— Les orifices dans la coque extérieure sont-ils scellés ?
— Je n’en sais rien, capitaine, mais nous pouvons parfaitement travailler dans le vide…
— Nos ordres sont d’embarquer tout ce qui se trouve à l’intérieur du bâtiment en l’abîmant le moins possible, et un grand nombre d’objets supportent moins bien le vide que notre cuirasse de combat, rétorqua le capitaine. Restez en ligne. Colonel, nous aimerions savoir si les trous de la coque ont été colmatés dans cette zone.
— Yuhas ! Il nous faut le feu vert pour faire sauter les sas ! »
Près d’une minute s’écoula, des fusiliers de plus en plus nombreux remontant la chaîne de commandement pour demander la permission de se frayer un chemin par effraction vers l’intérieur du supercuirassé.
« Le colonel Yuhas annonce que ses ingénieurs sont d’accord pour nous laisser faire, déclara une voix soulagée, le message étant enfin redescendu jusqu’au plus bas échelon de la hiérarchie. Mais faites sauter les cloisons, pas les écoutilles. Nous ne savons pas comment elles sont scellées ou verrouillées. Ça vient du commandement de la brigade. Tout le monde doit se frayer un chemin à l’intérieur, mais en évitant les sas. Nous sommes très en retard. Entrez dans ce fourbi.
— Que se passe-t-il ? s’enquit Desjani.
— Ils font sauter les cloisons internes pour entrer dans le vaisseau, répondit Geary.
— C’est pour ça que je les ai vus percer des trous et installer à leur place des sas hermétiques d’urgence à l’extérieur de la coque ? Ils ont déjà rencontré des Bofs ?
— Pas encore. » Il vit s’afficher simultanément une centaine de clichés réduits montrant les fusiliers en train de faire sauter les cloisons et de s’engouffrer dans des coursives ou d’autres compartiments. « Vides. »
Partout où ils pénétraient, l’équipage du supercuirassé brillait par son absence. Les fusiliers se ruaient dans des couloirs sans doute plus étroits et plus bas de plafond que ceux des vaisseaux humains mais assez larges pour permettre à deux d’entre eux de s’y mouvoir de front. Des couloirs plus petits les croisaient, dessinant un quadrillage régulier similaire à ceux dessinés par les hommes. Comme dans les vaisseaux humains, d’ailleurs, des conduits de ventilation ou abritant des câbles festonnaient les plafonds, offrant des prises aux fusiliers qui, compte tenu de la gravité nulle, s’y propulsaient comme en nageant. Ils se déployaient à mesure qu’ils progressaient et s’enfonçaient plus profondément dans le vaisseau, tant sur ses flancs qu’en montant et en descendant.
« Tâchez de trouver les compartiments réservés aux commandes et aux réacteurs, rappela un commandant à son unité.
— Tous se ressemblent, répondit un capitaine dépité. Il y a des pictogrammes partout, mais ils n’ont rien en commun avec les nôtres ni ceux des Syndics. Ils pourraient vouloir dire n’importe quoi.
— Pas de ventilation, rapporta un officier. L’atmosphère a l’air respirable, même si la pression est un peu trop basse pour notre confort. Mais ils ont coupé le système de ventilation.
— Ils sont censément des milliers à bord de ce machin, marmonna un fantassin qui, de son arme, cherchait vainement des cibles dans une coursive déserte. Où diable sont-ils passés ? »
Une des vignettes s’ouvrit devant Geary : l’enfer venait de se déclencher, les fusiliers ayant brusquement trouvé la réponse à cette question sur des dizaines de sites.
Neuf
Les fusiliers arrivaient à un tiers environ du supercuirassé quand les Vachours étaient simultanément apparus devant eux en des dizaines de points différents. Les coursives jusqu’alors effroyablement désertes résonnaient à présent du vacarme et de la clameur des armes, les fusiliers ripostant aux tirs d’innombrables Bofs qui semblaient remplir l’espace du pont au plafond.
« Ils portent une cuirasse !
— Attention ! Sur la droite !
— Durien est tombé !
— Ne cessez pas le feu !
— Ils sont beaucoup trop nombreux !
— Il y a des trappes dans le plafond ! Ils tirent de là !
— Plus de grenades !
— Que quelqu’un ramasse Sierra ! Elle est encore en vie !
— Mangez ça, salauds ! »
Les embuscades initiales prenant à partie des fusiliers qui campaient sur leurs positions et ripostaient de toutes les armes qu’ils pouvaient braquer sur les coursives où continuaient de progresser des Vachours armés de fusils d’assaut équipés de boucliers rectangulaires, sergents et caporaux recouvrèrent graduellement un peu de discipline dans leurs communications.
« Nos réserves d’énergie et de munitions s’épuisent !
— Repliez-vous. Tout le monde bat en retraite.
— Les Bofs se servent de leurs morts comme de boucliers ! glapit un soldat. Ils les poussent devant eux ! Nos tirs ne parviennent pas à toucher les vivants !
— Repliez-vous ! ordonna-t-on de nouveau. Ne vous retirez pas progressivement en échelonnant des équipes de tireurs. Ramenez tout le monde très vite. Nous pompons dans les réserves et nous établissons des positions défensives plus près de la coque. Revenez sur-le-champ ! »
Geary fixait les scènes de combat en s’attardant plus spécialement sur celle où l’on poussait dans une coursive ce qui ressemblait à un amas compact de cadavres vachours dont la cuirasse avait été dévastée par les tirs des fusiliers. Les museaux de plusieurs armes, tenues par les Bofs qui arrivaient derrière, saillaient entre les corps et criblaient de tirs les fusiliers qui se repliaient vers la coque extérieure.
Il s’arracha à ces gros plans pour tenter de saisir ce que faisait le général Carabali. Sur son écran, l’image du supercuirassé s’était peu à peu chargée de détails supplémentaires à mesure que les fusiliers progressaient à l’intérieur, et il voyait à présent les symboles représentant leurs unités se replier un peu partout.
Pourquoi Carabali leur ordonnait-elle de reculer aussi loin et aussi vite ? Elle renonçait ainsi à de précieux gains de position, qu’elle aurait le plus grand mal à reconquérir si les Bofs organisaient d’autres embuscades ou mettaient en place d’autres défenses.
Sa main restait suspendue au-dessus des touches de commande de son unité de com. Carabali aurait-elle perdu son sang-froid ? Il faut que je lui demande pourquoi elle réagit ainsi, pourquoi…
Il surprit du coin de l’œil un certain nombre de vignettes montrant une grande effervescence dans un secteur du supercuirassé. Les fusiliers s’y étaient repliés derrière une barrière défensive, et celle-ci, après un féroce mitraillage qui avait réduit en lambeaux le mur protecteur de cadavres vachours et criblé leurs premiers rangs, battait à son tour en retraite vers une seconde ligne de défense, laquelle entreprenait d’installer des armes lourdes. La même activité régnait dans tout le supercuirassé, mais Geary concentra toute son attention sur cette coursive, car les fusiliers qui s’y repliaient furent brusquement attaqués par des Bofs qui s’étaient infiltrés sur leurs flancs, par-dessus et par-dessous, en empruntant les nombreux couloirs et accès latéraux trop étroits pour des hommes.
Une minute de plus et ce peloton aurait été coupé de ses bases et débordé ; mais il avait suffisamment reculé et se trouvait assez près de ses camarades d’arrière-garde pour qu’une rafale de tirs défensifs et quelques haineux corps à corps le tirent d’affaire.
Geary laissa retomber sa main. Elle savait. Le général Carabali s’était rendu compte de ce dont étaient capables les Vachours sur leur propre terrain, en vertu de leur écrasante supériorité numérique. Au lieu de tenir fermement ses positions les mieux assurées lorsqu’elles étaient cernées, elle les déplaçait vers l’arrière plus vite que les Bofs ne pouvaient les envelopper, en prélevant à chaque étape un lourd tribut sur leurs assaillants.