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Je m’inquiète pour mon chien.

Il boite, maintenant, en plus de tout le reste, en plus de la toux sèche qui secoue son petit corps quand il respire, en plus des vilaines teignes inextricablement emmêlées dans ses poils collés par la crasse. Je ne sais pas où ni quand il a attrapé ça, cette claudication prononcée de la patte avant droite, mais le voilà qui sort laborieusement de la salle des pièces à conviction derrière moi, passe entre mes jambes et continue en clopinant dans le couloir. Il se traîne, le pauvre, le nez contre la plinthe, le pelage taché mais encore blanc.

Je l’observe avec un profond malaise. Ce n’est pas sympa de ma part, d’avoir emmené Houdini avec moi. Une erreur que j’ai commise sans même y penser, infliger à mon chien les rigueurs d’un long voyage incertain, l’eau croupie à boire et la nourriture rare, la marche forcée sur des bretelles d’autoroutes désertes et à travers des champs en friche, les peignées avec les animaux errants. J’aurais dû le laisser avec McConnell et nos compagnons, dans notre planque du Massachusetts, le laisser avec les enfants de McConnell, tous les gosses et les autres chiens, dans cet environnement confortable et sûr. Mais je l’ai emmené. Je ne lui ai jamais demandé s’il voulait venir – et de toute manière, un chien ne pouvait pas soupeser en toute conscience les risques et les avantages d’une telle entreprise.

Je l’ai emmené, nous avons parcouru avec difficulté plus de mille trois cents kilomètres en cinq longues semaines, et la fatigue pèse sur le chien, pas de doute.

« Vraiment désolé, mon petit pote », dis-je tout bas.

Il tousse.

Je m’arrête dans le couloir, inhalant les ténèbres, les yeux levés vers le plafond.

J’ai trouvé la même chose dans la salle des pièces à conviction que partout ailleurs : un épais manteau de poussière sur les étagères, des armoires renversées et vidées de leur contenu. Des odeurs de moisi et de renfermé. À la Régulation, sur un bureau entre les ordis éteints et la vieille console à commande au pied Radiocommand, il y avait un antique sandwich, entamé et couvert de fourmis. Rien de bon, rien qui puisse m’aider ou me donner de l’espoir.

Nous sommes arrivés très tard hier soir, nous avons commencé la fouille immédiatement, et maintenant, trois heures plus tard, alors que le soleil commence à se lever – des rayons pâles et ternes traversent la vitre de la porte d’entrée, au bout du couloir, côté est –, nous avons passé en revue l’essentiel du bâtiment, et rien. Rien. Un petit commissariat, semblable à celui de Concord, où je travaillais avant. Plus petit, même. J’ai passé la nuit à quatre pattes, avec ma loupe et ma grosse lampe torche Eveready, à passer les lieux au peigne fin, pièce par pièce : Accueil, Régulation. Administration, Cellule de détention, Pièces à conviction.

Une certitude glacée m’envahit lentement, comme une eau sale montant dans un puits : il n’y a rien.

L’agent McConnell le savait. Elle me l’avait dit, que je poursuivais une chimère. « Tu as quoi ? Le nom d’un bled ? » Voilà ce qu’elle m’a dit.

« Un bâtiment. Le commissariat. Dans un petit bled de l’Ohio.

— L’Ohio ? » Sceptique. Les bras croisés. Renfrognée. « Tu ne la retrouveras jamais. Et même si tu la retrouves ? Alors ? »

Je me rappelle ce que cela m’a fait de la voir en colère, en sachant qu’elle avait de bonnes raisons de l’être. J’ai hoché la tête sans répondre. J’ai continué de faire les cent pas.

À présent, dans la lumière terne de l’aube, dans ce couloir vide d’un poste de police vide, je serre le poing droit, l’élève à quarante-cinq degrés puis l’abats en arrière, comme le chien d’une arme à feu, contre le mur dans mon dos. Houdini se retourne pour me regarder fixement : ses yeux d’animal, noirs et vifs, luisent comme des billes dans la pénombre.

« D’accord, lui dis-je. » Il émet un bruit mouillé du fond de la gorge. « D’accord. On va continuer à chercher. »

* * *

À quelques pas de moi, dans ce même couloir, une plaque rend hommage aux états de service de Daniel Arnold Carver, à l’occasion de son départ à la retraite du commissariat de Rotary (Ohio) au grade de lieutenant, en l’an de grâce 1998. À côté, une guirlande de cartes en papier de bricolage, réalisées par les enfants du coin : des bonshommes-flics saluant gaiement de la main, dessinés à la craie grasse, joyeusement bariolés, et Merci pour la visite ! inscrit en dessous, de l’écriture nette de la maîtresse. Les cartes sont accrochées à des tortillons de scotch jauni ; la plaque est légèrement de travers, et couverte d’un bon centimètre de poussière.

La pièce suivante se trouve à gauche, un peu plus loin que la plaque et les dessins d’enfant. Elle a beau être marquée inspecteurs, la première chose que je remarque en entrant est qu’il n’y en avait qu’un, d’inspecteur. Un seul bureau, un seul fauteuil pivotant. Un téléphone fixe, au fil coupé, le combiné reposant librement sur la base, comme si c’était un accessoire de théâtre. Une plante morte qui pend au plafond : tiges desséchées, bouquets de feuilles brunes. Une bouteille en plastique renversée, à moitié aplatie.

J’imagine parfaitement l’inspecteur qui travaillait dans cette pièce, renversé en arrière dans son fauteuil, fignolant les détails d’une prochaine descente sur un labo de fabrication de méthamphétamine, peut-être, ou pestant avec un humour bourru contre quelque directive idiote venue des crânes d’œuf de l’Administration. En flairant l’atmosphère, je crois détecter une trace de l’odeur rance de ses cigares.

De ses cigares à elle, en fait. À elle. Sur le bureau, il y a un gros registre en cuir, avec un nom soigneusement inscrit à la règle-pochoir dans le coin supérieur droit : inspecteur irma russel. « Mes excuses, inspecteur Russel, dis-je en lui adressant un salut réglementaire, où qu’elle soit à l’heure qu’il est. Je n’ai pas été très malin sur ce coup-là. »

Je repense à l’agent McConnell. Elle a fini par m’embrasser, en se haussant sur la pointe des pieds, sur le perron. Ensuite, elle m’a poussé, fort, à deux mains, pour m’envoyer à l’aventure.

« Allez, va-t’en », m’a-t-elle dit. Affectueuse, triste. « Crétin, va. »

La lumière de ce jour gris ayant du mal à traverser la fenêtre poussiéreuse de la salle des inspecteurs, je rallume la torche, la tiens au-dessus du registre de l’inspecteur Russel, et je me mets à le feuilleter. La première notice remonte à sept mois tout juste. 14 février. Le jour de la Saint-Valentin, l’inspecteur Russel a rapporté, de son écriture minutieuse, que des coupures de courant alternées avaient été décrétées pour tous les bâtiments municipaux à l’échelle nationale, et que dorénavant tout serait archivé à l’encre sur papier.

Les notices suivantes retracent la chronique d’un déclin. Le 10 mars, il y a eu une petite émeute dans un entrepôt de vivres du comté voisin de Brown, émeute qui s’est rapidement propagée, résultant dans des troubles à l’ordre public dont la gravité n’avait pas été anticipée. Il est noté, le 30 mars, que les effectifs des forces de police sont gravement amputés, à 35 % du niveau de l’année précédente. (Jason est parti !!! note, pathétique, l’inspecteur Russell, avec des points d’exclamation hérissés de surprise et de déception.) Le 12 avril, un violeur de la dernière heure a été appréhendé : il s’agissait de Charlie, des Aliments pour bétail Blake !!!

Je souris. Je l’aime bien, cet inspecteur Russell. Je ne suis pas fan de tous ces points d’exclamation, mais elle, elle me plaît.