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» Cela étant, s’il finit par s’acquitter un jour de ses dettes, il ne pourra le faire qu’en épurant le sac de nœuds, ce qui immanquablement dévoilera ces pratiques. C’est là, amiral, que tous les comptables qui font de leur mieux pour exécuter des ordres les contraignant à faire de la cavalerie se retrouveront épinglés pour ces mêmes faits, tandis que leurs supérieurs, ceux qui leur ont donné ces ordres, feindront la surprise et s’en scandaliseront avant de gagner une médaille et une promotion. »

Geary se fendit d’un ricanement cynique puis hocha la tête. « Vous avez sans doute raison.

— J’en suis persuadé, amiral. » Smyth écarta les mains. « Je n’ai nullement l’intention de servir moi aussi de bouc émissaire. Ni de permettre que ceux qui travaillent pour moi se fassent coincer. Tout ce que nous faisons est intègre et légal. Si l’on prend conscience de la manipe, on nous dira d’y mettre un terme, pas parce qu’elle est illégale mais parce qu’on se refusera à dépenser autant d’argent pour nous. Mais, tant qu’on ne nous dit pas d’arrêter, nous pouvons continuer et la justifier par des dispositions législatives et réglementaires. »

Geary sourit. « Nous sommes donc tranquilles ?

— Pas entièrement, amiral. Comme je l’ai dit au début, nous ne pouvons pas en ponctionner autant que nous le voudrions. L’argent est tout bonnement indisponible. En conséquence, les travaux de radoub sur vos vaisseaux sont ralentis. On n’y peut rien. »

L’horreur ! Une flotte construite pour au mieux durer deux ans, dont tous les vaisseaux avaient désormais dépassé leur espérance de vie programmée, un matériel tombant de plus en plus fréquemment en carafe à cause de sa « vétusté », et de moins en moins d’argent pour réparer ou remplacer les pièces défectueuses. Mais, sans le capitaine Smyth, la situation serait encore plus désastreuse. « Merci d’avoir tout fait pour garder notre flotte en état. Tâchez de me fournir une évaluation aussi précise que possible des conséquences qu’auraient sur sa remise en condition une baisse du financement si la tendance s’accentuait, sur une période d’environ six mois à dater d’aujourd’hui. Puis tenez-moi informé de tout changement ou problème majeur. Remerciez aussi le lieutenant Jamenson pour moi.

— Certainement, amiral. » Pour la première fois, le capitaine Smyth parut mal à l’aise. « Comme vous le savez, le lieutenant Jamenson, notre Shamrock aux cheveux verts, a exprimé son désir d’être transférée au service du renseignement. Vous aviez signalé que vous répondriez favorablement à sa demande, et j’ai abondé dans votre sens quand vous avez affirmé que nous ne devrions pas la pénaliser d’avoir si bien travaillé à son poste actuel en lui barrant la route vers d’autres opportunités. Néanmoins, au vu des circonstances présentes, j’aimerais autant ajourner son transfert. »

Étrangement, ces questions d’ordre personnel semblaient à Geary plus difficiles à gérer que des discussions abstraites sur le financement et l’équipement. « Je lui parlerai, capitaine. Je lui expliquerai de quoi il retourne et pourquoi nous avons besoin d’elle à ce poste pour l’instant. » Geary se massa la mâchoire d’un air contrit. « J’aimerais pouvoir lui promettre de la muter dans un ou deux mois, mais ça m’est impossible. »

Smyth haussa les épaules. « Vous savez quoi, amiral ? Ça peut paraître curieux, compte tenu de l’aptitude du lieutenant Jamenson à embrouiller et dissimuler les problèmes, mais elle aime bien qu’on lui parle franchement. Je trouve votre idée excellente.

— A-t-elle déniché d’autres informations sur ce nouveau chantier ? »

Cette fois, Smyth secoua la tête. « Rien directement. Mais je soupçonne vivement certaines subventions absentes des comptes que nous tentons de ponctionner d’avoir été redirigées pour couvrir les dépassements de budget de ce chantier. Il y a pourtant une anomalie. Les installations auxiliaires. On n’en trouve aucune.

— Que voulez-vous dire ? » Geary montra d’un geste l’écran des étoiles. « Avec toutes les réductions au sein des forces, il devrait se trouver un bon nombre d’installations auxiliaires en état qu’on pourrait désosser pour monter sur ces nouveaux vaisseaux.

— Sans doute, amiral. » Smyth désigna l’écran à son tour, l’air perplexe. « Mais, premièrement, nous ne réussissons pas à mettre la main sur l’argent éventuellement détourné pour les maintenir opérationnelles, et, deuxièmement, si la construction de la flotte en question doit rester cachée, comment préserverait-on le secret si on l’expédiait à des installations préexistantes dans un système stellaire bourré de gens qui verraient ces nouveaux vaisseaux. Il faudrait des installations flambant neuves, là où nul ne les repérerait.

— L’argument est solide. » Nouvelles énigmes. « Si nous coincions l’amiral Bloch, nous retrouverions probablement ces installations et tous les nouveaux vaisseaux déjà achevés.

— Peut-être sont-ils à Unité Suppléante ? suggéra Smyth en souriant.

— Unité quoi ?

— Unité Suppléante. » Le sourire de Smyth s’effaça. « Vous ne voyez pas ? Bien sûr que non. Pour nous, c’est une vieille blague, mais vous n’avez jamais dû l’entendre. Il y a une cinquantaine d’années au moins, le bruit a commencé à courir qu’on construisait une base de repli d’urgence au cas où les Syndics frapperaient Unité, la capitale de l’Alliance. Dans un système stellaire secret où le gouvernement bâtirait clandestinement toutes sortes d’installations et d’où il pourrait continuer à mener la guerre si le pire se produisait.

— Un système stellaire secret ? Comment ça pourrait-il bien marcher ?

— Tout le problème est là, n’est-ce pas ? L’hypernet fonctionnait déjà à l’époque, si bien qu’on abandonnait certains systèmes marginaux, mais tous ceux vers lesquels on pouvait sauter nous restaient accessibles. En condamner un serait revenu à afficher un panneau gigantesque annonçant ICI INSTALLATION SECRÈTE. On a bien cherché, mais personne n’a rien trouvé, de sorte qu’à la longue ça a tourné à la plaisanterie. Tout ce qui relevait du mystère, tout ce qui venait à disparaître était attribué à Unité Suppléante. Pourquoi ma permission n’a-t-elle pas encore été accordée ? Parce que ma demande est bloquée à Unité Suppléante. Où sont passés les nouveaux techniciens ? On les a envoyés à Unité Suppléante. La blague est si ancienne que seuls les vieux croûtons comme moi la comprennent. »

Geary soupira. « Au moins la comprendrai-je la prochaine fois qu’on me la servira. À propos d’objets disparus, je constate que l’Invulnérable n’est plus là. Où l’a-t-on emmené ? » Le cuirassé bof capturé était d’une valeur inestimable dans tous les sens du terme. Geary n’avait pas douté une seconde que le gouvernement chercherait à le transporter ailleurs pour l’explorer, lentement et consciencieusement, et l’exploiter, comme tout ce qu’il recelait à son bord.

Smyth ouvrit les bras. « Je n’en sais pas plus que vous. Non seulement ils ne nous ont pas dit où ils allaient quand ils ont emprunté l’hypernet, mais je n’ai pas réussi à obtenir la moindre information sur leur destination. Toutes les agences de presse de l’Alliance cherchent l’Invulnérable, mais aucune n’en a retrouvé la trace.

— Il est à Unité Suppléante ?

— Exactement. Vous voyez ? Vous avez déjà pigé la blague. » Smyth s’interrompit une seconde puis reprit sur un ton plus sérieux. « Il y a encore autre chose, amiral. Un très gros os. Depuis que l’Indomptable est revenu à Varandal, le bruit court que divers articles se vendent au marché noir.

— Divers… articles ?

— Oui. » Smyth désigna vaguement la direction du lointain système solaire. « La plupart proviennent de la Vieille Terre ou d’ailleurs dans son système, et, s’ils n’ont pas été déclarés à la douane, autant que je puisse le dire, et n’ont donc pas été affranchis, ils restent assez anodins. Mais on parle également de collectors en provenance d’Europa.