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Alors qu’ils traversaient l’espace extérieur du système stellaire, la formation lousaraigne principale, visant toujours le point de saut qui menait à l’étoile vachourse Pandora, les dépassa en glissant sur leur gauche. Ses superbes motifs involutés changeaient à mesure que se modifiait l’angle sous lequel les hommes les voyaient, leurs arcs donnant l’impression de pivoter pour se fondre l’un dans l’autre.

« Quatre heures-lumière et demie avant le point de saut, annonça Desjani. Soit quarante-cinq heures de transit si vous voulez maintenir la vélocité à 0,1 c.

— Accélérer puis ralentir de nouveau avant le point de saut nous coûterait trop cher en cellules d’énergie, répondit Geary. Le peu de temps que nous gagnerions n’en vaudrait pas la peine. Et faire accélérer puis décélérer le supercuirassé serait un processus aussi lent que difficultueux.

— Le portail de l’hypernet se trouve à l’étoile suivante ?

— Nos émissaires et nos experts n’en sont pas sûrs. » Geary se remit à observer son écran en s’efforçant de combattre la tension. Il s’attendait à voir surgir des problèmes. Mais aucune unité de propulsion ne flancha, nulle pièce détachée ne se décrocha d’un vaisseau et les manœuvres semblaient se dérouler sans encombre. Il n’en faut pas beaucoup pour me satisfaire ces temps-ci. Voilà un siècle, lorsque j’appartenais encore à une flotte qui vivait dans la paix et dont les vaisseaux étaient conçus pour durer au moins plusieurs décennies, je n’aurais jamais imaginé pouvoir un jour me congratuler de ne pas voir une seule de mes unités se disloquer à l’occasion d’une simple manœuvre de la flotte. « Si ce portail ne s’y trouve pas, nous pourrons employer ce surcroît de temps de transit dans l’espace conventionnel et l’espace du saut à d’autres réparations.

— Vous êtes devenu très fort en matière de rationalisation, laissa tomber Desjani.

— Je n’ai pas le choix. Nous devons absolument atteindre Midway avant les Énigmas, mais il faut nous contenter de cette vélocité restreinte. » Il avait très sérieusement envisagé de laisser le supercuirassé derrière lui, accompagné d’une escorte conséquente, pendant qu’il filerait vers Midway avec le reste de la flotte. Mais le général Charban avait élevé de gros doutes quant à sa capacité de faire comprendre aux Lousaraignes que la flotte humaine comptait se scinder en deux formations distinctes pour traverser leur territoire. En outre, rien ne permettait de prévoir ce qui guetterait la flotte dans chaque système stellaire qu’elle traverserait, en procédant par sauts successifs, pour regagner l’espace humain après avoir emprunté l’hypernet. Que se passerait-il si l’un d’eux était occupé par les Énigmas ? Comment réagiraient-ils en voyant un supercuirassé vachours remorqué par une flotte humaine ? De manière drastique, à coup sûr.

Mais tout s’était bien passé jusque-là et, pendant qu’il regardait toutes ces opérations se dérouler sans à-coup, Geary prit soudain conscience de son épuisement, après ces quelques derniers jours de travail sans relâche. L’effet de la journée de repos qu’il avait ordonnée n’avait pas duré bien longtemps, sans doute parce qu’il n’avait guère eu le temps de s’accorder une pause. « Je vais aller dormir un peu. »

Il descendit dans sa cabine, non sans percevoir les sentiments mitigés, mélange de tension, de soulagement et de joie, qui agitaient les matelots qu’il croisait au passage. Joie de rentrer enfin chez eux. Soulagement parce qu’ils en prenaient le chemin. Et tension parce qu’ils ignoraient ce qui les attendait sur la route.

Le maître principal Tarrini sourit en le saluant. « D’autres questions dont vous cherchez la réponse, amiral ? »

Geary faillit répondre par la négative mais se retint. « Oui, chef. J’ai entendu les matelots se servir d’un mot que je ne connaissais pas…

— Euh… Bon, amiral… Vous savez comment ils sont et…

— Pas ce genre de mot, chef. Je ne crois pas, tout du moins. Savez-vous ce que veut dire “sab” ?

— “Sab” ? répéta Tarrini.

— Oui. Et, à votre ton, je peux dire que vous le savez. »

Le maître principal opina. « C’est l’acronyme de “sale affreuse bestiole”, amiral. C’est comme ça que les matelots commencent à appeler les… euh…

— Les Lousaraignes. » Geary laissa percer son mécontentement. « Ce sont nos alliés, chef. Ils se sont battus à nos côtés, ils ont perdu certains des leurs pour nous défendre et, maintenant, ils nous aident à rentrer plus vite chez nous.

— Certes, amiral, convint Tarrini. Mais vous connaissez les matelots. Pour eux, il s’agit tout de même de Sabs. Mais je crois que ce sont les fusiliers qui leur ont trouvé ce surnom. Vous savez comme ils sont. »

Geary jeta autour de lui un coup d’œil exaspéré. « Je sais aussi ce qu’il adviendrait si j’ordonnais à la flotte de ne plus employer ce terme.

— Tous les matelots s’en serviraient à qui mieux mieux, répondit Tarrini. Et les fusiliers encore davantage.

— Vous avez quelque chose contre les fusiliers, chef ?

— Sûrement pas, amiral. Je suis restée mariée un bon moment avec un fusilier, jusqu’à ce qu’il s’attaque à un autre objectif, comme ils disent. C’est à peine s’il m’arrive encore de songer à ce sal… à ce personnage, amiral.

— Je vous crois sur parole. » Geary fixa le maître principal dans les yeux. « Rendez-moi un service. Répandez le bruit que j’ai entendu ce terme et qu’il ne me plaît pas. Savoir qu’on l’emploie me met hors de moi.

— Certainement, amiral. » Le maître principal Tarrini salua derechef. « Tout le monde saura que vous aimeriez mieux qu’on ne s’en serve pas. Si quelque chose peut l’interdire, c’est bien ça. Mais il restera. Vous connaissez les matelots.

— En effet, chef. Merci. »

Pendant le reste de son parcours, Geary trouva la force, lorsqu’il retournait un salut, de paraître à la fois insouciant et prêt à tout. Puis, dès qu’il eut regagné sa cabine, il s’adossa un instant à son écoutille, se vautra ensuite sur sa couchette sans se déshabiller et finit par reconnaître que son besoin de sommeil était justifié.

Son panneau de communication bourdonnait avec insistance.

Il se contraignit enfin à émerger pour frapper la touche de mise en attente, conscient qu’en cas de réelle urgence l’appareil aurait émis une sonnerie différente. Il s’accorda le temps de rajuster son uniforme de manière à peu près décente avant de répondre.

Le visage radieux du capitaine Smyth lui parut singulièrement incongru. « Bon après-midi, amiral. J’ai de bonnes nouvelles.

— Elles sont les bienvenues. » Geary s’assit sur sa couchette et se massa le visage à deux mains.

« Nos ingénieurs ont scrupuleusement analysé les défaillances des systèmes qui se sont produites lors des préparatifs du dernier combat. Ils en ont conclu que ce pic dans la courbe des pannes est le fruit du regain d’efforts exigés de systèmes déjà affaiblis par leur approvisionnement supplémentaire en énergie.

— Je croyais qu’on le savait déjà ?

— Bien sûr. » Le sourire de Smyth se fit suffisant. « Mais, amiral, voici ce qu’on ignorait encore : nous avons fait sauter les composants les plus faibles. D’où ce pic. Cela signifie aussi que nous allons maintenant connaître une période de relative accalmie dans ces défaillances. Les composants les plus enclins à tomber en panne ont déjà flanché. Ceux qui ont résisté dureront probablement un peu plus longtemps avant de nous faire faux bond. »