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Mais, quand elles se retirèrent, rien ne parut problématique. « Posez les pignons », ordonna Gioninni après avoir inspecté les entailles.

Geary n’avait pas la première idée de la désignation technique officielle de ces « pignons ». Comme tout un chacun, il avait entendu donner universellement ce surnom (et ce depuis plus d’un siècle) aux dispositifs destinés à ouvrir en force n’importe quel objet à partir du plus étroit orifice. La rumeur affirmait qu’il dérivait de la capacité des champignons à fendre jusqu’aux dalles de béton lorsqu’ils poussaient.

Les techniciens se plièrent aux instructions de Gioninni et appliquèrent des patchs de pignons sur les entailles de la cuirasse. De microscopiques filaments en émergèrent pour s’y infiltrer, avant de grossir, de s’allonger et d’élargir inexorablement ces ouvertures en dépit de la très forte résistance des couches internes de la cuirasse. Arrivés à la limite de leur allonge et de leur existence, les pignons se flétrirent et tombèrent.

« Désincarcérez-le », ordonna Gioninni.

Les techniciens s’agenouillèrent de nouveau devant le fusilier pour l’extraire de sa cuirasse tronçonnée. Le première classe, encore étourdi par les coups de fouet de la lance de l’enfer et la chaleur qui avait régné à l’intérieur, les dévisagea, l’œil vitreux. Un matelot l’aida à s’asseoir puis lui tendit une boisson qu’il téta avidement.

L’homme reposa ensuite le récipient en forme de bulbe et adressa aux spatiaux un regard lourd de reproches. « Le sergeot avait promis de la bière.

— Vous en aurez dès que vous serez remontés à bord du croiseur, le rassura Gioninni. Pour l’instant, la potion que les toubibs vous ont concoctée est plus salutaire.

— Visez-moi tous ces bleus sur sa peau, fit remarquer un technicien en feignant l’effroi. À croire que tu rentres d’une perme fichtrement agitée.

— C’est pas vraiment l’effet que ça me fait, grommela le fusilier avant de siroter en grimaçant une autre gorgée de son breuvage.

— Peu importe, dit l’autre. Vous avez fait du sacrément bon boulot en bas, les gars.

— Bah, on a juste fait notre taf. Ces bouffons n’avaient aucune chance. » Il fixa le néant d’un œil sombre pendant que les spatiaux se préparaient à accueillir le suivant.

Décontaminer tous les fusiliers puis les désincarcérer de leur exosquelette en ruine parut exiger une éternité. Mais, finalement, le sergent Orvis (le dernier) s’en extirpa tout seul, le visage déjà constellé d’ecchymoses naissantes, en dédaignant l’assistance des spatiaux exténués. Il se tourna vers la pile de cuirasses détruites et secoua la tête. « Mission accomplie, amiral. Mais les petits hommes en gris vont tirer la gueule en voyant toutes ces cuirasses déglinguées.

— Je laisse au capitaine Smyth le soin de s’en inquiéter », répondit Geary, sachant que son chef de l’ingénierie saurait trouver un moyen d’expliquer cette dépense aux comptables, ou, tout du moins, de les embrouiller suffisamment pour qu’ils n’élèvent pas d’objections. « Mais l’opération n’est pas entièrement terminée. » Les cuirasses renfermant les lieutenants Yuon et Castries gisaient encore sur le pont de la navette, intactes, mais leur couche extérieure noircie et irradiant de la chaleur. « Le docteur Nasr vous retrouvera dans la soute des navettes. Veuillez aider à transférer ces deux cuirasses dans le compartiment de quarantaine du service médical.

— À vos ordres, amiral. Je dois cependant vous dire une chose : à l’intérieur de ces cuirasses, c’est franchement l’enfer. Il faudrait en débarrasser ces deux lieutenants le plus vite possible. »

Entre-temps, la navette avait pratiquement rejoint l’Indomptable. En l’espace d’une minute, elle se posa et abaissa sa rampe d’accès. Les fusiliers épuisés grognaient assez fort pour exprimer leur mécontentement, mais pas assez toutefois pour s’attirer une rebuffade de la part du sergent Orvis. Ils enfilèrent des gants isolants et hissèrent les officiers encore encastrés sur des civières métalliques qui s’éloignèrent aussitôt, suivies au pas de course par les docteurs Nasr et Palden.

Geary éprouva lui-même une envie pressante de gagner le lazaret au trot, mais, dans la mesure où il continuait d’observer la situation, il préféra rester sur la passerelle et assister de loin au transfert des deux lieutenants. C’était tout juste s’ils pouvaient tenir à deux dans l’étroit compartiment de quarantaine, réservé aux urgences les plus extrêmes et conçu normalement pour une seule personne.

Le docteur Nasr en activa les dispositifs autonomes avec une diligente assurance. Après avoir vérifié que les fermetures hermétiques du compartiment étaient en place et solidement verrouillées, il les régla pour découper les cuirasses. Le processus était certes plus long et complexe qu’avec l’assistance physique des spatiaux, mais les corps flasques des deux lieutenants furent bientôt extraits de leur coquille protectrice.

Des manchons chargés du télédiagnostic s’ajustèrent d’eux-mêmes aux bras des deux officiers, prélevèrent des échantillons et procédèrent à des relevés qui furent ensuite retransmis à Nasr. « Aucun signe d’infection, déclara-t-il avec soulagement.

— Aucun signe d’une infection active », corrigea le docteur Palden.

Au lieu de répondre, Nasr ordonna au matériel robotisé du compartiment de commencer à perfuser les deux lieutenants de solutions chargées au premier chef de les alimenter et de les hydrater, mais contenant aussi des drogues destinées à contrecarrer les effets de celles qui les maintenaient dans un semi-coma.

Au bout de quelques minutes, le lieutenant Castries cligna des paupières puis regarda autour d’elle, quelque peu sonnée. Elle essaya de se relever, chancela puis abaissa un regard confus sur les manchons médicaux et les divers tuyaux et dispositifs reliés à sa personne. À la vue des bleus et des ecchymoses qui marquaient ses quelques plages de peau visibles, Geary eut une grimace de commisération et espéra que ce que lui administraient les toubibs contenait aussi de puissants analgésiques.

Le docteur Palden consultait les relevés avec attention. Son visage exprimait la suspicion. « Faiblesse et désorientation, conclut-elle comme si elle prononçait une sentence de mort.

— Parfaitement explicables par l’épreuve qu’elle a endurée et sa condition physique présente, rétorqua le docteur Nasr. La température corporelle se stabilise et revient à la normale. Les fonctions cérébrales ne montrent aucun signe de détérioration ni d’anomalie.

— Effectivement », concéda Palden à contrecœur.

Le lieutenant Castries avait relevé les yeux pour fixer l’écran de contrôle du compartiment. « Que s’est-il passé ? Où… C’est l’Indomptable ? »

Geary intervint. « Oui, lieutenant. Vous êtes saine et sauve à bord de l’Indomptable. Saviez-vous que vous avez été kidnappée ?

— Hein ? Je marchais dans la rue et… je me retrouve ici. » Elle regarda autour d’elle et repéra Yuon, qui commençait à remuer. « Lui aussi ? Pourquoi sommes-nous là tous les deux ? Et qu’est-ce que… ? » Castries regardait les cuirasses brisées, complètement abasourdie.

« Vous êtes placée en isolement médical total, expliqua le docteur Nasr. Vous ne présentez aucun signe d’infection active, mais il vous faudra rester dans ce compartiment pendant encore au moins trois semaines.