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De son côté, la kommodore Marphissa transmit à Geary plusieurs mises à jour l’informant tout d’abord de la trajectoire qu’elle avait imprimée à sa flottille pour intercepter les cinq vaisseaux Énigmas qui piquaient vers la géante gazeuse, puis des modifications qu’elle lui apporterait si besoin. Geary y répondit en lui suggérant de recourir à ses deux croiseurs lourds ; il s’efforça de ne pas faire sonner ces conseils comme des ordres mais l’exhorta fermement à agir. « La kommodore connaît son boulot, mais elle manque visiblement d’expérience, fit-il remarquer.

— Dans notre façon de combattre, corrigea Desjani. Voyez toutes ces mises à jour qu’elle ne cesse de vous envoyer. Dans le plus pur style syndic en matière de commandement et de contrôle. Mais elle ne se repose pas sur les ordres qu’elle reçoit. Ses solutions de manœuvre sont techniquement correctes, même si ce ne sont pas des œuvres d’art.

— Vous avez été trop gâtée par les Lousaraignes. » Commentaire qu’il ne se serait jamais attendu à faire.

« Et comment ! » La bouche de Desjani esquissa un rictus désabusé. « Nous allons assister à un combat entre les Syndics, ou les ex-Syndics, tout du moins, et une tierce partie. Je n’en ai encore jamais été témoin. Mais je dois vous prévenir : en me fondant sur ce que fait cette kommodore contre les Énigmas, je peux vous dire qu’avec ses seuls moyens elle serait bien infoutue de résister à la flottille de Boyens.

— Mais, selon vous, tenter de leur enseigner des rudiments de tactique serait toujours une erreur de ma part ?

— Oui, oui et oui. Est-ce assez clair ?

— Assurément. » Tant qu’il ne trouverait pas de bons arguments à lui opposer, Geary ne pourrait guère en débattre avec Tanya.

La flottille de la kommodore Marphissa n’opéra le contact avec les Énigmas que six heures plus tard : ses deux croiseurs lourds, six croiseurs légers et douze avisos se séparèrent juste avant l’interception afin de frapper les vaisseaux ennemis éparpillés. Deux d’entre eux furent mis hors de combat et un troisième assez rudement touché pour perdre le contrôle de ses manœuvres et dérailler de sa trajectoire en tournoyant sur lui-même.

La flottille se reforma alors partiellement, laissant trois de ses croiseurs légers se lancer aux trousses du bâtiment ennemi blessé tandis que ses autres bâtiments décrivaient vers le haut une boucle les ramenant dans le sillage des deux rescapés qui piquaient sur la géante gazeuse. En proie à un mélange de colère et de frustration, Geary vit finalement ces deux derniers vaisseaux larguer un bombardement cinétique sur le cuirassé et le chantier orbital avant de plonger puis de rebrousser chemin pour éviter leur interception par deux croiseurs lourds en provenance du secteur de la station.

« Trente-cinq minutes avant l’impact du bombardement cinétique sur l’installation orbitale et le…» Le lieutenant Castries s’interrompit net. « Hum… ils bougent. »

Geary loucha sur son écran. Le cuirassé avait allumé à régime partiel sa principale unité de propulsion, mais il restait arrimé à la station. « Il va la réduire en miettes. La station ne supportera jamais ce stress. »

Mais, alors qu’ils l’observaient, la propulsion du cuirassé continua de gronder sans pour autant le déchirer en deux ni arracher à l’ensemble une partie de la station. « Les vaisseaux du capitaine Smyth ne sont plus qu’à une heure-lumière derrière nous, constata Geary. Y a-t-il ici des ingénieurs qui sauraient nous expliquer ce que nous avons sous les yeux ?

— Ingénierie, j’ai besoin de quelqu’un ayant une expérience approfondie des capacités de résistance à la tension de grandes installations orbitales. Qu’il contacte sans délai la passerelle », ordonna Desjani.

Voir apparaître dans la minute qui suivit la robuste silhouette du maître principal Gioninni ne fut sans doute guère surprenant. « Oui, commandant ?

— Vous avez travaillé sur de grandes structures orbitales, chef ?

— J’ai travaillé un peu partout, commandant. Que vous faut-il ? »

Desjani montra les écrans. « Peuvent-ils réellement le faire ? »

Gioninni fixa en plissant les yeux le cuirassé qui s’acharnait à haler l’énorme installation. « Ils sont en train de le faire, commandant. Malgré tout, ils ne devraient pas en être capables. » Son visage se crispa de concentration. « Vous savez ce qui s’est passé, commandant ? Ils ont dû repérer les points de la structure où la tension serait la plus forte quand le cuirassé commencerait à remorquer la station et les renforcer avec des bidouillages.

— Ça leur serait possible ?

— Ils disposent de tout le matos nécessaire, commandant. C’est un chantier spatial. Bon, peut-être pas un gros machin faramineux comme ceux qu’on a dégagés à Sancerre, mais un chantier spatial malgré tout. Autant dire qu’ils ont l’équipement industriel et tous les matériaux requis sous la main. Il ne leur manquait que le temps.

— Ce bombardement n’a été déclenché qu’il y a dix minutes, fit remarquer Geary.

— Oui, amiral. Mais, là où elle est arrimée au cuirassé qui la remorque, ils n’ont démantelé aucune pièce de la station orbitale, de sorte qu’ils ont dû pressentir le coup et se sont sûrement mis au boulot il y a un bon moment.

— Merci, chef », dit Desjani.

Gioninni salua avec élégance puis son image s’évanouit.

« Les Énigmas sont apparus ici il y a environ vingt-quatre heures, si bien que les Syndics, ou les ex-Syndics, de ce chantier spatial n’ont disposé que d’une seule journée pour comprendre qu’ils devaient impérativement le déplacer puis s’atteler à la tâche. Quelqu’un a fait preuve d’une grande pénétration et d’un bel esprit d’initiative.

— Ce qui est splendide chez un officier de l’Alliance mais beaucoup moins chez un Syndic, laissa tomber Desjani. Peuvent-ils déplacer suffisamment ce machin pour esquiver les cailloux, lieutenant Castries ?

— Il vient à peine de commencer à bouger, répondit Castries. Nos systèmes doivent d’abord évaluer sa masse puis la poussée dont est capable le cuirassé. La marge d’incertitude est grande, amiral.

— Si je comprends bien, votre réponse est “peut-être” ? lâcha Geary.

— En effet, amiral. Mais “peut-être” parviendra-t-on à le calculer à la septième décimale près.

— Commandant, le bombardement Énigma vise les positions où se seraient trouvés le chantier spatial et le cuirassé si aucun n’avait pu se déplacer, avança le lieutenant Yuon. Nous autres nous servons de grilles assez lâches pour nous assurer que certains des cailloux au moins frapperont leurs cibles, mais celles des Énigmas sont plus resserrées. Ce qui, si le cuirassé et le chantier spatial restaient fixes, devrait garantir leur anéantissement, mais signifie aussi qu’ils n’auront pas beaucoup à bouger pour éviter les cailloux.

— Quinze minutes avant impact s’ils n’y arrivent pas », précisa Castries.

Une certaine effervescence régna tout d’abord : les deux survivants du plus petit groupe d’Énigmas tentaient d’échapper non seulement à la flottille de la kommodore Marphissa mais aussi aux vaisseaux de Geary qui les traquaient encore. Ils réussirent à esquiver les Syndics, mais, cerné par plusieurs bâtiments de la flotte, l’un des deux vola en éclats. L’autre continua de filer vers le point de saut au maximum de son accélération, plantant de nouveau ses poursuivants derrière lui, trop loin pour qu’ils pussent le rattraper.

Ne restait plus, en train de se jouer présentement, que le seul drame du bombardement imminent. Geary avait l’habitude de voir des vaisseaux se déplacer à des milliers de kilomètres par seconde, mais, là, il regardait le cuirassé s’échiner pour tramer sur quelque deux kilomètres en une quinzaine de minutes un chantier naval beaucoup plus massif. Ça ressemblait à cette vieille blague où quelqu’un déclare qu’il regarde sécher la peinture du mur, sauf que, en l’occurrence, un effroyable fléau destructeur menaçait de fondre sur ce mur, tandis que, pas à pas, à une allure d’escargot, l’installation orbitale prenait péniblement de la vitesse et que les minutes filaient.