La première réponse lui parvint du colonel Galland quelque six heures et demie plus tard. Elle avait l’air fatiguée, mais son regard restait perçant. « Bienvenue à Adriana, amiral. Je constate que vos destroyers sont déjà entrés en action. Je vous remercie de votre aide dans le regroupement des derniers vaisseaux de réfugiés syndics. Nous sommes un peu débordés par le nombre de vaisseaux et de réfugiés, et mes AAR ne sont pas conçus pour de telles situations. La flotte avait toujours réglé ces problèmes jusque-là, d’ordinaire en procédant à leur interception à Yokaï. Mais ses derniers éléments en ont apparemment été retirés il y a deux mois. Il restait encore deux de ses destroyers à Adriana, mais eux aussi ont été rappelés voilà trois semaines. Depuis, nous faisons des pieds et des mains pour traiter la question avec les moyens du bord. »
Galland eut un sourire amer. « La moitié de mes escadrons devraient déjà être désarmés, mais j’ai obtenu un sursis en contraignant le gouvernement local à interpeller les sénateurs d’Adriana à Unité. Néanmoins, je m’attends toujours à ce que les coupes budgétaires prennent effet à un moment donné, de sorte que, à moins que vous ne restiez stationné ici à longue échéance, il nous faudra trouver une solution à ce qui se produit à Batara. Une fois ces escadrons dissous, mon quartier général sera probablement réduit aussi ici, et moi partie. Vous trouverez sans doute ce fauteuil inoccupé en rentrant de Batara. »
Elle eut de nouveau un sourire privé de tout humour. « Si vous ne connaissez pas le général Sissons, je vous préviens gentiment. C’est une étoile à neutrons. Ni lumière ni chaleur, rien que des radiations toxiques détruisant tout autour d’elles, corps et âmes. Il attendra de vous que vous fassiez tout ce qui bon lui semblera, trouvera de bonnes raisons de s’en abstenir lui-même et s’attribuera le mérite de tout ce qui sera entrepris et connaîtra un succès. Mais il lèche les bottes de gens influents, si bien qu’il survivra aux coupes budgétaires de ses propres forces. Il ne lui reste plus que quelques mois à passer dans le système avant d’être muté au QG des forces terrestres. »
L’aigre sourire vira à la sombre détermination. « Amiral, j’ai passé quinze ans à combattre les Syndics et à protéger les systèmes stellaires de l’Alliance de leurs entreprises. Mon prédécesseur est mort en repoussant une attaque sur Adriana pendant que votre flotte rentrait de Prime en combattant. Et maintenant, il me reste à m’appuyer les réfugiés, à me préparer à éteindre la lumière après que le dernier occupant aura quitté cet immeuble et à rendre mon uniforme dès que mes effectifs seront réduits à zéro. Raison pour laquelle, d’ailleurs, je me montre si franche avec vous. Je préfère me retirer en ayant accompli quelque chose plutôt que de continuer à jouer le jeu dans l’espoir de prolonger ma carrière d’un an ou deux. Je ne peux guère faire davantage avec, sur les bras, tous ces Syndics que j’empêche de se répandre dans le territoire de l’Alliance. Mais, si je puis faire mieux, comptez sur moi. En l’honneur de nos ancêtres, Galland, terminé. »
La réponse du général Sissons arriva six heures plus tard. En consultant l’heure locale, Geary constata que son propre message avait atteint la planète en pleine nuit. Sissons n’avait envoyé sa réponse qu’au matin.
« Ici le général Sissons. Geary, j’aimerais recevoir une mise à jour complète du statut de tous vos vaisseaux, ainsi qu’un briefing sur votre plan d’action pour le retour des réfugiés à Batara en ne recourant qu’aux seuls atouts de la flotte. Mes propres forces doivent répondre à des engagements qui les poussent à leur dernière extrémité. Je constate que vous avez déjà pris des mesures limitées pour pallier la lamentable absence de soutien de la flotte ces derniers mois. Je désapprouve ces décisions unilatérales relatives aux manœuvres conjointes de nos forces, qui auraient dû être coordonnées auparavant dans mon QG. Pour votre gouverne future, toutes communications avec les gouvernements, forces de police, haut commandement de l’aérospatiale ou personnes extérieures à ce système stellaire, y compris le QG de la flotte, devront passer par mon QG et les canaux appropriés déjà convenus, en concordance avec les protocoles en vigueur. Si vous avez encore des questions concernant mes attentes et vos ordres, veuillez contacter mon chef d’état-major. Sissons, terminé. »
La première réaction de Geary à la lecture de ce message fut d’adresser aux vivantes étoiles une chaleureuse prière de remerciement pour leur exprimer sa gratitude de ne pas l’avoir placé sous les ordres du général Sissons, encore que celui-ci ait tout fait pour donner l’impression qu’il devrait dans tous les cas passer par lui. Sa prière finie, il se repassa de tête diverses réponses amusantes qu’il pourrait lui transmettre. Mais je ne peux pas vraiment l’envoyer rebondir comme je l’aimerais. Tout ce que je lui dirai doit paraître raisonnable et approprié à d’autres. Je ne voudrais pas que Sissons me pousse à faire mauvaise figure.
Il en concocta une en se représentant mentalement les critiques que Tanya puis Victoria Rione y apporteraient probablement : « Général Sissons, ici le commandant des forces de la Première flotte de l’Alliance dans le système d’Adriana, commença-t-il en s’efforçant de parler d’une voix neutre. En réponse à vos suggestions, je dois tout d’abord vous informer que je me plierai aux protocoles de la flotte de l’Alliance et que je communiquerai donc directement avec tous ceux que je souhaite contacter. Je reste ouvert à toutes vos propositions concernant l’emploi le plus efficace des forces qui sont sous mes ordres, mais, bien évidemment, je garde toute autorité sur ces interventions. Puisque vous gérez depuis plusieurs mois le problème des réfugiés syndics et que mes ordres spécifient que les forces terrestres assureront la sécurité lors des opérations présidant à leur retour, j’aimerais consulter le plus tôt possible les plans d’évaluation des risques et des options que votre QG a déjà dû échafauder pour résoudre ce problème en recourant à vos seules forces. Geary, terminé. »
Il rayonnait encore de plaisir à l’idée d’avoir respectueusement signifié à Sissons où il pouvait se fourrer ses « attentes » quand un autre message se présenta, provenant cette fois du gouvernement du système d’Adriana.
La majeure partie du gouvernement semblait se tenir à l’arrière-plan de la femme âgée qui s’exprimait. Grâce aux avancées de la génétique et de la science médicale, les vieilles gens ne faisaient plus leur âge, sauf lorsqu’elles approchaient de la fin de leur vie, tant et si bien que Geary se rendit compte qu’elle avait dû naître au cours des premières décennies de la guerre, ce qui faisait presque d’elle sa contemporaine.
« Bienvenue, amiral Geary, déclara-t-elle avec une dignité tout officielle. La population d’Adriana s’estime très honorée de votre présence dans notre système et n’a pas de mots pour exprimer sa reconnaissance pour l’aide que vous lui apportez dans la résolution de nos ennuis actuels. Nous savons que vous serez très occupé par votre mission et que vous nous contacterez malgré tout, mais, si vous avez du temps à consacrer à des événements mondains, nous tenons à vous informer que l’Académie adrianienne des enfants des Forces armées héberge un petit qui devrait descendre d’un des spatiaux de votre Merlon. Nous savons que vous tiendriez à en prendre connaissance. En l’honneur de nos ancêtres, présidente Astrida, terminé. »