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« Ils pourraient réussir, affirma Castries quand il n’en resta plus que cinq. Mais ce sera d’un cheveu. »

Ce qui se vérifia : les cailloux frôlèrent cuirassé et station orbitale sans causer aucun dégât, ricochèrent sur les couches supérieures de l’atmosphère de la géante gazeuse puis, éparpillés, poursuivirent leur chemin, leurs trajectoires respectives désormais déviées par les rebonds.

« Selon les senseurs, le plus proche est passé à cinq cents mètres, rapporta le lieutenant Yuon. Marge d’erreur de plus ou moins cent mètres.

— Leurs ancêtres devaient veiller sur eux, conclut Desjani. N’oubliez pas cette leçon, lieutenant. Quand on projette des cailloux sur un objet spatial, peu importe qu’on le rate d’un mètre ou d’un kilomètre. Ça reste un coup manqué qui n’inquiète en aucun cas la cible. »

Le cuirassé neuf avait coupé sa propulsion principale et, maintenant, les propulseurs de position beaucoup moins puissants de l’installation orbitale s’activaient pour graduellement freiner sa progression et l’installer sur une nouvelle orbite fixe, légèrement plus éloignée de la géante gazeuse mais pas d’une distance significative, sinon pour les cailloux qui viseraient son ancienne position.

Restaient les quatorze vaisseaux Énigmas qui filaient toujours vers le portail de l’hypernet, mais ceux-là assistèrent au bombardement manqué de l’installation orbitale une heure et demie plus tard, et, manifestement, ce fut pour eux la fin des haricots. Ils se lancèrent aussitôt dans des manœuvres dont aucun vaisseau humain n’était capable. Les forces de Geary réussirent néanmoins à en abattre un, davantage sur un coup de chance que par adresse, puis à en toucher assez durement un autre pour le contraindre à s’autodétruire. « S’ils continuent à se livrer à cette danse de Saint-Guy, on n’aura une petite chance de liquider les derniers que si vous lâchez quelques-uns des vaisseaux d’Armus.

— Non. » Geary éprouvait non seulement une grande lassitude, liée à toutes les pertes humaines de cette journée, mais aussi une inquiétude taraudante lui soufflant que les fuyards Énigmas risquaient encore de tenter d’éperonner tout vaisseau qui s’approcherait un peu trop. Perdre un ou plusieurs bâtiments pour éliminer quelques Énigmas de plus, c’était selon lui, compte tenu de la débâcle qu’il venait déjà de leur infliger, prendre un bien gros risque pour pas grand-chose.

Près du portail de l’hypernet, la flottille du commandant en chef Boyens n’avait toujours pas bronché.

Desjani le vit la fixer d’un œil noir. « Boyens a dû se dire qu’il valait mieux épargner quelques égratignures à ses vaisseaux, lâcha-t-elle.

— Peut-être était-ce plus malin à court terme, rétorqua Geary. Mais, sur le long terme, ça m’a mis la puce à l’oreille, même si je m’attendais plus ou moins à une telle réaction de sa part. Il va maintenant avoir affaire à moi. Je sais que les gens qui dirigent à présent ce système stellaire sont eux aussi d’anciens cadres syndics, mais ils ont envoyé leurs vaisseaux au casse-pipe quand lui s’est contenté d’observer comment ça tournait.

— J’ai hâte d’écouter le premier message qu’il nous adressera. Et la réponse que vous lui servirez. Oh, félicitations, au fait !

— Pour quoi ? » L’espace d’une seconde, il ne comprit franchement pas à quoi elle faisait allusion.

« Euh… pour cette victoire ? Pour avoir sauvé ce système ? Je suggère que vous détachiez quelques-uns des croiseurs lourds et destroyers d’Armus pour filer ces Énigmas rescapés au cas où il leur viendrait encore des idées avant d’atteindre le point de saut. Mais j’ai la conviction que les vivantes étoiles elles-mêmes ne me trouveront pas trop présomptueuse de vous présenter déjà mes compliments.

— Merci, Tanya. » Geary ne se sentait guère d’humeur à triompher. En regardant s’enfuir les Énigmas survivants, il ne ressentait que lassitude et épuisement.

Dix-neuf

« Midway reconnaît toujours ses obligations envers les traités passés par le gouvernement syndic de Prime, affirmait la présidente Iceni. Néanmoins, puisque nous sommes désormais un système stellaire indépendant, il sera nécessaire de les renégocier. Je puis déjà vous promettre que nous chercherons des arrangements qui nous seront mutuellement bénéfiques, à l’Alliance comme à nous, et je ne prévois aucune difficulté à cet égard. Au nom du peuple, Iceni, terminé. »

Geary comptait laisser Rione s’en charger, mais il lui restait à régler des problèmes touchant la flotte. Il rectifia sa tenue et enfonça la touche lui permettant d’envoyer sa réponse. « Ici l’amiral Geary. Je compte laisser aux deux émissaires du gouvernement de l’Alliance qui nous accompagnent le soin de procéder à ces négociations. Ils vous contacteront très bientôt à cet effet. Dans un souci plus pressant, les réserves en matériaux bruts de mes auxiliaires sont tombées à un niveau relativement bas. J’aimerais que vous les autorisiez à prospecter sur quelques astéroïdes de ce système stellaire pour en extraire ces matériaux bruts afin que nous puissions entreprendre des réparations sur nos vaisseaux endommagés lors des combats qui s’y sont déroulés. »

Certes, toutes les avaries dont souffraient ses bâtiments n’étaient pas le fruit de la dernière bataille, mais Geary se disait qu’un rappel pas trop subtil des dommages et des pertes subis par sa flotte dans la défense de ceux à qui il demandait cette faveur ne saurait nuire.

« Transmettez, je vous prie, à la kommodore Marphissa mes remerciements pour sa collaboration et celle de ses vaisseaux avec les nôtres dans la défense de ce système stellaire. Ils se sont bien battus. » Il s’était laborieusement efforcé de voir en Marphissa autre chose qu’une Syndic, et une telle femme avait droit à ses égards. « En l’honneur de nos ancêtres, Geary, terminé. »

À présent, un autre message : « Capitaine Smyth, je m’attends à une réponse affirmative à ma requête concernant la collecte de matériaux bruts. Préparez-vous à des opérations d’extraction et dépêchez vos bâtiments vers les astéroïdes où vous comptez creuser. »

Pour une raison inconnue, les Lousaraignes suivaient partout ses auxiliaires depuis la fin des combats et se livraient occasionnellement, entre les vaisseaux humains voire au beau milieu de leur formation, à des manœuvres élaborées. Le personnel de la flotte avait pris le pli d’appeler ces manœuvres des « danses ». Tant leur objectif que la signification qu’elles revêtaient aux yeux des Lousaraignes restaient un mystère, mais ces danses étaient bonnes pour le moral, du moins celui des équipages. Depuis que les Lousaraignes avaient réalisé l’impossible exploit de détourner un bombardement cinétique dirigé contre une planète humaine, ils étaient regardés comme des visiteurs à accueillir à bras ouverts plutôt que comme un sujet d’inquiétude et d’interrogations.

Personne ne se servait plus de l’acronyme « SAB ». En revanche, Geary entendait d’innombrables références aux « Danseurs », toujours assorties d’inflexions admiratives ou approbatrices. Il avait sans doute réussi à décourager l’emploi d’un terme désobligeant pour désigner les Lousaraignes, mais pas à l’éliminer entièrement. Dorénavant, les prouesses de ces extraterrestres leur valaient le respectueux sobriquet de « Danseurs ».