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« Cela dit, je suis inquiet, poursuivit Geary. Le cuirassé du commandant de la flotte par intérim est parti, ainsi que sa division. Elle ne l’aurait pas fait si on ne le lui avait pas ordonné, mais, après les dommages sévères que leur ont infligés les Bofs et les Énigmas, aucun de ces bâtiments n’était en état de mener une mission de combat.

— Je vais tâcher de me renseigner », lui dit Sakaï avant de sortir à son tour.

Geary fit signe à Rione de le rejoindre. Elle se rapprocha pour entrer dans le champ d’intimité de son siège, qu’il venait d’activer. « Pensez-vous que Costa ou les deux autres sénateurs s’attendaient à ce qu’il soit arrivé quelque chose à Varandal ?

— Je n’en sais rien. Costa avait l’air aussi inquiète que suspicieuse, de sorte que, si elle s’attendait à quelque chose, ce n’était pas à ce que nous avons vu. Suva avait la tête d’une biche prise dans le faisceau des phares. J’imagine qu’elle n’avait aucune idée de ce qui se passe mais qu’elle redoute ce que vous méditez, Costa, vous ou tous les autres. Mais Sakaï est sincère. Je jouerais ma réputation là-dessus.

— Votre réputation ? » Les mots lui avaient échappé avant qu’il eût pu les retenir. Il attendit, persuadé que Rione allait piquer une colère froide.

Elle se contenta de s’esclaffer. « Vous avez raison. J’aimerais autant m’en départir.

— Pas à mes yeux, insista-t-il.

— Je l’ai perdue avec vous », affirma-t-elle dans une de ses rares allusions (encore qu’indirecte) empreinte d’autodérision à la brève liaison qu’ils avaient entretenue avant d’apprendre que l’époux de Rione n’était pas mort en combattant les Syndics, mais qu’il était leur prisonnier. « Je vais tâcher de me renseigner », déclara-t-elle avant de sortir, reprenant mot pour mot la réponse de Sakaï.

Desjani scrutait encore son écran. « Amiral, je ne me fie pas entièrement à ce que nous voyons », chuchota-t-elle.

Geary se concentra plus intensément sur le sien, où s’inscrivaient encore de nombreux vaisseaux, tous assortis d’une légende précisant leur statut actuel. La flotte avait manifestement effectué de nombreuses réparations pendant leur absence.

De très nombreuses réparations. Ça paraissait impossible. « Tous m’ont l’air en excellent état, lâcha-t-il d’une voix sceptique.

— C’est bien mon avis. Les données qui nous parviennent – les données officielles – laissent entendre qu’ils ont été massivement réarmés. Mais ça ne peut pas être l’œuvre de quelques officiers falsifiant le statut de leurs vaisseaux pour faire bonne figure. Tout le monde doit l’avoir fait. » Elle le fixa d’un œil dépité. « Espérons que celui qui a remplacé Jane Geary après son départ saura l’expliquer.

— Probablement Duellos, pressentit l’amiral, non sans se demander si ce n’était pas un vœu pieux.

— Le capitaine Duellos serait sans doute le choix le mieux avisé, convint Desjani sur un ton laissant clairement entendre qu’elle n’attendait assurément pas du QG de la flotte qu’il prît des décisions avisées. Pour ce que ça vaut, les données portant sur le trafic que nous avons sous les yeux sont parfaitement routinières.

— Sinon Duellos, au moins Tulev.

— Badaya, si l’on a tenu compte de l’ancienneté. » Tanya le dévisagea. « Je reconnais volontiers m’être demandé ce qui était bien réel dans sa reconversion à la légitimité de l’actuel gouvernement. La perspective d’un coup d’État militaire semblait naguère emporter son adhésion enthousiaste.

— Je l’ai convaincu du contraire, affirma Geary en affichant plus d’assurance qu’il n’en ressentait vraiment. Si Badaya avait agi, nous en entendrions parler dans tous les messages et les bulletins d’info que nous captons.

— Sauf que les rapports de situation qui nous arrivent des vaisseaux de la flotte m’ont tous l’air falsifiés, lui rappela-t-elle. Comment pourrions-nous savoir si tout le reste n’a pas aussi été trafiqué et ripoliné pour donner l’apparence de la normalité ?

— Je ne crois pas que “normalité” soit un mot, grommela-t-il.

— Si, c’en est un. »

Plutôt que de poursuivre la discussion, Geary préféra afficher les bulletins d’information que recevait désormais l’Indomptable. Même après tout ce temps passé dans l’espace, il s’attendait plus ou moins à les trouver dès à présent bourrés de rapports excités sur le retour du croiseur de combat à Varandal. Mais l’image de son arrivée mettrait encore des heures à atteindre l’intérieur du système, et, pour que les réactions à cette nouvelle lui parviennent, il faudrait encore le même délai. Au lieu de cela, les bulletins semblaient présenter le sempiternel mélange de troubles et de dissensions politiques, de soucis économiques, d’inquiétudes quant à ce qui se produisait dans les systèmes syndics les plus proches du territoire de l’Alliance et de spéculations sur l’avenir de celle-ci. Un « bulletin spécial » portant sur les deux nouvelles espèces extraterrestres découvertes par la flotte de Geary par-delà l’espace des Mondes syndiqués contenait un bon nombre d’autres spéculations, ainsi que quelques informations dont il reconnut l’origine : ses propres rapports au gouvernement. Manifestement, la rumeur selon laquelle l’Indomptable avait escorté les six vaisseaux des Danseurs jusqu’à Sol s’était largement répandue, tandis que divers « experts », qui n’avaient jamais vu les Danseurs ni, d’ailleurs, les représentants d’aucune autre espèce extraterrestre, se répandaient sur la pertinence et la signification qu’avait à leurs yeux cette expédition.

C’était au mieux amusant. Mais les messages et vidéos pléthoriques qu’il réussissait à capter étaient surtout exaspérants, car aucun ne faisait allusion au fait que Jane Geary et ses cuirassés avaient quitté Varandal, ni ne révélait qui assumait le commandement de la flotte depuis son départ. Ne restait plus à Geary et ses compagnons qu’à patienter durant les trois heures et des broutilles qu’il faudrait à un message de bienvenue dûment rédigé pour les atteindre.

L’humanité s’efforçait peut-être encore de comprendre ce qu’était le temps, mais, dans l’esprit de Geary, il ne faisait aucun doute qu’il passait délibérément beaucoup moins vite en de pareils moments. Les trois heures lui parurent durer un jour entier. Il n’en fut pas moins sidéré de recevoir un message à haute priorité quelques secondes seulement après le plus bref délai escompté.

« Badaya ? » murmura Desjani en voyant apparaître l’image de l’officier.

L’identification de la provenance de la transmission ne laissait aucun doute à cet égard : le capitaine Badaya, naguère encore le moins fiable de tous les électrons libres de la flotte qui prônaient un coup d’État pour renverser un gouvernement de l’Alliance perçu comme corrompu et incompétent, faisait bel et bien office de commandant de la flotte intérimaire.

Comme s’il prévoyait déjà la réaction de Geary à sa vue, Badaya affichait un sourire carnassier.

Sept

Badaya souriait jusqu’aux oreilles. « Bienvenue, amiral. Je suis aux commandes de la flotte. »

Il marqua une pause tandis que Geary fixait son image d’un œil furibond et que Desjani marmottait quelques malédictions impliquant un aller rapide pour l’au-delà et les pires tourments de l’enfer.

« Ou, plutôt, j’étais aux commandes », reprit Badaya. Il avait l’air de s’amuser prodigieusement. « Je vais maintenant, bien entendu, vous remettre le commandement de la flotte. Mon rapport sur mes activités significatives durant mon intérim sera très bref, car il ne s’est pas passé grand-chose d’important. J’ai hâte de vous voir en personne, bien entendu.