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— Peut-être. Peut-être aurait-ce donné assez de grain à moudre aux Syndics pour qu’ils n’attaquent jamais l’Alliance. Et peut-être aussi que ça aurait déclenché la même guerre trois ans plus tôt. C’est une voie que nous n’avons pas empruntée, Tanya. Nous ne savons pas à quoi elle nous aurait menés. Sans doute exactement à la même destination.

— Pas exactement. Tu ne serais pas là. » Elle le dévisagea un instant puis sourit. « Ou peut-être que si, s’il était écrit que ça devait arriver malgré tout. » Son sourire s’effaça aussi vite qu’il lui était venu. « Les réfugiés de Batara se rendent à Adriana ? Alors ils passent sûrement par Yokaï. Ce système n’est jamais tombé aux mains des Syndics bien que de violents combats s’y soient déroulés. Pourquoi les défenses de l’Alliance à Yokaï ne les arrêtent-elles pas ? »

Geary tendit la main pour afficher l’image du système contrôlé par l’Alliance et consulta les données de la légende qui s’inscrivait à côté. « J’ai traversé Yokaï à deux reprises il y a cent ans. Il n’y a pas grand-chose là-bas. Quelques petites villes et des installations orbitales éparpillées autour de planètes marginales inhabitables. Elles vivaient surtout du trafic interstellaire qui traversait le système vers d’autres destinations. Il semblerait que toutes ces villes aient disparu longtemps avant que l’hypernet ne soit construit et n’y mette un terme définitif. »

Desjani pointa de nouveau le doigt. « Tout ce que les attaques syndics n’ont pas détruit a été abandonné ou transformé en fortifications et installations défensives.

— Qu’est-il advenu des habitants ?

— Ceux qui ont survécu ? Ils ont connu le même sort que d’habitude puisque Yokaï n’a pas de planète habitable, plus de villes, et que sa population était clairsemée. Regarde. Yokaï est devenu une ZDR, une zone défensive réservée uniquement autorisée aux militaires. Quand le système a reçu cette étiquette, les citoyens qui y vivaient et y travaillaient ont dû être relogés ailleurs. Beaucoup ont sans doute été envoyés à Adriana. » Elle marqua une pause de quelques secondes pour observer l’écran d’un œil lugubre. « Pas des masses, j’imagine, en comparaison d’un système stellaire disposant d’une planète habitable et d’une population importante, mais tous ont perdu leur foyer.

— Des réfugiés de l’Alliance, lâcha Geary.

— Ouais. Et, maintenant, Adriana va devoir s’inquiéter d’une nouvelle charretée de réfugiés. Mais pourquoi ne les a-t-on pas arrêtés avant ? » Elle fixa l’écran d’un œil soudain plus intense. « Minute ! » Elle toucha un symbole apparemment anodin proche de la représentation de Yokaï, attendit un instant puis le toucha de nouveau. « J’obtiens un refus d’accès à des données classifiées. Quelles informations pourraient-elles bien être inaccessibles à un capitaine de la flotte ? Tu la commandes. Essaie, toi. »

Geary s’exécuta. Une notice s’afficha aussitôt. « Il faut croire que l’accès m’est accordé. Par mes ancêtres ! » ne put-il s’empêcher de jurer en lisant ce que déclarait la notice cachée.

Les citoyens de Yokaï en avaient été expulsés de nombreuses décennies plus tôt. Les militaires l’avaient à présent désertée aussi. Bien que les premières informations accessibles de l’écran eussent montré de fortes défenses toujours en place, la notice classifiée, elle, datait de la plus récente mise à jour de l’Indomptable et affirmait qu’en réalité ces bases liées au conflit étaient à présent abandonnées, fermées en toute hâte dans la foulée des drastiques coupes budgétaires imposées à la Défense par le gouvernement de l’Alliance. « Voilà qui explique au moins pourquoi Yokaï n’a pas arrêté les réfugiés. Il n’y avait plus personne pour s’en charger. Ni même pour signaler leur passage.

— On a bouclé des défenses frontalières si proches du territoire syndic ? s’étonna Desjani, incrédule. Que ça ait entraîné des problèmes n’a surpris personne ?

— Si, sûrement, pourvu que l’on soit assez profondément enraciné dans le déni, répondit Geary. Ou si les différentes agences se laissaient mutuellement dans l’ignorance de leurs décisions. Adriana doit être folle de rage.

— Elle l’ignore sans doute encore, dit Desjani. Yokaï reste une ZDR. Personne de l’Alliance ne doit pouvoir s’y rendre sans une autorisation officielle.

— Mais les Syndics le savent, eux ! Ils traversent ce système ! Pourquoi le cacher à nos propres… Oh ! Peu importe ! Je l’apprendrai à Adriana. »

Desjani inclina légèrement la tête de côté pour le dévisager. « Il y a autre chose, n’est-ce pas ? La mission mise à part.

— Ouais. » Geary inspira lentement. Il cherchait les mots justes. « Tanya, autrefois… une communauté prospérait à Yokaï. C’était son foyer. J’ai traversé deux fois ce système. Je l’ai vue. Et je suis la dernière personne vivante à l’avoir vue. Combien de gens s’en souviennent-ils encore ? »

Desjani poussa un soupir. « Amiral… Jack… Si tu commences à dresser la liste de tout ce qui a disparu au cours du dernier siècle, tu vas devenir fou. Elle est sûrement interminable.

— Je n’oublierai pas.

— Très bien. N’oublie pas. Mais tu dois aussi garder en mémoire ce qui se passe actuellement. On veut que tu y emmènes une division de croiseurs de combat ? rappela-t-elle avec une fureur renouvelée. Mais rien qu’une. T’envoyer là-bas avec ces bâtiments évoque davantage un massacre collectif qu’une opération de rapatriement de réfugiés, mais, si l’argent manquait autant qu’ils le prétendent, ils ne t’auraient confié que le strict minimum dans la fourchette fixée par leurs analystes. Autant dire qu’une division ne suffit pas et que cette mission est une tâche plus compliquée qu’il n’y paraît.

— La dernière fois que j’ai traversé cette région de l’espace, il n’y avait en tout et pour tout que deux divisions de croiseurs de combat dans la flotte.

— Oui, amiral. Mais je te ferai remarquer ce que nous savons déjà tous les deux : tu parles du passé, et le retour de ces réfugiés à Batara implique de pénétrer dans l’espace syndic. Si je me fonde sur ce que les Syndics nous ont fait quand nous sommes rentrés de Midway, je peux te garantir qu’une seule division sera insuffisante pour cette mission.

— Je n’ai pas le choix. Mes ordres sont clairs et sans ambiguïté. Et l’argent manque. Le capitaine Smyth me l’a confirmé.

— L’amiral Tosic en a pourtant trouvé en quantité pour construire la nouvelle flotte !

— Quelqu’un s’en est chargé, oui, mais nous en sommes privés, nous. J’ai demandé à Smyth de détourner des fonds pour la réparation et la remise en état de nos vaisseaux vétustes ou endommagés, mais ça ne fera pas le compte. »

Desjani fixa un instant le vide d’un œil noir puis hocha la tête. « Très bien. L’Indomptable est prêt à partir. J’aurai encore besoin d’un jour ou deux pour sortir le Risque-tout et le Victorieux du radoub…

— Tanya, les ordres spécifient la première division de croiseurs de combat.

— Vous ne pouvez pas… Amiral, il n’y a pas… La première division ne se compose plus que de trois bâtiments depuis la perte du Brillant !

— Je sais. » Il savait aussi qu’elle était franchement courroucée, mais il s’abstint de le mentionner. « Cela vous donnera l’occasion de consigner l’Indomptable pour des réparations et de permettre à son équipage de partir en permission.

— Et vous avez l’intention de pénétrer sans moi dans l’espace syndic ? » Desjani se tordit les mains. « Je… Amiral… Bon sang !