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Le lendemain, alors que Geary attendait dans le lazaret que le docteur Nasr relâchât Yuon et Castries de leur quarantaine, Desjani vint l’y rejoindre. « Vous avez reçu un appel de l’amiral Timbal. »

Geary se dirigea vers le plus proche panneau de com et l’afficha. L’amiral Timbal, officier responsable de toutes les installations de Varandal, tirait une longue figure. « Amiral, j’ai reçu de la part des représentants du Grand Conseil l’instruction de vous avertir que deux vaisseaux estafettes civils se dirigent en ce moment même vers le portail de l’hypernet et deux autres vers des points de saut menant à d’autres systèmes. Ils devront être interceptés et arraisonnés par tous les moyens. On les soupçonne d’emporter des informations classées secret-défense par le gouvernement de l’Alliance. On m’a prié de vous souligner que ces ordres doivent impérativement être exécutés. Timbal, terminé. »

Geary se tourna vers Desjani en fronçant les sourcils. « Pourquoi ne m’avez-vous pas appelé de la passerelle dès réception de ce message ?

— Parce que je m’apprêtais justement à descendre ici et… (elle indiqua d’un geste la direction approximative du portail de Varandal) qu’il est impossible d’arraisonner ces estafettes sans l’assistance des vaisseaux de l’Alliance. Toutes sont trop proches du portail ou des points de saut qu’elles visent, et aucun de nos bâtiments ne s’en trouve assez près. Le seul point de saut gardé par une patrouille est celui d’Atalia. Si l’on m’avait demandé de les arrêter quatre heures plus tôt, c’eût sans doute été jouable, mais plus maintenant.

— Très bien. » Il ne mit pas en doute l’explication de Desjani. Les ordres du gouvernement ne tenaient probablement aucun compte de la réalité, mais les lois de la physique qui régissent l’univers n’ont jamais montré non plus d’inclination à se modifier pour se plier aux exigences d’un pouvoir humain. « Savez-vous pour quelle raison nous avons reçu l’ordre d’arraisonner ces estafettes ? Pourquoi le gouvernement croit-il qu’elles transportent des informations classifiées ? »

Le feint désarroi qu’afficha Desjani aurait presque suscité l’hilarité. « Nous commençons à recevoir des communiqués bourrés de détails sur les événements qui se sont déroulés à Sol durant notre séjour. Les médias locaux ont manifestement attendu que nous ne soyons plus en mesure d’arrêter ces estafettes pour les diffuser.

— A-t-on des indications sur la provenance de ces renseignements ?

— Pas à ma connaissance. »

Geary n’avait pas besoin d’un écran spécial ni d’informations supplémentaires pour analyser la situation ou les joindre à son message, de sorte qu’il tapa sur les touches du panneau de com pour transmettre sa réponse depuis le lazaret. « Amiral Timbal, ici l’amiral Geary. Compte tenu des positions et vecteurs de ces vaisseaux et des nôtres, il nous est hélas impossible d’intercepter une seule de ces estafettes avant qu’elles ne quittent le système. Veuillez, je vous prie, informer les représentants du Grand Conseil que nous déplorons cette infaisabilité matérielle d’exécuter leur ordre, mais que nous restons à leur disposition pour toute autre requête. Geary, terminé. »

Le docteur Nasr, qui s’employait laborieusement à vérifier toutes les données disponibles sur les deux lieutenants, n’avait même pas pris garde à la conversation ni à l’échange de messages. Son travail achevé, il se leva puis opina avec lassitude en même temps qu’il enregistrait son diagnostic. « Je ne trouve aucun signe d’infection. Si je me fonde sur les renseignements fournis par les autorités de Sol, elle aurait dû se déclarer une semaine plus tôt. Je recommande donc que les deux lieutenants soient libérés de la quarantaine.

— Je souscris à votre recommandation et j’ordonne que les lieutenants Yuon et Castries soient soustraits à leur isolement médical », ajouta Geary aussi solennellement.

Nasr appuya sur des touches pour s’adresser aux deux lieutenants. « Dans deux minutes, le verrou de l’écoutille qui vous maintient en confinement s’ouvrira. Ôtez tous vos vêtements avant de sortir du compartiment. N’emportez aucun objet en partant. Deux aides-soignants en combinaison isolante vous attendront pour s’assurer de votre complète décontamination, après quoi vous serez autorisés à circuler librement dans le vaisseau. C’est bien compris ?

— Compris, répondit Yuon.

— Ôter tous nos vêtements ? s’insurgea Castries. Je dois me retrouver à poil là-dedans avec lui ?

— Seulement pendant un bref instant, la rassura Nasr.

— Les ancêtres me préservent ! Je suis vraiment en enfer.

— La souffrance purifie l’âme, dit-on ! aboya Yuon.

— Si c’était vrai, je serais d’ores et déjà béatifiée.

— Lieutenant Castries, avez-vous bien compris ? » intervint Nasr.

Elle fit visiblement un effort pour se calmer. « Oui, docteur, j’ai compris.

— Commencez à vous déshabiller. L’écoutille s’ouvrira dans une minute et trente secondes. »

Geary se tourna vers Desjani. « N’existe-t-il pas une décoration que nous pourrions leur décerner pour avoir enduré tout cela ?

— J’en doute sérieusement. J’espère seulement qu’après avoir profité de quelques jours de repos pour se rétablir ils pourront se remettre au boulot. J’aurais horreur de scinder une bonne équipe de quart. »

Un commandant de vaisseau doit se montrer prosaïque avant tout, se dit Geary. « Dans quel délai pourrai-je m’entretenir avec les deux lieutenants, docteur ?

— La procédure de décontamination exigera environ une demi-heure. Vous êtes libre d’observer…

— Non, merci, docteur. Sans façon. Ils en ont bien assez enduré comme ça. Ils n’ont pas besoin, par-dessus le marché, qu’un supérieur les regarde se dépoiler et assiste à leur décontamination. Prévenez-moi quand ils seront prêts. » Mais, alors qu’il s’apprêtait à sortir, il trouva le général Charban en train de l’attendre. « Oui ?

— Pourrions-nous parler, amiral ?

— Certainement. Capitaine Desjani, je vais dans ma cabine. Veuillez prévenir l’envoyée Rione que je dois m’entretenir avec elle. »

Charban ne pipa mot durant les premières minutes du trajet. Lorsqu’il se résolut enfin à prendre la parole, ce fut d’une voix étrangement contrite. « Quelqu’un m’a coiffé au poteau.

— Comment ça ?

— Vous savez très bien ce que je veux dire, amiral. J’ai depuis longtemps mon content de sottises bureaucratiques. » Le général regardait droit devant lui, mais il ne semblait pas voir la coursive qu’ils arpentaient, plutôt des images qui hantaient son souvenir. « J’ai vu trop d’hommes et de femmes mourir à cause de la bêtise officielle. Sans raison ou pour un mauvais motif. Je sais que vous vous faites une piètre idée de mon jugement à cet égard.

— Général, je n’ai pas vieilli pendant le conflit, articula lentement Geary. Je n’ai pas passé ma vie entière à faire la guerre. Je ne juge pas ceux qui l’ont faite.

— Mais vous les jugez pourtant et je ne vous le reproche pas. » Charban poussa un lourd soupir. Son regard était de plus en plus hanté. « Il y avait dans le système stellaire de Sémélé une lune qui, de tout ce système, était le seul endroit vivable. Une géante rouge autour de laquelle tournaient quelques cailloux et une géante gazeuse dont cette lune était le satellite. Les Syndics l’avaient massivement fortifiée. Elle était à eux, de sorte qu’il fallait absolument que nous la conquérions. J’y ai conduit mes soldats et nous nous sommes battus. Nos vaisseaux l’ont bombardée jusqu’à ce qu’elle ne vaille même plus la peine qu’on s’en empare, mais les Syndics combattaient toujours. Je n’ai jamais compris cela, amiral. Comment, avec un gouvernement aussi ignoble, les Syndics pouvaient-ils continuer de se battre aussi férocement contre nous ? Mais les ex-Syndics de Midway me l’ont expliqué. Ils luttaient pour protéger leurs foyers. Un point c’est tout. Pas leur gouvernement. Leur maison. Leur famille. C’était ce qu’ils croyaient. »