« Gare ! » cria soudain le première classe Francis.
Geary arracha son regard aux écrans des fusiliers des première et troisième sections. Francis, qui appartenait à la quatrième, était en train de regarder dehors et, en raison de son angle d’observation, avait été le premier à repérer une petite écoutille qui venait de s’ouvrir sous le ventre de l’appareil.
Deux silhouettes en combinaison spatiale s’en laissèrent tomber. Armées toutes les deux, elles continuaient de tirer frénétiquement dans leur chute.
Francis et une demi-douzaine de ses collègues ripostèrent et criblèrent de tirs les deux silhouettes avant même qu’elles n’eussent touché terre. Elles s’y vautrèrent et restèrent allongées sur la glace, inanimées.
« J’en ai encore un autre là ! appela un des hommes de la deuxième section. Devant, juste sous la proue ! »
Cette fois, on vit des armes de poing saillir de cette écoutille et tirer quasiment à l’aveuglette, puisque ceux qui les tenaient restaient entièrement à couvert.
« Se croient-ils dans une vidéo de merde ? » grommela le sergent Koury. Sa section et elle rendaient coup pour coup. Assistées par la précision des capacités de visée de leurs cuirasses, les IEM frappèrent les armes qui dépassaient de l’écoutille et en arrachèrent deux des mains de leur propriétaire tandis que la troisième explosait dans un brouillard de fluides propulseurs giclant en même temps. Les trois bandits tombèrent du sas : le premier se ramassa sur la glace qu’il continua de gratter faiblement, tandis que les deux autres palpaient fébrilement leur combinaison de survie, percée de trous par où l’air s’échappait.
« Nos ancêtres nous préservent, marmonna Orvis. Mettez fin à leurs affres, Koury.
— Mais, sergeot, on avait cessé d’achever même les Syndics ! Et si on les capturait plutôt ?
— On ne pourrait pas les ramener. Soit ils crèvent maintenant, soit ils agonisent lentement. Vous tenez à voir ça ?
— Non, répondit Koury au bout d’une seconde de réflexion. Mais je ne demanderai à personne de le faire. » Elle leva son arme et tira plusieurs fois.
« Ils font preuve de miséricorde, murmura, comme s’il cherchait à s’en convaincre, le commandant Nkosi à côté de Geary.
— Encore quatre autres ici », rapporta un première classe de la troisième section depuis l’intérieur de l’appareil. L’image transmise par sa visière montrait quatre criminels terrifiés tassés l’un contre l’autre entre les couchettes d’un dortoir, dans un compartiment tout juste assez large pour en contenir quelques-unes vissées aux cloisons.
« Des armes ? demanda le sergent Hsien
— Je n’en vois aucune, sergent.
— Demandez-leur s’ils savent où se trouvent les officiers de la flotte. »
Le soldat retransmit la question par son haut-parleur externe. Le son était à peine audible dans l’atmosphère désormais raréfiée de l’appareil. « Ils disent l’ignorer, sergent.
— Alors ressortez et laissez un homme de garde dans le compartiment pendant que vous continuez à fouiller.
— Eh, sergeot ! l’appela Maya une minute plus tard. On dirait bien que cette écoutille mène à la passerelle. »
Le commandant Nkosi adressa un signe de tête à Geary. « Ça correspondrait assez à ce modèle de spationef. L’écoutille est probablement blindée en prévision d’une mutinerie.
— On connaît ça, laissa tomber Geary avant d’appeler Orvis. Le commandant local confirme que la caporale Maya a vraisemblablement trouvé la passerelle. L’écoutille risque d’être blindée, de sorte qu’elle devrait faire aussi office de citadelle, comme chez les Syndics.
— Merci, amiral. Nous avons fouillé tout l’appareil à l’exception de ce qui se trouve derrière cette écoutille. Nos gens s’y trouvent sûrement, avec qui sait combien d’ennemis encore actifs. Nous en avons dénombré vingt jusque-là, amiral.
— Ce compartiment ne doit pas être très large, les avisa Nkosi. Il ne peut guère en contenir plus d’une douzaine. Si vos officiers sont dedans, faire sauter l’écoutille pourrait mettre leur vie en danger.
— Nous n’avons guère le choix », dit Geary. Il tourna les yeux vers Desjani. Son masque rigide ne trahissait aucune émotion, mais il lisait l’anxiété dans son regard. Cela étant, elle répondit à sa question muette par un hochement de tête.
« Vous avez raison, amiral, ajouta-t-elle. Néanmoins, voyons ce dont est capable le sergent Orvis.
— Je me dirige vers l’écoutille de la passerelle », annonça celui-ci avant de faire un bond puis de se hisser dans le sas provisoire, constitué de couches superposées d’un fin matériau transparent que la faible pression qui régnait encore dans l’appareil faisait faseyer à l’extérieur. « Maya, je voudrais que tu entres en force avec la moitié de ta section. Ne fais rien avant mon arrivée. À voir comment ça se passe, nous ne pouvons pas nous permettre d’employer une lamie sans risquer de nuire sérieusement aux officiers de la flotte.
— M’étonne pas, grommela Maya. Jaworski, ramène ta viande ici. Vous autres, restez en position, tas de macaques. »
Orvis déambula péniblement dans l’appareil jusqu’à atteindre l’écoutille où l’attendaient Maya et ses fantassins. « Tu as essayé de frapper ? D’appuyer sur un bouton ?
— Non, sergeot. Vous m’avez dit de ne rien faire.
— Et tu m’as écouté ? Tu passeras peut-être sergent un jour. » Orvis gagna la cloison où s’ouvrait l’écoutille et l’examina soigneusement. « Jamais vu ce modèle. Mais elle n’a pas l’air blindée. Voyons un peu qui est à la maison avant de l’abattre. »
Il tendit la main pour effleurer d’un index cuirassé le panneau de com voisin. « Ça devrait être la sonnette, non ? »
La réponse à cette question lui fut fournie une seconde plus tard : le panneau de com s’éclaira, montrant un homme au visage convulsé de terreur qui brandissait une arme de poing. « Je les détiens ici ! Forcez l’écoutille et je les descends tous les deux !
— Martien, affirma le commandant Nkosi d’une voix trahissant clairement son écœurement. Le tatouage derrière son oreille gauche. C’est la marque d’un gang chez les mafieux rouges.
— Hé, détendez-vous ! » Le sergent Orvis s’adressait au criminel d’une voix apaisante, contrastant singulièrement avec sa façon de s’exprimer habituelle. « Vous pouvez m’entendre ?
— Ouais. Ouais. Enfoncez l’écoutille et je les abats !
— Compris. On ne s’en prend pas à vous. On ne veut que nos deux officiers.
— Ce n’est pas ma faute si on se retrouve ici ! » cria le preneur d’otages. Ses paroles se chevauchaient, il parlait trop fort et sur un débit trop rapide. « C’est la faute de Grassie ! Elle nous a fait atterrir sur Europa avant qu’on ne comprenne ses intentions ! Je n’y suis pour rien !
— Je me fiche de qui c’est la faute, mon pote ! Je veux juste qu’on nous rende les nôtres indemnes, lui assura Orvis. On laissera aux locaux le soin de décider du sort de ta Grassie. »
L’homme éclata d’un rire suraigu passablement exaspérant. « On s’en est déjà chargés ! On l’a balancée par un sas pendant qu’elle continuait de se vanter d’avoir un plan pour nous tirer de là ! C’est sa faute ! Elle voulait aller sur Europa ? On a exaucé ses vœux ! »
Ça expliquait au moins la présence d’un cadavre dehors. « Les tarés ! lâcha Desjani d’un air dégoûté. Ils ont paniqué et tué leur pilote.