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— Ce n’est pas fini, loin s’en faut, déclara Geary pour couper court à un pénible débat. Il faut encore les récupérer. »

Nkosi se lécha les lèvres avant de reprendre la parole. « Amiral, vous comprenez que, si mes médecins ne me garantissent pas que la cuirasse de vos fusiliers a bien été décontaminée, mes vaisseaux devront tirer sur eux avant que votre bâtiment n’ait pu les embarquer. Ma présence à votre bord ne les empêchera nullement de suivre mes ordres à la lettre.

— Je n’en attends pas moins d’eux, répondit Geary. Mais, jusque-là, vos médecins ont l’air satisfaits. » Il ne se donna pas la peine d’ajouter ce que tout le monde savait : l’Indomptable ne resterait certainement pas les bras croisés si les unités chargées d’appliquer la quarantaine s’en prenaient aux fusiliers de l’Alliance. « Nous nous sommes occupés de l’appareil furtif pour vous », rappela-t-il à Nkosi.

Orvis vérifiait les joints hermétiques des cuirasses abritant à présent Yuon et Castries. « Ça m’a l’air parfait. Allons-y. Tout le monde dégage. »

Les fusiliers s’ébranlant, Maya et trois soldats de sa section se chargèrent de transporter les deux lieutenants. Un homme posa une question plaintive : « Sergent ? Et ces gars, là-bas ? Les quatre du compartiment d’accostage ?

— Oublie-les ! aboya Hsien.

— Mais…

— Oublie-les, c’est tout ! »

L’homme s’éloigna au trot, comme pressé de fuir le compartiment où les quatre derniers criminels étaient encore en vie. Ses coéquipiers, eux aussi, dégagèrent les coursives au plus vite pour gagner en toute hâte le sas provisoire, en enjambant au passage les cadavres de ceux qui avaient défendu l’entrée.

Orvis attendait sur la glace pour dénombrer les fantassins qui émergeaient de l’appareil et sautaient à côté de lui. « Ça s’arrête là.

— Sergeot ? demanda le première classe qui avait gardé les quatre prisonniers.

— Je sais ce que tu vas me demander. On ne peut rien faire pour eux. Ils se le sont infligé eux-mêmes.

— Sergeot, cet appareil est maintenant une épave. Ça va devenir invivable dans… »

Orvis montra d’un geste le spationef échoué. « Nous avons laissé les armes de ceux que nous avons abattus à l’intérieur. Certaines fonctionnent encore. Et nous n’avons pas touché aux réserves de médicaments et de drogues. Il y en a bien assez pour les assommer tous quand viendra la fin. Ils ne sentiront rien. Nous ne pouvons pas davantage pour les quatre survivants. Tu comprends ? C’est le mieux que nous puissions faire. À moins que tu n’aies envie de remonter les achever toi-même.

— Non, non, sergeot. Je fais déjà trop de cauchemars comme ça.

— Toi comme moi. En rang, maintenant. On saute dans l’ordre. Vérifiez vos réacteurs. Mettez tout ce que vous avez dans le ventre dans ce saut, et ils s’activeront automatiquement dès que vous aurez quitté le sol. »

Les fusiliers formaient une vague colonne à la surface d’Europa ; la plupart levaient la tête vers la masse de Jupiter qui les surplombait. Aucun ne regardait la glace dure et sale qui le portait. « Conformez-vous aux instructions, les avisa encore Orvis. Intervalles de trois minutes. Déconnez et moi-même je ne pourrai pas vous sauver. Nos lieutenants sont toujours dans le coaltar, Maya ?

— Ouais, sergeot. Ça doit être chouette de faire la grasse matinée, non ?

— Hilarant. Ceux qui les portent et toi, asservissez leurs cuirasses aux vôtres afin qu’ils sautent automatiquement avec vous.

— Vu ! O.K., sergeot, leur cuirasse est en mode zombie. »

Geary se tourna vers Desjani, qui étudiait son écran. « On est en position ? Nous sommes parés. Navettes en attente.

— Sergent artilleur Orvis, on n’attend plus que vous.

— C’est parti, annonça Orvis à ses fusiliers. Prêts ? Je commence le décompte. Un. »

Les genoux déjà fléchis, le premier de la colonne se détendit en un saut convulsif ; combinée à la faible gravité, l’énergie de sa cuirasse le précipita vers le ciel avant que ses réacteurs ne s’activent pour l’arracher à Europa à une vitesse fulgurante.

Trois minutes plus tard, un deuxième l’imitait. Puis un troisième, un quatrième…

Geary suivait leur progression sur son écran : un chapelet de silhouettes s’élevant d’Europa. L’idée le frappa brusquement qu’ils étaient les premiers à quitter cette lune maudite depuis qu’une épidémie engendrée par l’homme l’avait frappée plusieurs siècles plus tôt. De là-haut, il voyait le dôme d’une des cités qui, depuis, n’abritait plus que des défunts mais dont les lumières alimentées par l’énergie solaire brillaient encore, créant une image trompeuse de vie et de chaleur là où tout était mort et glacé.

Lorsque le premier fusilier atteignit l’orbite, une des navettes largua un câble qui s’accrocha à sa jambe. Elle le tracta ensuite à proximité de l’Indomptable puis attendit.

Desjani pressa une de ses touches de com. « Chef Tarrini, ciblez ce soldat. Veillez à ne rien oublier. »

Une des lances de l’enfer du vaisseau se déclencha. Le faisceau de particules à pleine puissance aurait sans doute perforé la cuirasse du fusilier de part en part, mais il avait été soigneusement réglé afin de dégager une énergie suffisante pour ne désintégrer que sa couche extérieure. Alors qu’elle tressautait sous l’impact, Geary entendit grogner son occupant, tant étaient violents les coups qui, au travers, se transmettaient à son corps. La corrosion s’étendant rapidement à toute la surface de la cuirasse, des données chiffrant le stress apparurent sur la visière, ainsi que des alertes. Puis image et son furent coupés net : l’ultime cinglon avait vaporisé les derniers relais extérieurs.

La navette se servait du câble pour faire précautionneusement pivoter le patient et veiller à ce que le faisceau couvre toute la surface de sa cuirasse.

« Qu’en dites-vous ? » demanda Geary à Nasr.

Le docteur Palden répondit la première. « Ce point-ci mérite une autre frappe. Sous la fixation du câble aussi, n’oublions pas.

— Dès que la navette l’aura relâché, fit observer Nasr d’une voix inhabituellement tranchante.

— Allez-y », concéda Palden de mauvaise grâce.

Quelques secondes plus tard, les deux médecins donnaient leur approbation. La première navette éjecta le câble contaminé afin qu’il retombe sur Europa puis en lança un autre pour agripper le fusilier suivant, tandis que la deuxième allait recueillir celui déjà soigné. Geary souffla pesamment lorsqu’il consulta les chiffres de la température imposée à sa cuirasse. « J’espère que le docteur Nasr et le sergent Orvis ne se sont pas trompés en affirmant que son occupant pourrait supporter ce traitement. »

Desjani, qui commençait à se détendre, lui adressa un sourire entendu. « Les médecins peuvent parfois se tromper, mais les sergents artilleurs… ? Jamais. »

Pendant qu’on flagellait le deuxième fusilier, on hissait le premier à bord de la seconde navette ; tout le monde retint son souffle tandis que les médecins étudiaient scrupuleusement leurs données. « Il est entièrement décontaminé », déclara le docteur Nasr.

Palden se renfrogna sans doute lorsqu’elle consulta les mêmes données, mais elle ne dit rien.

« Il y a quelqu’un dans cette cuirasse, finit par l’aiguillonner Nasr.

— Je dois en être sûre ! » Mais elle haussait les épaules un instant plus tard. « C’est bon.

— Sortez-le de là », ordonna Desjani.

Geary vit les soldats s’agenouiller devant la silhouette rigide du fusilier. Le chef Gioninni supervisait lui-même l’opération, et Geary avait déjà assisté au désossement d’une cuirasse brisée par les techniciens chargés de la maintenance de la coque de l’Indomptable : ils la dépeçaient littéralement pour récupérer les pièces détachées nécessaires à leur équipement. Il ne trembla pas moins quand des lames monomoléculaires incroyablement tranchantes, capables de sectionner un bras ou une jambe sans rencontrer de résistance, entreprirent de la découper.