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— Ça n’était pas sans une certaine logique », intervint Naxos. Il contempla ses propres mains en fronçant les sourcils. « Les autres rebelles voulaient se débarrasser de nous, alors ils nous ont précipités dans la Bouche de l’Enfer.

— Les autres points de saut mènent à Yaël et Tiyannak, reprit Araya. Yaël reste sous contrôle syndic. Ils n’ont pas la force de reconquérir Batara, mais au moins celle de lancer contre nous des attaques limitées. Ils émergent, bombardent quelques installations, détruisent des moyens de transport et filent. Ils affirment qu’ils cesseraient si nous nous soumettions à nouveau au Syndicat. Mais chacun sait à Batara que permettre aux CECH de revenir nous vaudrait un sort bien pire que tout ce que peuvent nous infliger les forces de Yaël. Et ceux qui nous en ont chassés ne tenaient pas à ce que nous aidions les CECH ou que nous les rallions, ni surtout que nous leur expliquions par le menu ce qui s’y passait, de sorte qu’ils ne nous ont pas laissés sauter vers Yaël.

— Mais Tiyannak ? s’enquit Geary.

— Tiyannak ! cracha Naxos comme s’il lâchait un gros mot. Il y avait là-bas une installation de remise en état des forces mobiles. Pas grand-chose d’autre. Mon frère y travaillait. Ils se sont révoltés aussi et se sont emparés des unités qui y étaient stationnées. Ils ont lancé des raids sur Batara au cours des quatre derniers mois. Non, six maintenant. Ils sont en quête de produits raffinés, de matériel spécialisé, de réserves alimentaires en vrac et ainsi de suite. Batara ne peut pas les repousser avec ses seuls moyens, qui se résument à quelques vaisseaux marchands reconvertis et légèrement armés.

— Nous devions traverser la Bouche, répéta Araya. Nous avons gagné l’étoile à l’autre bout. Yokaï. Il n’y avait strictement rien là-bas. Des installations fermées, protégées par des systèmes de sécurité automatisés qui nous ont d’abord mis en garde puis refoulés. Nous devions poursuivre notre chemin. Nous sommes donc venus à Adriana. Et les gens d’ici ont refusé de nous parler, de nous laisser partir ni rien. Ils nous fournissent juste de quoi survivre, et nous sommes obligés de rester en orbite et d’attendre.

— Nous pouvons travailler, affirma Naxos en coulant encore un regard vers Geary. Nous sommes tous expérimentés et durs à la tâche. Nous sommes disposés à nous rendre là où on nous donnerait du boulot. Il doit bien y avoir d’autres endroits que l’Alliance ou le Syndicat. Mais, si vous cherchez à nous ramener chez nous, on nous virera de nouveau et nous nous retrouverons ici. Sauf s’ils nous massacrent. Pourquoi ne pas nous laisser une chance ? »

Geary les scruta et lut dans leurs yeux fierté, défiance et désespoir. « Vous venez de me dépeindre ce que vous inspirait l’Alliance après un siècle de guerre à votre porte. Que croyez-vous que ressentent les gens d’Adriana à votre égard, après avoir vécu la même chose dans l’autre camp ?

— Nous n’avons pas déclenché la guerre ! protesta Araya.

— À la vérité, si, déclara prosaïquement Geary. Les Mondes syndiqués, en tout cas. Ils ont lancé une attaque surprise contre l’Alliance. Je suis bien placé pour le savoir puisque j’en ai repoussé une.

— C’est imposs… » Araya s’interrompit brusquement, les yeux écarquillés, et se recula dans son fauteuil aussi loin que le lui permettait la cloison du cargo. Vous êtes cet homme. C’est donc vrai.

— Je suis effectivement l’homme que vous connaissez sous le nom de Black Jack. Je sais que vos dirigeants vous ont menti sur l’identité réelle de ceux qui ont déclenché le conflit, alors, même si vous refusez de me croire, vous devriez peut-être vous demander pourquoi vous les croyez encore, eux.

— De notre faute », souffla Naxos, l’air anéanti. Il regardait de nouveau fixement ses mains. « Même après tout ce temps, nous devons encore payer pour les crimes de nos ancêtres. C’est bien ça ?

— Je n’en vois pas la nécessité, dit Geary. Pas si vous ne représentez plus une menace pour l’Alliance. C’est encore le cas ?

— Notre réponse importe-t-elle ?

— À mes yeux, oui. »

Araya chercha le regard de Geary, enhardie. « Si vous êtes vraiment cet homme… Nous voulons seulement que l’Alliance nous laisse en paix. Permettez-nous de partir et de trouver un refuge. Ou préférez-vous Batara ? On y est déjà débordé par les agressions de Yaël et Tiyannak. On n’y tient pas à prolonger la guerre contre l’Alliance. Mais on ne nous reprendra pas.

— Il le faudra bien, répondit Geary. On ne peut pas autoriser ce système à rejeter des gens dans l’espace de l’Alliance, et, si ça signifie un changement de gouvernement à Batara, j’y suis disposé. » Les sous-programmes du détecteur de mensonges rudimentaire inclus dans le logiciel de conférence n’ayant signalé aucune duplicité de la part de ses deux interlocuteurs, Geary inclinait à les croire, car aucun gouvernement digne de ce nom ne contraindrait un aussi grand nombre de ses citoyens à l’exil, ni ne reprendrait la gestion des camps de travail syndics au lieu de les fermer.

« Vous comptez conquérir Batara maintenant que le Syndicat n’est plus là ? demanda Araya. Vous le pourriez, car rien à Yaël ne résisterait à vos forces mobiles. Mais il vous resterait à affronter Tiyannak.

— Je n’envisage aucune conquête. De combien de vaisseaux de guerre dispose exactement Tiyannak ?

— On n’en sait trop rien, répondit Naxos. Vous parlez de forces mobiles, n’est-ce pas ? Au minimum deux croiseurs lourds, peut-être une douzaine de croiseurs légers et d’avisos. Et un cuirassé.

— Un cuirassé ?

— Il était déjà à Tiyannak, expliqua Araya. Mais pas opérationnel. Endommagé pendant une bataille juste avant la fin de la guerre. Nous croyons que, dès que Tiyannak l’aura remis en état, le système s’en servira pour asservir Batara. Il s’en est assez vanté. Ce sera le plus puissant système stellaire de la région. Et l’Alliance elle-même ne pourra pas les arrêter. C’est du moins ce qu’ils prétendent. »

Et, quand Tiyannak aurait pris Batara, ce système voyou en possession d’un cuirassé contrôlerait une nouvelle étoile à la frontière de l’Alliance, à proximité d’un Yokaï dont les défenses s’étaient envolées, et d’un Adriana où les restrictions budgétaires les avaient quasiment étripées.

Une situation déjà pénible et agaçante en soi venait brusquement de se révéler affreusement dangereuse.

Dix

Duellos escorta Geary jusqu’à la soute des navettes de l’Inspiré puis il fit halte au pied de la rampe d’accès de celle qu’allait emprunter l’amiral et l’implora du regard. « Vous êtes conscient du sort qui me sera réservé si jamais il vous arrive malheur.

— Tanya ne vous ferait pas de mal.

— Comment pourriez-vous ignorer ce dont est capable la femme avec qui vous êtes marié ? Je vous en prie, amiral, faites-vous accompagner d’une section de fusiliers. Personne ne s’en offusquera. »

Geary secoua la tête avec obstination. « Non. Je ne suis pas un CECH syndic à qui il faut des gardes du corps partout où il se rend.

— Le capitaine Desjani avait prévu que vous le prendriez ainsi. “Il se montrera probablement têtu comme un bourricot”, a-t-elle dit très exactement avant d’exiger que je rappelle à l’amiral que diverses cliques ont tenté de mettre fin à ses jours dans le système solaire.

— Je ne l’ai pas oublié, rétorqua l’amiral en question. Mais, tant qu’on y est, le capitaine Desjani m’a aussi rappelé que Black Jack était un symbole important. Ce qu’il signifiait. Que ça l’afficherait mal et quel message ça enverrait s’il se mettait à croire qu’il a besoin d’une garde personnelle pour arpenter une planète de l’Alliance entouré de citoyens de l’Alliance.