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Le nombre de limousines tout aussi luxueuses et lourdement protégées dont on faisait l’acquisition pour les officiels devait être énorme, s’aperçut-il. Il soupçonnait les coupes budgétaires de ne guère affecter ces débours. « Seriez-vous parente avec un docteur Schwartz du département des Études des intelligences non humaines de l’université de Vulcan ? s’enquit-il.

— Pas à ma connaissance. »

Ni le général Schwartz ni la majeure partie des occupants de la limousine ne semblaient disposés à se détendre de sitôt, de sorte que Geary avait lui-même le plus grand mal à se relaxer. Visiblement, ils s’attendaient au pire de sa part.

Pourtant le colonel Galland s’adossa plus confortablement à son siège et coula vers Geary un regard inquisiteur. « Les intelligences non humaines ? Nous avons récemment vu un tas de bulletins de presse se rapportant à celles que vous avez découvertes, et plus particulièrement à ce qu’ont fait les extraterrestres que vous avez amenés sur la Vieille Terre.

— Tout cela est classé secret-défense, prévint le général Schwartz.

— Vous êtes tous accrédités, n’est-ce pas ? demanda Geary. Vous avez donc le droit d’être informés comme tout le monde.

— Pouvez-vous nous en dire plus ? » demanda la présidente Astrida.

C’était là une assez aimable invite à briser la glace avant la réunion. Il devait en remercier le colonel Galland.

D’autant que ces gens-là allaient devoir encaisser d’ici peu quelques très mauvaises nouvelles.

« Le général Sissons a été irrémédiablement retenu…

— Quoi ? » Geary avait coupé la parole au colonel. Il ne lui semblait pas s’être exprimé violemment, pourtant Galland pâlit et parut avoir un mal fou à reprendre la parole.

« Le général assistera à la réunion par le truchement d’un logiciel de conférence », finit-elle par dire précipitamment.

Geary trouva le siège portant un écriteau ornementé indiquant la place du « commandant de la flotte de l’Alliance dans le système stellaire d’Adriana » et réprima l’envie de faire remarquer qu’on aurait dû lui accorder plutôt le titre de « commandant de la Première Flotte de l’Alliance ». Il se leva, attendit que la présence virtuelle du général Sissons apparût dans son siège et que tout le monde se fût assis.

La présidente Adriana fit le tour de la tablée du regard, crispa les mâchoires assez fort pour que son visage marqué trahît son âge puis fit signe à Geary. « Amiral, vous disiez cette réunion urgente. »

Geary ne s’accorda une pause que pour activer l’écran des étoiles au-dessus de la table, légèrement sidéré malgré tout de voir quatre assistants, tant militaires que civils, se précipiter pour appuyer sur le bouton à sa place. Il les congédia d’un geste puis désigna la région dont Adriana occupait le centre. « Vous avez un sérieux problème.

— Si j’ai bien compris vos ordres, intervint un bureaucrate vêtu d’un complet digne d’un CECH syndic, vous êtes censé reconduire les réfugiés dans l’espace syndic. En quoi serait-ce notre problème ? »

Tant de personnes de l’assistance semblaient partager cette opinion que Geary décida d’entrer dans le vif du sujet. « Parce que, si un cuirassé appartenant à une puissance hostile se pointait à Adriana, vous vous feriez tous allumer. »

Le silence tomba brusquement. « Le cuirassé en question appartient à Tiyannak, ce système stellaire, précisa-t-il en pointant l’écran du doigt. Tiyannak a signifié son intention de conquérir Batara, d’où proviennent vos réfugiés. Ce qui ferait de lui votre plus proche voisin. »

Quelqu’un réussit enfin à recouvrer la voix. « Tiyannak est en rébellion ouverte. Ce n’est plus un système syndic.

— De qui tenez-vous cela ? demanda la présidente Astrida en promenant sur ses dignitaires un regard chargé de réprimande. Je n’ai rien appris de tel.

— Des réfugiés, répondit Geary.

— Ils ne nous ont rien dit à nous ! s’insurgea une de ceux que la présidente semblait accuser. Je suis montée moi-même à bord d’un de leurs cargos. Ils ne cherchaient qu’à se trouver un emploi et ne parlaient de rien d’autre.

— C’était ce qu’ils disaient ?

— Ils disaient… Ils se disaient aptes au travail. Ils cherchaient à se placer. Ils refusaient de parler d’autre chose. J’ai requis une assistance militaire pour les interrogatoires, mais nous n’avons pas pu l’obtenir parce qu’on m’a répondu que le problème des réfugiés ne regardait que les civils ! J’ai menacé ces Syndics, je leur ai dit ce que nous allions leur faire et ils n’ont rien ajouté de plus. » Le regard de la femme se focalisa sur Geary. « Que leur avez-vous fait ? Quelles ruses avez-vous employées pour les questionner ? Qu’est-ce qui les a assez intimidés pour qu’ils coopèrent ?

— Je leur ai parlé », répondit Geary. Toute la tablée le fixa, l’air de n’y rien entendre. « C’est tout. Je leur ai parlé. On peut parler avec les Syndics. D’ailleurs, ce ne sont même plus des Syndics. Mais il faut s’adresser à eux. Pas les interroger ni les menacer, tout simplement leur parler. Ces gens ont passé leur entière existence dans la crainte de perdre la vie, sous la férule de leurs propres dirigeants et d’un service de la sécurité interne au pouvoir pratiquement incontrôlé, ajouta-t-il. Pour eux, toutes nos menaces restent puériles. Ils ont appris à éluder les questions, à éviter de déballer ce qu’ils savent, à taire toute vérité qui pourrait attirer l’attention sur leur personne ou leur valoir des ennuis. Ils ont refusé d’aborder avec vous un autre sujet que le travail parce que c’était le seul qui leur paraissait sans danger… parce qu’ils nous croient semblables à leurs dirigeants.

— C’est qu’ils sont stupides », lança quelqu’un sur le ton du mépris.

Geary sentit ses joues s’empourprer de colère. « Non. Ce sont des survivants. Leur comportement se conforme aux seules règles qu’ils connaissent. Ils ne font confiance à personne. Mais, quand j’oriente la discussion vers leur intérêt personnel, alors, là, ils comprennent parfaitement. La base de données de la flotte contient assez d’informations sur Tiyannak et le système Yaël encore contrôlé par les Syndics pour confirmer en partie leurs dires. Tiyannak est un système stellaire pauvre en ressources mais assez bien placé stratégiquement derrière les lignes syndics pour servir de base de radoub et de remise en état de leurs vaisseaux. Il n’est plus aujourd’hui sous leur contrôle et ses ressources sont toujours aussi médiocres, mais il dispose des bâtiments de guerre que les Syndics y ont laissés. Les réfugiés ne comprennent pas quelle signification revêt pour nous la présence de ce cuirassé à Tiyannak. Ils n’y voient qu’une menace pour Batara. Mais, s’il va jusqu’à Batara, il deviendra aussi une menace pour Adriana. »

La présidente Astrida fixa l’écran des étoiles en fronçant les sourcils. « Les défenses de Yokaï ne peuvent-elles pas l’arrêter ? Pourquoi ça ?

— Parce qu’il n’y a plus de défenses à Yokaï. On les a bouclées. L’Alliance a complètement abandonné ce système. »

Le général Sissons intervint d’une voix forte : « Cette information est classée secret-défense. Elle ne devrait pas être…

— Tout le monde ici devrait être habilité à la connaître, le coupa Geary. Je la divulgue de ma propre autorité.

— Mais… nous sommes depuis cent ans en première ligne… se plaignit un des officiels du gouvernement. Bon, d’accord, près de la ligne de front. Juste derrière. Et l’Alliance a toujours été là pour nous défendre.

— Le gouvernement de l’Alliance a opéré des coupes sombres tous azimuts dans le budget à mesure que le flot des subsides se tarissait, lâcha Geary. Je ne devrais pas avoir à vous l’expliquer. Je sais que certains sénateurs d’autres systèmes stellaires, qui prônaient le maintien d’un revenu au gouvernement central plus important afin de permettre à l’Alliance de s’acquitter de ses priorités, ont été battus aux élections. Je sais aussi que tout le monde est las de la guerre, d’une interminable succession de combats, de morts et de destructions. Y mettre fin a sans doute réduit la menace qui pesait sur nous, mais elle ne l’a pas supprimée, et elle en a au contraire créé de nouvelles. »