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Il travailla sur Lusus durant toute une année standard pour économiser un peu plus de six mille marks. Soumis à une gravité égale à 1,3 par rapport au standard terrestre, il eut amplement le temps de s’adapter aux conditions martiennes, de sorte que, lorsqu’il eut enfin de quoi se payer le passage pour Alliance-Maui sur un antique cargo à voiles solaires équipé de réacteurs Hawking bricolés, Kassad pouvait toujours être qualifié de grand et maigre selon les critères généralement en vigueur dans le Retz, mais cela ne l’empêchait pas de posséder une musculature qui donnait toute satisfaction en quelque lieu que ce fût.

Il arriva sur Alliance-Maui exactement trois jours avant le début de la sale et impopulaire Guerre des Îles. Au bout de quelque temps, le commandant interarmes de la Force sur le Site n°1 en eut tellement assez de voir le jeune Kassad faire antichambre devant son bureau qu’il l’autorisa à s’engager dans le Vingt-troisième Régiment d’Approvisionnement comme pilote auxiliaire d’hydroptère. Onze mois standard plus tard, le caporal Fedmahn Kassad du Douzième Bataillon d’Infanterie Mobile s’était déjà vu décerner deux Constellations du Mérite Militaire, une citation du Sénat pour sa bravoure durant la campagne de l’archipel Équatorial et deux médailles pourpres. De plus, il figurait sur la liste des postulants à l’école militaire de la Force, et fut renvoyé dans le Retz avec le convoi suivant.

Il rêvait souvent d’elle. Elle ne lui avait jamais dit son nom, elle ne lui avait même jamais parlé, mais il l’aurait reconnue sans hésitation au toucher et à l’odeur parmi dix mille autres dans l’obscurité la plus totale. Il avait fini par l’appeler Arcane.

Lorsque les autres élèves officiers allaient voir les putes ou se trouvaient des filles dans la population indigène, Kassad restait à la base militaire ou faisait de longues promenades à travers les cités étrangères. Il tenait secrète son obsession, car il savait très bien ce que cela donnerait dans un rapport psychologique. Parfois, durant un bivouac sous un ciel éclairé par des lunes multiples ou dans le ventre à gravité zéro d’un transport de troupes, il prenait conscience du caractère insensé de son histoire d’amour avec un fantôme. Mais il se souvenait alors du petit grain de beauté, sous le sein gauche, qu’il avait embrassé une nuit. Il avait senti palpiter le cœur d’Arcane sous ses lèvres tandis que la terre tremblait sous les coups des canons géants de Verdun. Et il se rappellerait toujours le petit geste d’impatience avec lequel elle avait ramené ses cheveux en arrière en soulevant légèrement la joue qui reposait sur sa cuisse. Les jeunes officiers continuaient donc d’aller en ville ou dans les huttes qui entouraient la base pendant que Kassad lisait des livres d’histoire, courait autour de l’enceinte militaire ou faisait des simulations tactiques sur son persoc.

Il ne fallut pas très longtemps pour que ses supérieurs le remarquent.

Pendant la guerre non déclarée avec les Libres Mineurs des Territoires Périphériques de Lambert, ce fut le lieutenant Kassad qui conduisit les troupes d’infanterie survivantes et les marines à travers le puits de mine de Peregrine, sur le vieil astéroïde, pour évacuer le personnel du consulat et les citoyens de l’Hégémonie qui s’étaient réfugiés au fond.

Mais c’est durant le court règne du Nouveau Prophète sur Qom-Riyad que le capitaine Fedmahn Kassad s’imposa à l’attention du Retz tout entier.

Le commandant du seul vaisseau de la Force Spatiale de l’Hégémonie qui se trouvât à moins de deux années de voyage du monde-colonie était à la surface en visite de courtoisie lorsque le Nouveau Prophète décida de dresser trente millions de chiites de l’Ordre Nouveau contre deux continents entiers de petits boutiquiers sunnites et quatre-vingt-dix mille résidents infidèles, ressortissants de l’Hégémonie. Le commandant du vaisseau et cinq de ses officiers supérieurs furent faits prisonniers. Des messages urgents de Tau Ceti Central affluèrent sur les mégatrans, réclamant que l’officier le plus gradé à bord de l’HS Denieve prît immédiatement des mesures pour régler la situation sur Qom-Riyad, libérer les otages et déposer le Nouveau Prophète, tout cela sans recourir à l’utilisation d’armes nucléaires dans l’atmosphère de la planète. Le Denieve était un vieux patrouilleur du système orbital de défense, qui ne possédait pas le moindre armement nucléaire susceptible d’être utilisé à l’intérieur ou à l’extérieur d’une quelconque atmosphère. Et l’officier le plus gradé à bord était le capitaine Fedmahn Kassad.

Le troisième jour de la révolution, Kassad posa l’unique bâtiment d’assaut dont disposait le Denieve dans la cour centrale de la grande mosquée de Mashhad. À la tête de trente-quatre combattants de la Force, il vit grossir la foule des fidèles en colère jusqu’à trois cent mille personnes uniquement retenues par le champ de confinement du vaisseau d’intervention et l’absence d’ordre d’attaque du Nouveau Prophète. Celui-ci n’était pas sur les lieux. Il s’était rendu dans l’hémisphère Nord pour célébrer sa victoire.

Deux heures après avoir posé son vaisseau, le capitaine Kassad sortit pour diffuser un bref communiqué. Il y disait qu’il était né et avait été élevé en tant que musulman, et que toutes les interprétations du Coran depuis l’époque des vaisseaux d’ensemencement chiites indiquaient sans équivoque possible que le Dieu de l’Islam n’excuserait ni ne permettrait jamais un massacre d’innocents, quels que soient les djihads proclamés par des hérétiques de pacotille comme leur Nouveau Prophète. Kassad avait ensuite donné trois heures aux dirigeants des trente millions de fanatiques pour lui remettre leurs otages et rentrer chez eux, sur le continent désert de Qom.

Au cours des trois premiers jours de la révolution, les armées du Nouveau Prophète avaient occupé la plupart des villes importantes des deux continents et pris plus de vingt-sept mille otages hégémoniens. Des pelotons d’exécution s’étaient occupés, jour et nuit, de régler les anciennes querelles théologiques. Selon les estimations de Kassad, au moins deux cent cinquante mille sunnites avaient été massacrés les deux premiers jours de l’occupation. En réponse à l’ultimatum, le Nouveau Prophète fit savoir qu’il mettrait tous les infidèles à mort immédiatement après son intervention télévisée en direct prévue dans la soirée. Il ordonna également que l’assaut soit donné contre le vaisseau d’intervention.

Évitant l’emploi d’explosifs trop puissants à cause de la grande mosquée, la Garde Révolutionnaire n’avait à sa disposition que des armes automatiques, des canons à énergie, des charges au plasma et les vagues d’assaut de ses fantassins. Le champ de confinement tint bon.

L’allocution télévisée du Nouveau Prophète commença un quart d’heure avant l’expiration de l’ultimatum de Kassad. Le Nouveau Prophète y disait en substance qu’il partageait l’opinion de Kassad sur le terrible châtiment qu’Allah réservait aux hérétiques, mais que ce châtiment s’abattrait sur les infidèles de l’Hégémonie. C’était la première fois que le Nouveau Prophète perdait son calme devant les caméras. Écumant de rage, il renouvela son ordre de lancer des vagues d’assaut humaines contre le vaisseau stationné dans la cour de la mosquée, et annonça qu’une douzaine de bombes à fission étaient assemblées en ce moment même dans la ville d’Ali, sur le site occupé du réacteur Énergie Pour la Paix. Avec ces bombes, les forces d’Allah deviendraient maîtresses de l’espace lui-même. La première bombe à fission serait utilisée ce soir même contre le vaisseau satanique de l’infidèle Kassad.