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— Pourquoi leurs boucliers et leur armement sont-ils encore opérationnels ? avait demandé Geary.

— Ils doivent être alimentés par des générateurs secondaires. Boucliers et armes sont moins énergivores que la propulsion principale à plein régime. Sans doute disposent-ils de sources d’énergie subsidiaires, suppléant chacune à l’une de ces fonctions. Inefficace sans doute selon nos propres critères, mais le soutien apporté par une telle redondance ne nous serait pas superflu. »

La flotte de l’Alliance restait relativement stationnaire par rapport au supercuirassé : la plupart de ses bâtiments se trouvaient à trente secondes-lumière, formant un amas compact qui réduisait les distances entre les unités, tandis que des navettes transportant pièces détachées et équipes de maintenance faisaient le trajet d’un vaisseau à l’autre. Plus proches du Léviathan, tous les cuirassés de la flotte et la moitié de ses croiseurs de combat se déployaient tout autour. Tous fendaient encore l’espace mais semblaient immobiles les uns par rapport aux autres.

Les systèmes de combat de la flotte et les ingénieurs du capitaine Smyth avaient procédé à une évaluation du rayon de la destruction qu’était susceptible d’infliger, dans le pire des cas, une explosion du supercuirassé si un ou deux de ses réacteurs entraient en surcharge. Geary avait placé ses cuirassés à une fois et demie cette distance, hors de portée, et ses croiseurs de combat encore un peu plus loin.

Les vaisseaux lousaraignes avaient de nouveau adopté une magnifique formation à bonne distance, près de dix minutes-lumière, et observaient avec circonspection, de là-bas, les activités des humains. Ils honoraient assurément leur engagement préalable selon lequel le supercuirassé restait à la disposition des hommes. Nul, parmi ceux qui « communiquaient » avec eux, n’aurait su dire ce qu’ils pensaient de cette tentative d’arraisonnement du bâtiment vachours, mais la prudente distance qu’ils observaient laissait clairement entendre qu’ils n’avaient aucunement l’intention de participer au foutoir que leurs nouveaux alliés avaient décidé de déclencher, ni même de s’y retrouver impliqués.

« Ils sont peut-être plus malins que nous », avait fait observer Charban.

Rione, elle, avait été plus directe en s’entretenant avec Geary en privé. « Je vous sais conscient de ce qui risque de se produire si vous dépêchez des milliers de fusiliers à bord de ce vaisseau.

— J’en suis même douloureusement conscient, avait-il répondu. Quel prix seriez-vous prête à payer pour disposer de ce moyen de défense planétaire contre les bombardements spatiaux ? »

Elle avait perçu la colère sous-jacente à sa question. « Il y a autre chose. Quoi ? »

Geary avait soutenu son regard. « Vous m’avez assez clairement confirmé que les gouvernements de la République de Callas et de la Fédération du Rift ne tenaient pas à voir rentrer leurs vaisseaux.

— Je n’ai jamais dit cela.

— Vous ne m’avez pas non plus détrompé quand j’ai soulevé cette hypothèse avant que la flotte quitte Varandal. Hypothèse qui ne m’a effleuré que parce que vous y aviez fait plusieurs allusions discrètes, selon lesquelles les gouvernements en question ne se fiaient pas aux réactions de ces vaisseaux et redoutaient qu’ils ne se lancent dans une tentative de coup d’État au motif qu’ils me prêtaient cette intention. Je soupçonne nombre de gens du gouvernement de l’Alliance de craindre notre flotte pour la même raison, et de l’avoir envoyée au diable Vauvert dans l’espoir qu’elle ne rentrerait jamais. Et, maintenant que je songe aux hommes, aux femmes et aux vaisseaux qui ne rentreront pas chez eux, que d’aucuns, chez nous, puissent s’en féliciter me rend très, très chagrin. »

Rione mit un bon moment à répondre. « Je n’en attendais pas moins de vous. Je n’ai jamais participé à aucun complot visant à nuire à cette flotte et à ses équipages, nonobstant ce que d’autres ont pu exiger de moi.

— Quels autres ? Dites-le-moi.

— J’en serais bien incapable car je n’ai aucune certitude à cet égard ! Ils sont assez retors pour se servir de paravents, d’agents qui opèrent pour leur compte mais que je ne peux relier à personne. Je suis désolée, amiral. Désolée pour ceux qui sont morts parce que certains de leurs dirigeants ne leur font pas confiance. Mais ce n’est pas toujours le cas. Ne commettez pas l’erreur de croire que le gouvernement de l’Alliance œuvre contre vous. Je vous l’ai déjà dit, de nombreux cerveaux s’efforcent de le contrôler. Certains sont vos alliés, et beaucoup ne veulent que le bien de l’Alliance mais ne tombent pas d’accord sur le sens à donner à ce mot. »

Maintenant assis sur la passerelle de l’Indomptable, Geary se demandait s’il avait pris la bonne décision, néanmoins conscient qu’il avait été contraint de la prendre. « Envoyez les sondes. »

Plusieurs des vaisseaux humains proches du supercuirassé vachours larguèrent des drones ; ceux-ci s’en rapprochèrent encore à une allure régulière, sans faire preuve d’agressivité mais en diffusant toutes un message appelant à sa reddition et promettant la vie sauve aux Bofs qui se trouvaient encore à bord. Secondés par certains techniciens de la flotte, les experts civils avaient pondu une animation destinée à convoyer le même message en se servant d’images au même format que celui des Vachours, et les vidéos chargées de leur faire cette proposition étaient transmises simultanément au supercuirassé.

Ces vidéos et messages ne reçurent aucune réponse. Tout le monde était-il mort à bord, ou bien refusaient-ils encore de communiquer avec les humains ?

Un rayon de particules jaillit brusquement du supercuirassé et détruisit les drones l’un après l’autre ou désactiva tous leurs systèmes en l’espace de quelques secondes. « On va devoir faire ça à la dure, conclut Geary.

— Rien de surprenant », rétorqua Desjani. Elle s’était montrée d’humeur revêche, exaspérée qu’on eût confié aux cuirassés plutôt qu’aux croiseurs de combat comme son Indomptable le soin de réduire au silence les défenses du bâtiment ennemi.

« Capitaine Armus ! » appela Geary.

L’image d’Armus, commandant du Colosse, apparut devant lui. C’était un homme solide mais dépourvu d’imagination et vétilleux au point de n’être parfois pas assez rapide à la détente. Ça pouvait poser problème. Mais, en l’occurrence, ces défauts devenaient des qualités, si bien que Geary lui avait confié le commandement de tous les cuirassés pour cette opération.

« Mon détachement est prêt, affirma Armus.

— Entamez votre bombardement. »

Armus salua à la manière un peu gauche de nombreux officiers supérieurs dont la carrière s’était entièrement déroulée dans une flotte où le salut n’était plus qu’un rituel oublié, puis il disparut.

Tout autour du supercuirassé désemparé, les cuirassés de l’Alliance pointèrent sur lui leur proue et entreprirent de s’en rapprocher, armement et boucliers parés. Intrépide, Orion, Superbe et Splendide, tous affligés de boucliers affaiblis et de dommages extensifs, avaient reçu l’ordre de se tenir à distance jusqu’à ce que la majeure partie des défenses vachourses aient été éradiquées ; mais on pouvait toujours les faire intervenir plus tôt si besoin. Même sans les compter, Geary avait la possibilité de déployer dix-neuf cuirassés contre ce bâtiment isolé. Si puissant et massif que fût le supercuirassé vachours, il était désormais incapable de manœuvrer et sa puissance de feu surclassée par celle qui se rapprochait de lui régulièrement. Geary regardait, non sans une certaine fierté, ses divisions opérer séparément.