Выбрать главу

— Des vaisseaux sont morts ici, amiral. Et des spatiaux. Il faudrait lui trouver un nom. »

Il ferma de nouveau les yeux, honteux de n’y avoir pas songé plus tôt. Il aurait volontiers opté pour un nom funèbre, mais son petit doigt lui soufflait que cette étoile baliserait les tombes de ces hommes et femmes tombés au combat et devrait donc glorifier leur sacrifice et leur bravoure. Faire comprendre que des humains y avaient laissé leur marque au-delà de leurs propres frontières et s’étaient battus pour sauver leurs camarades. « Existe-t-il déjà une étoile du nom d’Honneur ?

— Honneur ? répéta Desjani avant de vérifier dans la base de données. Non. Ce n’est pas un nom, amiral… mais vous pouvez lui donner celui qu’il vous plaira.

— C’est surtout pour eux.

— Je comprends. » Elle s’interrompit puis réussit à sourire. « Un beau nom pour se souvenir d’eux. Permission d’entrer le nom Honneur dans la base de données de la flotte ?

— Accordée. »

Jane Geary avait survécu à la charge qu’elle avait menée, mais son Intrépide avait beaucoup souffert. Le capitaine Badaya, d’un air exceptionnellement penaud, avait avancé qu’elle avait entrepris cette action de sa propre initiative alors qu’il cherchait encore un moyen de sauver ses autres vaisseaux. L’Orion, déjà malmené par la bataille de Pandora, avait été à nouveau pilonné, mais le capitaine Shen, son commandant, avait déclaré son vaisseau paré au combat. La question avait d’ailleurs eu l’air de proprement l’exaspérer.

La masse de dommages infligés à l’Intrépide, l’Orion, l’Acharné, ainsi qu’aux Représailles, Superbe et Splendide, semblait donner raison à la vieille maxime selon laquelle les cuirassés peuvent sans doute mettre du temps à atteindre leur objectif, mais qu’ils sont sacrément difficiles à détruire ensuite. Néanmoins, si le commandant de l’armada vachourse avait daigné détacher un de ses supercuirassés et quelques escorteurs pour les lancer aux trousses de ces six cuirassés battant de l’aile, ils n’y auraient certainement pas survécu.

Le Quarte atteignit enfin le module de survie du Balestra. Les deux Lousaraignes montés à son bord se retirèrent dans leur propre appareil dès qu’ils le virent s’approcher, puis celui-ci effectua un grand bond pour rejoindre ses congénères. Il faudrait encore une vingtaine de minutes au Dragon pour rejoindre le module et le Quarte, mais il mettait les bouchées doubles.

Geary songea au personnel médical qui, par toute la flotte et pas seulement sur le Dragon, devait affronter un véritable tsunami de blessés dans des infirmeries et des hôpitaux surchargés, remplis d’hommes et de femmes exigeant désespérément des soins. Si graves que fussent les blessures dont on souffrait, on avait aujourd’hui peu de chances de mourir si l’on atteignait assez tôt l’hôpital, mais, malgré tout, il arrivait parfois qu’on y fût impuissant. « Comment font-ils ? » se demanda-t-il à haute voix. Desjani lui jeta un regard interrogateur ; pour une fois, elle ne lisait pas dans ses pensées. « Les médecins, les infirmières, les soignants, les brancardiers, etc., expliqua-t-il. Parfois, en dépit de tous leurs efforts, ceux qu’ils tentent de soigner trépassent. Comment font-ils pour continuer ? »

Desjani y réfléchit. « Comment ils font ? Sachant qu’en dépit de toute leur bonne volonté il arrive à leurs patients de mourir ? » Il voyait bien pointer son raisonnement, bien qu’il fût cuisant. « Je me dirais sans doute que ce serait encore pire si je ne faisais pas de mon mieux.

— Ouais. Ça vaut aussi pour moi. D’ordinaire. »

Le capitaine Smyth donnait de nouveau la preuve de sa valeur : il coordonnait d’innombrables travaux de réparation dans toute la flotte, et ses ingénieurs, pour continuer à fournir, marchaient à la caféine et au chocolat (le breuvage des dieux selon les propres paroles de Smyth : « Quand les vieilles légendes parlaient de nectar et d’ambroisie, elles faisaient allusion au café et au chocolat »). Et les huit auxiliaires étaient déjà accouplés à l’un des vaisseaux les plus endommagés ou s’en rapprochaient.

Le capitaine Lommand, commandant du Titan, avait offert sa démission. Geary l’avait refusée tout en lui ordonnant de mettre son assez considérable talent au service de la réparation des vaisseaux, dont le sien.

Les systèmes administratifs de la flotte affichèrent une nouvelle alerte, en expliquant sans s’émouvoir que les capacités de stockage des dépouilles étaient dépassées et en préconisant des funérailles.

En lisant ce dernier message, Geary restait sans doute conscient qu’il n’aurait servi à rien de frapper l’écran ou de lui balancer des objets à la tête, car ses coups se contenteraient de traverser les données virtuelles sans les affecter. Il ne fut pas moins tenté de le faire. « Général Charban et émissaire Rione, après que nous aurons réussi à convaincre les Lousaraignes de renoncer à détruire ce dernier supercuirassé, nous devrons aussi savoir le plus tôt possible si nous pouvons sans problème nous occuper des obsèques dans ce système stellaire. »

Rione détourna les yeux mais Charban hocha lentement la tête. « Je comprends, amiral. »

Indubitablement. Les forces terrestres, elles aussi, avaient dû bien souvent dissimuler de hideuses pertes pendant la guerre, quand des batailles se déroulaient sur des planètes entières et les dévastaient en bonne partie. Combien de soldats Charban avait-il perdus au combat ? Combien de fois ces soldats avaient-ils donné leur vie, tout cela pour voir abandonner la terre où ils étaient enterrés à l’occasion d’un revirement stratégique, lorsque la flotte de l’Alliance se retirait ou que les forces terrestres se retrouvaient contraintes de dégager avant que les vaisseaux syndics ne fissent pleuvoir la mort sur leurs têtes depuis leur position orbitale ?

Geary avait dormi pendant ce même siècle, alors que de tels sacrifices forgeaient la mentalité des hommes et des femmes qui les vivaient. Desjani lui rappelait à l’occasion, quelquefois avec colère, qu’il ne pouvait pas les comprendre, même s’ils avaient parfois besoin qu’il leur rappelât ce en quoi croyaient leurs ancêtres avant que la guerre ne referme ses mâchoires sur ceux qui s’y retrouvaient piégés.

Et, aujourd’hui, d’autres encore avaient trouvé la mort dans une bataille tout aussi sanguinaire. Pourrait-il faire en sorte que tous ces hommes et femmes survivent aussi à la paix ?

« Amiral, l’appela Rione depuis une salle de conférence de l’Indomptable où l’on tentait encore frénétiquement de contacter les Lousaraignes, nous avons réussi à faire comprendre à ces gens que nous nous chargeons du dernier supercuirassé.

— Ces gens ? » Il mit quelques secondes à percuter. « Les Lousaraignes, voulez-vous dire ?

— Oui, amiral. » Sa voix adopta des inflexions un tantinet réprobatrices. « Nous devons les regarder comme des gens. Parce que c’est ce qu’ils sont.

— Des gens particulièrement hideux », murmura Desjani.

Il la tança du regard avant de se retourner vers l’image de Rione. « Merci. Je ferai de mon mieux. »

Elle eut un sourire contrit. « Je crains que ça ne vous soit pas facile. Croyez-moi.

— Tâchez de vous accorder quelque répit, le général Charban et vous. Vous vous attelez à cette tâche depuis des heures sans discontinuer. » L’image de Rione disparue, il se pencha sur son écran. Il lui fallait désormais envoyer des vaisseaux vers le supercuirassé blessé qui dérivait dans le système stellaire, et s’assurer que les Lousaraignes ne remettraient pas en cause sa réquisition par les hommes.