

— Oui, je crois bien, réponds-je.

Il se penche sur les fleurs.

— C’est tout ce qu’il y a des genêts, ratifie le vieillard.

— A n’en pas douter, crois-je opportun d’ajouter.

Il plonge la main dans le carton.

— J’aime les genêts, déclare-t-il.

— Ecoutez, moi c’est pire : je les adore, fais-je en retirant la boîte de sa sénile portée.

Et pour faire diversion :

— Vous êtes malade ? m’empressé-je de lui demander.

— Oui, c’est l’âge, prédiagnostique-t-il.

— On ne peut avoir été et être, soupiré-je.

Il réfléchit.

Longtemps.

— Certes, concède enfin le vieillard.

Un silence. Je l’approfite pour écouter les bruits de la maison. Il me semble percevoir des tintements de vaisselle et un bourdonnement de conversation dans une pièce voisine. Après tout, je ne vois pas pourquoi j’attendrais que ces gnafs aient fini de bouffer leurs cakes et autres marmelades pour leur parler.

Je reprends mon carton sous le bras et me dirige vers la porte.

— Vous repartez ? s’étonne le gériatreux.

— Je vais faire analyser mes urines, expliqué-je.

J’ai déjà la main sur le loquet quand un coup de heurtoir énergique fait résonner la maison (en anglais the house). Je sursois à mon désir d’interviendre. La grosse commère arpente le vestibule et délourde.

— De quoi s’agit-il ? elle s’enquiert.

Mais le visiteur ne doit pas répondre, ou alors par gestes, car je ne perçois pas sa voix.