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— Oui. Les doses minimales requises. » Nasr loucha de nouveau sur les deux silhouettes. « Je vais devoir les augmenter. Je ne sais pas trop quoi faire d’autre pour soulager leur détresse.

— Je crois comprendre ce qu’ils ressentent, déclara Geary. À ce que je sais d’eux, Yuon et Castries s’entendent très bien normalement, mais les circonstances sont anormales. Sur mon premier vaisseau, il y avait un autre enseigne et nous étions à couteaux tirés. Nos relations n’étaient supportables que parce que nous avions des emplois du temps différents. Quand j’étais réveillé et en service, il dormait habituellement et vice versa. Nous n’avions que de rares contacts. Autrement, nous nous serions probablement conduits comme ces deux-là aujourd’hui. »

Le médecin fronça les sourcils puis sourit. « Nous devrions parler plus souvent, amiral. C’est une excellente idée.

— Vraiment ? » fit Geary, flatté par l’éloge de Nasr. Cela étant, il voyait mal quelle solution il venait apparemment de lui suggérer.

« Oui. » Le médecin était déjà à l’œuvre et entrait des instructions dans l’unité qu’il tenait à la main. « Je vais intervertir le cycle de sommeil de chacun d’eux, en tenir un éveillé pendant que l’autre dormira, en dosant convenablement les médicaments. Cela exigera quelques jours, le temps que cette périodicité soit fermement établie. Ils continueront de partager physiquement le même compartiment mais n’auront plus à endurer la présence consciente de l’autre et pourront même jouir d’un certain degré d’intimité tant qu’ils ne seront plus sensibles à la contrainte de sa compagnie.

— Est-il bien salubre de les bourrer ainsi de drogues pendant encore deux semaines ? demanda Geary.

— Parfaitement, répondit Nasr en agitant les mains pour balayer l’argument. Et certainement bien plus que de les tenir tous les deux éveillés en même temps durant la même période, conscients de la présence de l’autre ! Je vous en suis reconnaissant, amiral. J’ai commis l’erreur élémentaire de me persuader que j’avais compris le problème, ce qui m’a conduit à emprunter une voie erronée pour sa résolution. »

Geary fixa Nasr en se repassant de tête les dernières paroles du médecin. « Pour trouver la bonne réponse, on doit s’assurer qu’on pose la bonne question, n’est-ce pas ? C’est bien ce que vous dites ?

— Oui. Si vous croyez seulement poser la bonne question, la réponse sera nécessairement incorrecte ou inexacte. »

Geary quitta le lazaret et, profondément plongé dans ses pensées, remarqua à peine les matelots qui le saluaient en le croisant. Ce qu’avait dit le médecin était important. Très important, même. Son petit doigt le lui soufflait.

Hélas, son petit doigt ne lui disait pas en quoi c’était important.

Parmi les nombreux sujets d’inquiétude qu’il n’avait jamais envisagés naguère figurait ce qu’il risquait de découvrir à son retour dans l’Alliance. C’eût été comme de se demander en ouvrant la porte, chaque fois qu’il rentrait chez lui tard le soir, ce qu’il allait trouver à l’intérieur. Certes, une surprise pouvait toujours l’y attendre, mais pas de celles qui se révéleraient menaçantes, non seulement pour lui mais encore pour tout ce à quoi il tenait.

Mais cela, entre autres, avait changé au cours du dernier siècle.

Il était de retour sur la passerelle, qui, compte tenu de la présence de tous les représentants officiels, semblait passablement bondée. Les trois sénateurs se tenaient au fond et feignaient de ne pas se disputer, au nom de la préséance, le siège de l’observateur et son écran. Ayant formé une improbable alliance pour lutter contre les pressions occultes qui s’exerçaient sur chacun d’eux, le général Charban et Victoria Rione, les deux envoyés, étaient plantés sur le côté et feignaient, eux, d’être engagés dans une conversation à bâtons rompus.

Desjani, quant à elle, faisait de son mieux pour les ignorer tous en prétendant s’absorber entièrement dans les préparatifs de l’arrivée de son croiseur à Varandal.

Ne restait plus à Geary qu’à présenter à tous ses salutations respectueuses, en espérant qu’elles ne seraient pas regardées comme un simulacre, et à prendre note d’une certaine tension entre les trois sénateurs. Ils avaient l’air de s’inquiéter autant que lui de ce qui les attendait à Varandal.

La transition ne donna lieu à aucun choc désorientant, comme ceux qui se produisent à la sortie de l’espace du saut. Au lieu de cela, les étoiles apparurent brusquement autour de l’Indomptable à son arrivée à Varandal, seule et immédiate indication de son émergence de la bulle de néant de l’hypernet ; l’univers réel les entourait de nouveau. Geary s’arracha à son observation des sénateurs pour scruter son écran et attendre aussi impatiemment sa remise à jour que s’il avait émergé dans un système stellaire ennemi.

« L’Intrépide n’est plus là, fit Desjani au moment même où lui aussi s’en apercevait. Le Fiable et le Conquérant non plus.

— Il manque aussi des croiseurs lourds et des destroyers, fit-il observer.

— Deux divisions de croiseurs lourds et quatre escadrons de destroyers, dirait-on. » Desjani secoua la tête. « Une sorte de détachement.

— Pourquoi Jane aurait-elle quitté Varandal alors que je lui ai confié le commandement de la flotte par intérim ? interrogea Geary sans lever la voix.

— Si vous vous dites qu’elle a décampé de sa propre initiative, m’est avis que c’est exclu, l’avisa-t-elle. Pour moi, il s’agit d’une manœuvre répondant à des ordres précis.

— Ces trois cuirassés n’étaient pas en très bon état. Ils avaient besoin de grosses réparations. Pourquoi leur aurait-on ordonné de… »

La voix de la sénatrice Costa lui coupa le sifflet. « Il manque des vaisseaux ! Pourquoi ? Où sont-ils allés ? »

Geary s’accorda un instant avant de se retourner pour répondre, le temps de s’assurer que son irritation, causée tant par la question que par son ton soupçonneux, ne se lisait pas sur son visage. « Je vous le ferai savoir dès qu’on m’en aura informé, sénatrice.

— Voudriez-vous nous faire croire que les éléments les plus importants de votre flotte auraient filé quelque part sans votre ordre ? »

Rione devança Geary : « En quoi est-ce si remarquable ? Le QG de la flotte ou le gouvernement auraient pu les expédier en mission en notre absence. Vous vous attendiez à autre chose ? »

Bien que posée sur un ton mielleux et sans grande conviction, la question fit rougir Costa. « Qu’insinuez-vous ?

— Rien. Quelqu’un ici sous-entendrait-il quelque chose ? » Quand elle le voulait, Rione pouvait passer pour étonnamment innocente.

De rose, Costa vira au rouge de la colère. « Je vais de ce pas recueillir des renseignements sur ce qui passe dans ce système. Je suis bien certaine que des messages m’attendent », déclara-t-elle en faisant volte-face pour quitter la passerelle.

Suva n’avait encore rien dit ; elle observait la scène d’un œil méfiant.

Mais Sakaï, lui, se dirigea vers le fauteuil de Geary. « Amiral, je vous serais reconnaissant de bien vouloir évaluer avec franchise la situation à laquelle nous sommes confrontés.

— Il est encore trop tôt pour beaucoup en dire », se défila Geary. Il se demandait encore jusqu’à quel point il pouvait faire confiance à Sakaï. Après tout, cet homme avait voté en faveur d’un certain nombre de décisions que l’amiral regardait comme au mieux mal inspirées. Mais, s’il s’efforce de m’aider, si ce qu’il a vu sur la Vieille Terre l’a fait réfléchir, je serais fou de le tenir à distance.