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Il avait conduit ces vaisseaux au combat à de nombreuses reprises mais rarement eu l’occasion d’admirer la lenteur majestueuse avec laquelle ils se mettaient en branle. Vaillant, Intraitable, Glorieux et Magnifique ; Intrépide, portant encore les larges balafres d’un récent combat ; Orion, tout aussi malmené que son frère d’armes ; Fiable et Conquérant ; Écume de guerre, Vengeance, Revanche et Gardien ; Colosse, Entame, Amazone et Spartiate ; Acharné, Représailles, Superbe et Splendide, tous quatre également scarifiés. D’une certaine façon, les plaies et bosses arborées par ces cuirassés les rendaient encore plus imposants et menaçants : autant de vétérans blessés au combat, mais qui ne s’en effarouchaient pas.

Le supercuirassé avait dû dépenser tous ses missiles durant la bataille antérieure puis en se défendant contre le harcèlement sans trêve des Lousaraignes. Il rouvrit néanmoins le feu avec des rayons de particules et des lasers, mais les cuirassés de la flotte ne ripostaient toujours pas et laissaient à leurs boucliers de proue le soin d’absorber ces frappes, en même temps que leurs senseurs détectaient avec précision la position des armes ennemies. « Ils ne concentrent pas leurs tirs », fit remarquer Geary. Il avait craint que les Bofs ne prennent pour cibles principales ceux de ses cuirassés déjà endommagés, mais, dans la mesure où le supercuirassé tirait sur tous ceux qui l’entouraient, aucun n’était assez durement touché pour susciter de graves inquiétudes.

« Plus de chefs, répondit Desjani. Ils ont déserté le vaisseau, si bien que personne ne leur dit à qui ils doivent s’en prendre. Chacun se contente de choisir sa cible au pif. »

Toutes les armes ennemies localisées, Armus ordonna à son tour d’ouvrir le feu, et vingt-trois cuirassés larguèrent en même temps un effroyable tir de barrage de mitraille, accompagné de plus lourds projectiles cinétiques puisque le supercuirassé ne pouvait plus les esquiver en manœuvrant. La mitraille frappa sa coque sur toute sa longueur, portant ses boucliers au blanc à mesure que l’énergie cinétique des roulements à billes se convertissait en puissance d’impact et pilonnait les défenses adverses. Les boucliers vachours défaillaient sous les coups, et des points faibles apparaissaient et grossissaient çà et là.

Les cuirassés de la flotte déchaînèrent leurs lances de l’enfer en une étourdissante série de rafales incapacitantes qui déchiquetèrent ce qui subsistait des boucliers du supercuirassé puis perforèrent son blindage partout où des armes avaient été détectées. Ses boucliers s’effondrèrent complètement puis sa coque proprement dite commença de rougir sous la chaleur infernale des rayons qui la frappaient.

Étonnamment, les Vachours continuaient de riposter de toutes leurs armes encore opérationnelles, en s’efforçant frénétiquement de repousser l’assaut humain.

« Wouah ! souffla Desjani.

— Une formidable force de frappe concentrée sur une unique cible, convint Geary.

— Je me disais surtout que cette cible était toujours là et continuait de rendre coup pour coup en dépit de cette formidable force de frappe », déclara Desjani. Sa voix trahissait le respect que lui inspirait malgré elle un ennemi aussi combatif.

Mais le feu de l’ennemi ne tarda pas à se tarir et à se faire plus aléatoire, avant de se taire définitivement, toutes ses armes détruites l’une après l’autre à mesure qu’elles parlaient. Le tir de barrage humain perdura plusieurs secondes puis s’interrompit à son tour, uniquement ponctué par une ultime et vindicative salve de l’Intrépide, lorsqu’il se rapprocha du supercuirassé avec l’Orion, le Superbe, le Splendide et leurs compagnons d’armes.

Le capitaine Armus réapparut devant Geary, l’air assez content de lui mais sans plus. Geary soupçonnait Armus de n’avoir jamais affiché sa jubilation. « Les défenses extérieures de l’ennemi ont été réduites au silence, rapporta-t-il.

— Excellent. Beau boulot, capitaine Armus. Maintenez vos cuirassés en position, prêts à engager le combat si l’on tente encore de tirer sur les fusiliers. Bazardez tout ce qui ouvre le feu. »

Armus prit acte de ses ordres d’un bref hochement de tête, salua de nouveau et disparut.

« Général Carabali, vous pouvez mener votre assaut », transmit Geary.

Les quatre transports d’assaut se détachèrent de la masse de la flotte. Typhon et Tsunami s’approchèrent d’un des flancs du supercuirassé, qui continuait toujours de pivoter sur lui-même, tandis que Haboob et Mistral l’abordaient par le flanc opposé. Les transports d’assaut épousèrent le mouvement de rotation du vaisseau extraterrestre de manière à ce que les cinq bâtiments parussent se mouvoir de conserve, tels les exécutants d’un ballet majestueux.

« Pourquoi Carabali divise-t-elle ses forces ? demanda Desjani. N’est-ce pas là une très mauvaise idée, puisque nous ne savons pas grand-chose de ce qui se trouve à l’intérieur de cette boîte de conserve vachourse ?

— En partie parce que nous ne disposons pas de plans de ses ponts, expliqua Geary. Elle ne tient pas à tomber sur des goulets d’étranglement, des coursives où, faute de place, elle ne pourrait pas trop engager de soldats. En abordant le bâtiment par deux flancs opposés, elle s’efforce de pallier ce handicap. »

S’accordant un répit dans ses tentatives de communication avec les Lousaraignes, le général Charban était monté sur la passerelle sans se faire remarquer. Ses yeux étaient cernés de fatigue et voilés par l’émotion et les souvenirs. Il regardait se dérouler l’assaut des fusiliers. « Ne complique-t-elle pas aussi la défense de l’ennemi en le frappant en plus d’un point ? s’enquit-il.

— Oui, répondit Geary. C’est l’autre raison. » Il s’était demandé s’il n’aurait pas dû permettre à Charban, lui-même général à la retraite, d’examiner les plans de Carabali en quête de choix problématiques, mais il s’en était finalement abstenu. Pas uniquement parce qu’il avait besoin que le général se concentrât avant tout sur ses efforts pour communiquer avec les Lousaraignes. Les opérations de l’infanterie spatiale diffèrent de manière significative de celles menées par les forces terrestres, et Charban ne jouissait pas d’une fonction militaire dans la flotte. Rien de bon n’aurait pu sortir d’un tel amalgame.

Mais, de toute manière, peu importait qu’il prît l’avis d’untel ou d’untel, songea-t-il. La responsabilité ultime lui incombait.

« Vous avez bien trois mille fusiliers, non ? demanda Charban. Combien de ces fantassins participent-ils à cette opération ?

— Deux mille dans la première vague, répondit Geary. Mille de chaque côté. Le général Carabali en garde cinq cents autres en réserve, et il en restera encore cinq cents à bord des bâtiments les plus importants pour servir si nécessaire de renfort.

— Deux mille, répéta Charban. Contre combien de combattants extraterrestres ? Nous allons bientôt connaître la réponse à cette question ancestrale : combien un fusilier vaut-il de Vachours ? »

Geary réprima un rire. Il avait reconnu une blague des soldats des forces terrestres portant sur la légendaire arrogance des fusiliers de la flotte, qui s’estimaient supérieurs à tous les autres combattants, quel que soit leur nombre.