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Il se rappela la première fois qu’il avait vu le vaisseau-arbre d’un kilomètre de long en train de se rapprocher du lieu de rendez-vous. La forme de l’Yggdrasill était rendue floue par les multiples champs de confinement, générés par des ergs ou par des machines, qui entouraient le vaisseau d’une sorte de cocon de brume à travers lequel la coque de feuilles brillait cependant de mille lumières qui perçaient à travers les parois minces des coursives, les nacelles à environnement contrôlé, les passerelles de commandement, les échelles et les berceaux de verdure ou de manœuvre. À la base du vaisseau-arbre, des sphères abritant les machines ou la cargaison s’agglutinaient comme des gales géantes tandis que les traînées des systèmes de propulsion, mauves et bleutées, prolongeaient le tronc comme un réseau de racines effilochées longues de dix kilomètres.

— On nous attend, murmura Het Masteen en hochant le menton en direction des coussins bas où les bagages du consul attendaient, prêts à s’ouvrir à son commandement.

Le Templier s’absorba dans la contemplation des nervures de bois de vort tandis que le consul revêtait sa tenue de semi-apparat pantalon noir sans pli, chaussures vernies, chemise de soie blanche bouffante aux manches et à la taille, cordelière à curseur en topaze, vareuse noire mi-longue, épaulettes à taillades écarlates de l’Hégémonie et tricorne doré. Une partie de la paroi incurvée lui servant de miroir, il contempla avec complaisance l’image d’un homme d’âge plus que mûr en semi-uniforme, à la peau tannée par le soleil, mais étrangement pâle au-dessous des yeux tristes. Plissant le front, il se détourna subitement.

Het Masteen fit un geste quelque peu impatient, et le consul suivit la haute silhouette, drapée de la tête aux pieds, à travers le diaphragme de la nacelle, puis sur un pont incliné qui s’enroulait à perte de vue dans les hauteurs de l’écorce massive du vaisseau-arbre. Le consul s’arrêta, se colla contre la paroi du pont découvert opposée au vide, et fit un pas en arrière. Il y avait au moins six cents mètres de vide au-dessous de lui, la sensation de bas étant produite par la gravité d’un sixième de g standard que créaient les singularités emprisonnées à la base de l’arbre. Et il n’y avait pas le moindre garde-fou.

Ils reprirent leur ascension silencieuse, et quittèrent le tronc principal trente mètres et une demi-spirale plus haut pour traverser un pont suspendu d’aspect fragile qui les mena jusqu’à une coursive de cinq mètres de large. Ils suivirent cette coursive vers l’extérieur jusqu’à ce qu’ils arrivent à un endroit où le foisonnement du feuillage retenait tout l’éclat du soleil d’Hypérion.

— Est-ce que mon vaisseau a été sorti de cale ? demanda le consul.

— Le plein est fait, et il vous attend dans la sphère n°11, lui répondit Het Masteen tandis qu’ils passaient dans l’ombre du tronc et que les étoiles devenaient visibles à travers les trouées du feuillage. Les autres pèlerins sont d’accord pour descendre avec vous si les responsables de la Force vous y autorisent.

Le consul se frotta les yeux. Il aurait préféré avoir un peu plus de temps pour se remettre du choc cryotechnique.

— Vous êtes déjà entré en contact avec eux ? demanda-t-il.

— Bien sûr ! Ils nous ont fait des sommations dès l’instant où nous sommes sortis du saut quantique. Un vaisseau de guerre de l’Hégémonie nous « escorte » en ce moment.

Le Templier fit un geste vague en direction d’une partie de l’espace au-dessus d’eux. Le consul plissa les yeux pour essayer d’apercevoir quelque chose, mais les branches supérieures sortirent à ce moment-là de l’ombre du tronc, et chaque feuille de l’arbre s’embrasa des couleurs du couchant. Même dans les endroits encore plongés dans l’ombre, des oiseaux lampyres étaient perchés comme des lanternes japonaises au-dessus des coursives éclairées, des lianes luminescentes et des ponts suspendus phosphorescents, tandis que les lucioles de l’Ancienne Terre et les somptueuses diaphanes d’Alliance-Maui luisaient par intermittence, comme pour se frayer un chemin codé à travers les labyrinthes du feuillage, en se confondant suffisamment avec les constellations pour tromper l’œil du voyageur le plus habitué aux espaces interstellaires.

Het Masteen s’avança dans un panier élévateur suspendu à un câble en filaments de carbone renforcés qui se perdait dans les trois cents mètres de frondaisons au-dessus d’eux. Il remarqua que les coursives, nacelles et plates-formes étaient curieusement désertes à l’exception de quelques Templiers et des clones d’équipage qui les suivaient comme leur ombre. Le consul ne se souvenait pas d’avoir aperçu d’autres passagers durant l’heure bien remplie qu’il avait passée entre le rendez-vous spatial et sa mise en fugue. Il avait attribué cela à l’imminence du saut quantique, pensant que les autres passagers étaient déjà confortablement installés dans leurs caissons de fugue, mais le vaisseau voyageait à présent bien en dessous des vitesses relativistes, et ses branches auraient dû être chargées de passagers le nez en l’air et la bouche ouverte. Il fit part de son étonnement au Templier.

— Nous n’avons que six passagers pour ce voyage, lui répondit Het Masteen tandis que le panier s’arrêtait au milieu d’un entrelacement de branches.

Le commandant du vaisseau-arbre le précéda alors sur les marches de bois d’un escalier poli par l’âge, qu’il gravit agilement. Le consul cligna des paupières, surpris. Normalement, un vaisseau-arbre templier transportait de deux mille à cinq mille passagers. C’était, de loin, la manière la plus agréable de voyager entre les étoiles. Les vaisseaux-arbres accumulaient rarement un déficit de temps de plus de quatre ou cinq mois, réduisant leurs traversées touristiques aux endroits où les systèmes stellaires n’étaient distants entre eux que de quelques années-lumière et faisant en sorte que leurs riches passagers passent aussi peu de temps que possible en état de fugue. Un aller-retour pour Hypérion, représentant six années entières de temps retzien, sans aucun passager payant à bord, devait être une véritable catastrophe financière pour les Templiers.

Le consul s’avisa alors, en se reprochant d’avoir été si long à comprendre, que le vaisseau-arbre était l’instrument idéal de l’évacuation qui se préparait. Les dépenses occasionnées incomberaient, de toute évidence, à l’Hégémonie. Cependant, il ne pouvait s’empêcher de se dire que le fait d’introduire un vaisseau aussi luxueux et aussi vulnérable que l’Yggdrasill – il n’en existait que cinq en tout comme lui – dans une zone de combat représentait un risque terrible pour la Fraternité des Templiers.

— Et voici les pèlerins qui vous accompagneront, annonça Het Masteen.

Il s’avança, suivi du consul, sur une large plate-forme où un petit groupe attendait à une extrémité d’une longue table en bois. Au-dessus d’eux, les étoiles scintillaient d’un éclat ardent, basculant occasionnellement lorsque le vaisseau-arbre subissait un mouvement de lacet ou de tangage, tandis que de part et d’autre du tronc une sphère de feuillage dense s’écartait en s’incurvant comme l’écorce verte de quelque fruit géant. Le consul avait identifié cette plate-forme comme la salle à manger privée du commandant avant même que les cinq autres passagers ne se fussent levés pour laisser Het Masteen prendre place à une extrémité de la table. Il ne restait qu’un seul fauteuil inoccupé à la gauche du commandant, et il s’y assit.