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— Je vous demande pardon ?

— Je vous expliquerai plus tard. Nous larguons à présent les navettes et le saut devrait débuter dans vingt minutes. Si tout se passe comme prévu, nos soldats devraient être remontés à bord une heure et demie après, leur cuirasse stérilisée. Veuillez rester en contact avec les Danseurs durant tout ce temps, je vous prie, et faire votre possible pour les empêcher de foncer dans le tas.

— Oui, amiral. » Charban se renversa dans son fauteuil et se fendit d’un salut volontairement désinvolte. « Savez-vous ce que j’aimerais surtout savoir pour l’instant ? Ce qu’ils pensent de tout cela. Ce qu’ils pensent de nous. Les Danseurs, je veux dire. Ils savaient déjà que nous avions guerroyé, bombardé des planètes et infligé les pires atrocités à nos semblables, mais pas que nous serions assez fous pour créer le fléau qui hante encore Europa. Maintenant qu’ils l’ont appris, l’image qu’ils se font de nous va-t-elle changer, cela altérera-t-il leur perception de l’humanité au sein d’un motif qu’ils n’ont pas su ou n’ont pas voulu nous transmettre ?

— Assurez-vous qu’ils sachent que ce que nous nous apprêtons à faire est destiné à sauver deux des nôtres.

— Certainement. » Charban fixait le lointain, l’œil vague. « Nous sommes capables de tuer sans sourciller des milliers, des dizaines de milliers, voire des millions des nôtres par nos actions ou notre inaction, mais aussi de faire volte-face et de risquer notre vie pour en sauver quelques-uns. Comment les Danseurs pourraient-ils le comprendre ? Comment espérer qu’ils le comprennent ? »

La fenêtre virtuelle où s’inscrivait l’image de Charban s’effaça et Geary se rendit compte qu’il n’y avait pas de réponses claires aux questions du général.

« Les deux navettes ont été lancées, commandant, annonça l’officier des opérations. Elles filent vers le point de largage.

— Très bien. » Desjani étudia son écran puis secoua la tête. « Je n’aurais jamais imaginé que des navettes sous mon commandement pourraient volontairement s’approcher d’Europa autant que le permet la quarantaine.

— Et que deux de vos officiers se trouveraient un jour prisonniers sur cette lune ? demanda Geary.

— Maintenant que vous me posez la question, non. »

Le sénateur Sakaï et Victoria Rione apparurent sur la passerelle mais restèrent dans le fond, à l’écart, pour observer malgré tout l’écran depuis le siège de l’observateur.

Geary fit signe à Rione de le rejoindre puis attendit qu’elle fût à l’intérieur du champ d’intimité de son siège pour lui adresser la parole. « Où sont vos deux collègues ?

— Les sénateurs Suva et Costa ? répondit Rione d’une voix mutine. Dans leur cabine. Ils se désolidarisent de cette intervention.

— Ils s’en désolidarisent ?

— Oui, amiral. Si elle tourne mal d’une manière ou d’une autre, et c’est toujours possible, ils pourront prétendre ne pas s’y être impliqués, n’en avoir pas été complètement informés ni convenablement briefés, et n’en être en rien responsables. » Rione sourit. » Bien sûr, si tout se passe bien, ils s’en attribueront le mérite. »

Geary fixa un moment son écran d’un œil morose avant de répondre : « Si je comprends bien, la décision du sénateur Sakaï de vous accompagner sur la passerelle signifie que lui s’y associe, en revanche ? »

Rione hocha sobrement la tête. « Disons plutôt qu’il la revendique. Sa présence ici, près de vous, le lie indéfectiblement à son issue, bonne ou mauvaise.

— Il faudra que je l’en remercie. Est-ce que ça veut dire que Sakaï me soutient ?

— Seulement dans cette affaire, l’avertit Rione. Il évaluera chaque situation et prendra sa décision indépendamment.

— Je ne peux guère le lui reprocher. J’aimerais que tous les autres soient comme lui et la sénatrice… comment s’appelle-t-elle déjà ?… Unruh.

— Unruh vous a impressionné, n’est-ce pas ? C’est compréhensible. Mais n’oubliez pas qu’on les a convaincus, elle, Sakaï et tous les sénateurs du Grand Conseil, de construire cette flotte secrète et d’en confier le commandement à l’amiral Bloch. Tous leurs espoirs et leurs craintes personnels convergent vers ce que vous et moi taxerions de démence.

— Est-ce que ça ne s’est pas déjà produit ? demanda Geary. J’y ai réfléchi, et, quand le Grand Conseil a approuvé le plan d’attaque de Bloch censé frapper le système central syndic, n’avons-nous pas assisté au même phénomène ? »

Rione rumina un moment la question puis hocha la tête. « Si. Même motif, même punition. Le fruit de la désespérance. Et, chaque fois qu’on évite un désastre ou qu’on remporte une victoire, nombre d’entre eux sombrent dans un désespoir encore plus profond. Je parle trop. Cette intervention vous inquiète-t-elle autant que moi ?

— Probablement davantage.

— Je vous laisse vous concentrer. » Rione rejoignit le sénateur Sakaï, mais Geary sentait encore ses yeux posés sur lui.

Il afficha la fenêtre virtuelle qui lui donnait accès à l’image fournie par sa visière de casque à chaque fusilier. Après avoir supervisé des opérations impliquant des milliers de soldats, ça faisait tout drôle d’avoir simultanément accès au point de vue personnel de chacun. Ça lui rappelait l’époque d’avant la guerre quand, un siècle plus tôt, il participait à un exercice d’entraînement de routine où n’intervenaient tout au plus qu’une compagnie de fantassins et quelques vaisseaux. Pour l’heure, les souvenirs d’hommes et de femmes qu’il avait connus, qui avaient combattu et trouvé la mort durant son hibernation, lui revenaient, vivaces, et il dut les refouler – tant ces images que les émotions qu’elles suscitaient – dans un terrifiant effort de volonté pour reporter toute son attention sur la réalité présente.

Cela étant, ces fenêtres virtuelles ne lui révélaient que l’intérieur des navettes et les fusiliers qui y patientaient, mais ça ne tarderait pas à changer. « Commandant Nkosi, n’hésitez pas à vous rapprocher assez pour consulter mon écran. Je tiens à ce que vous soyez certain que nous ne vous cachons rien.

— Merci, amiral. » Nkosi parcourut du regard la passerelle du croiseur de combat, en même temps qu’il tendait la main pour caresser les arêtes rugueuses du siège de commandement de l’amiral. Geary se rappela avoir été lui-même étonné par les grossières finitions de l’Indomptable, témoignages de la construction à la va-vite de vaisseaux dont on s’attendait à ce qu’ils fussent très tôt anéantis dans un combat. « Je n’avais encore jamais vu un bâtiment de nature exclusivement militaire. Un authentique vaisseau de guerre. C’est bien à cela qu’il ressemble, n’est-ce pas ? À un outil conçu seulement pour la guerre. »

Geary réfléchissait encore à une réponse quand un signal d’alarme se mit à clignoter sur son écran. « Et voilà ! »

Les fusiliers se levaient pour s’aligner devant les écoutilles ouvrant sur les rampes d’accès des deux navettes. Tous se mouvaient avec une gracieuse lenteur dans leur cuirasse de combat, tels des éléphants contournant des piles de boîtes d’œufs du jour. « Quels dommages pourraient-ils causer à l’intérieur d’une navette s’ils le cognaient par inadvertance ? » s’enquit Nkosi.

Desjani haussa les épaules. « Tout dépend de ce qu’ils heurteraient et de la violence du choc. D’ordinaire, ça ne pose aucun problème. Nos fusiliers prennent des cours de danse pour apprendre à se déplacer ainsi et à éviter les collisions accidentelles.

— Je l’ignorais. »