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Il dut s’interrompre à nouveau, trop ému. « Si les gens de la Vieille Terre – nos ancêtres comme leurs descendants qui y vivent encore de nos jours – pouvaient se mettre à rebâtir, à s’échiner encore et encore, pouvons-nous faire moins ? Nous sommes leurs enfants et, si nous avons exporté nos fautes, nos problèmes et nos tares du passé dans les étoiles, nous y avons aussi apporté de bonnes choses : notre détermination, notre disposition à l’entraide et assez de créativité pour bâtir des choses encore plus grandioses que celles qu’a connues toute civilisation défaillante. Nous allons sauver l’Alliance, tous ensemble, la reconstruire et aller de l’avant. Parce que le renoncement ne fait pas partie de notre patrimoine génétique. Nos ancêtres nous ont légué cela. Et vous, moi et tous autant que nous sommes, nous nous servirons de cet héritage pour les honorer et offrir à nos enfants un avenir encore meilleur que celui que nous croyions naguère possible. »

Ce n’est qu’à ce tournant de son discours qu’il s’en rendit compte : de nombreux enfants et adultes dans la salle avaient des téléphones mobiles et d’autres dispositifs leur permettant d’enregistrer ses paroles. Elles avaient probablement déjà quitté l’immeuble, portées par des ailes de lumière, pour faire le tour de la planète, et elles ne tarderaient pas à s’envoler de ce système stellaire lui-même pour se répandre dans toute l’Alliance, à bord de vaisseaux se rendant partout où elle comptait.

Et Geary se demanda qui (ou quoi) avait bien pu les lui souffler, et si elles avaient été assez éloquentes pour sauver ce que d’aucuns regardaient déjà comme irrécupérable.

La plus âgée des fillettes pleurait. « Mon grand-père était sur le Merlon. Merci de lui avoir sauvé la vie. »

Elle se jeta brusquement dans ses bras et l’étreignit, le visage enfoui dans sa poitrine, tandis que ses larmes humectaient son uniforme, que Geary, incroyablement mal à l’aise, refoulait à grand-peine les siennes et que d’autres gamins l’entouraient pour le toucher en riant ou en pleurant.

Il avait envisagé d’éviter de s’adresser à la presse, de trouver une échappatoire et d’aller se réfugier dans l’intimité qu’offraient les entrailles d’un croiseur de combat, mais ce n’était plus de mise. Il affronterait les médias et le reste, et il leur dirait ce qu’il avait sur le cœur parce qu’il ne pouvait pas se montrer moins vaillant que ces gosses.

La salle de conférence semblait de nouveau déserte maintenant que Geary s’y retrouvait seul avec le capitaine Duellos et les présences virtuelles de deux colonels des forces terrestres. Voston, commandant du régiment que le général Sissons lui avait fourni bien à contrecœur, avait ce regard que Geary voyait si fréquemment depuis son réveil. Celui d’un homme trop longtemps témoin de trop d’horreurs. Quand une guerre totale se prolonge durant un siècle, beaucoup de gens ont ce regard.

Le colonel Kim, commandant de l’apport d’Adriana aux forces terrestres, elle, avait toujours le sourire aux lèvres et semblait encline au calme. Elle n’avait pas fait mystère de son relatif manque d’expérience et écoutait attentivement tout ce qui se disait.

En quête d’un moyen d’ouvrir la conversation, Geary se rabattit sur la vieille pratique militaire consistant à s’informer des états de service de chacun. « Vous êtes cantonné à Adriana depuis longtemps, colonel ? »

Voston réfléchit un instant avant de répondre : « À peu près cinq ans. Mon unité y a été envoyée pour se reconstituer après que nous avons été taillés en pièces à Empyria. » Il en resta là, comme si cette explication suffisait.

Geary choisit ses mots avec le plus grand soin. « Il y a de nombreux pans de l’histoire de la guerre avec lesquels je n’ai pas eu le loisir de me familiariser.

— Oh ! » Voston afficha l’expression légèrement intriguée de celui qui s’efforce d’expliquer ce qu’il n’a encore jamais eu à expliquer. « Empyria était l’objectif principal de la campagne d’Auger. Le système était le pivot de la défense syndic dans ce secteur de l’espace. Nous devions nous y rendre avec une force formidablement supérieure, le prendre, le tenir puis progresser vers un système plus éloigné. Frapper système après système en nous enfonçant de plus en plus profondément dans le territoire syndic, jusqu’à ce que nous… » Voston hésita une seconde puis eut un petit sourire. « En vérité, j’ignore ce que nous étions censés faire ensuite. Compte tenu de mon grade d’alors, ce n’était pas de mon ressort.

— Il y a eu d’autres campagnes similaires, n’est-ce pas ?

— Au cours de la guerre ? Oui. De nombreuses. Aucune n’a eu de succès. Mais cette fois ce serait différent », ajouta-t-il sarcastiquement, en prenant soin de mettre l’accent sur la citation. Il s’interrompit de nouveau, en même temps qu’une ombre passait sur son visage. « La Troisième Armée tout entière avait été envoyée contre Empyria. Nous avons eu un million de pertes à l’atterrissage puis encore un million de morts et de blessés au cours des semaines suivantes, tout cela pour réduire au silence les défenses syndics.

— Combien de Syndics défendaient-ils le système ? interrogea Geary en s’efforçant de ne pas laisser transparaître son épouvante.

— On estimait leur nombre à un demi-million, nous a-t-on appris au départ. » Voston haussa les épaules. « Selon moi, il était plus proche du million. Pas moyen d’en fixer le chiffre réel. Trop de cadavres avaient été détruits, réduits en lambeaux durant les combats, et personne n’avait le temps ni l’envie de recueillir des débris de l’ennemi. Nous sommes partis trois millions, toute l’armée, mais, après la prise d’Empyria, nos pertes avaient été si sévères qu’au lieu de nous ordonner de fondre sur l’objectif suivant on nous a priés de camper sur nos positions le temps de recevoir réapprovisionnement et renforts. » Nouveau haussement d’épaules. « Un mois s’est écoulé, durant lequel les Syndics surgissaient dans le système pour lancer raids et contre-attaques. La logistique était cauchemardesque. Un second mois est passé, on repoussait sans cesse la date de la grande offensive suivante ; finalement, ma division a été envoyée à Adriana pour se reconstruire, et nous y sommes depuis. »

Le colonel Kim hocha la tête. « La logistique ! Ma mère a géré en partie celle de l’assaut sur Empyria. Approvisionner une force terrestre de trois millions de soldats lancés à l’attaque a porté la résistance de nos systèmes logistiques dans cette région à sa dernière limite. Nous larguions des distillateurs chargés de recycler l’eau, mais il nous fallait malgré tout constamment convoyer et livrer d’énormes quantités de vivres et de munitions. Tous les Velels dont nous disposions dans ce secteur de l’espace étaient affectés à cette tâche, mais c’est à peine si nous y parvenions.

— Les Velels ? demanda Geary.

— VLEL. Vaisseaux logistiques extralarges. Il n’en reste plus beaucoup, si bien que vous n’avez jamais dû en voir. Les Syndics avaient découvert que, compte tenu des fournitures que pouvait embarquer chaque Velel, ils remportaient une victoire conséquente chaque fois qu’ils en détruisaient un. Ils ont commencé à lancer des raids sur tous ceux qu’ils pouvaient trouver, en contournant toutes leurs autres cibles pour détruire leur proie prioritaire. »