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— Quelle différence au plan pratique ?

— Certaines de ces factions et des individus qui les composent poursuivent des objectifs où la loyauté qui leur est due personnellement prime sur la fidélité au gouvernement. »

Duellos se figea de nouveau ; son visage ne montrait rien, mais, à voir son regard, il se concentrait manifestement sur un raisonnement. « Vous m’avez dit que, lorsque vous vous étiez présenté devant le Grand Conseil de l’Alliance, certains des sénateurs vous étaient ostensiblement hostiles tandis que d’autres opéraient de manière plus subtile, finit-il par déclarer.

— Et quelques-uns semblaient même intègres et dévoués, renchérit Geary. Navarro, par exemple. Mais, comme l’a dit Victoria Rione, ses responsabilités précédentes de président du Conseil et les attaques répétées de ses ennemis politiques ont usé le sénateur Navarro. Je ne me fie absolument pas à la sénatrice Suva et je suis persuadé qu’elle a joué un rôle dans notre affectation à cette mission. J’ignore encore quelles cartes joue le sénateur Suvaï. Et il ne s’agit là que de trois exemples.

— Des factions ? murmura rêveusement Duellos. Vous savez, ces tentatives pour vous dépouiller des auxiliaires et de tous ceux qui connaissaient peu ou prou le fonctionnement de l’hypernet pourraient bien ne relever que de la stupidité bureaucratique habituelle. Les ordres pourraient provenir de sources différentes, agissant toutes au nom du règlement ou des “besoins de la flotte” vus par le petit bout de la lorgnette. Après tout, nous parlons du QG de la flotte, structure qui n’est guère renommée pour sa grande capacité de coordination, même interne. Ne jamais attribuer à la malfaisance ce qu’on peut expliquer par la bêtise, comme dit la vieille maxime. Je me demande qui a bien pu l’énoncer en premier.

— Ça m’a traversé l’esprit, avoua Geary. En des circonstances normales, on peut aisément se dire que la bureaucratie militaire tire sur vous à boulets rouges, et les circonstances actuelles sont bien pires.

— Précisément. Vous avez suffisamment l’expérience des cerveaux qui occupent les rangs les plus élevés de la hiérarchie du QG. Nombreux sont ceux qui ne sont arrivés à cette position qu’en songeant à leurs seuls carrière et avancement. Ceux qui, comme vous, ne doivent leur promotion qu’à leurs actions représentent une menace pour les individus dont le curriculum vitæ consiste essentiellement en jetons de présence. Ils chercheraient à vous évincer par principe, même en l’absence de toute conspiration. À vous jeter à la rue sans vous laisser le temps de vous préparer… Bon, vous pourriez parfaitement échouer dans la mission qui vous a été assignée. Ne serait-ce pas là un fiasco épouvantable pour ceux qui se regardent comme vos rivaux ? Et, même si vous n’échouiez pas, cela vous compliquerait au moins la vie, ce qui, pour ces esprits étroits et ces ego démesurés, serait déjà une récompense appréciable. »

Duellos réfléchissait toujours. « Ces nouveaux vaisseaux… Là encore, ça fait sens. Les nôtres ont beaucoup et durement servi et, comme vous l’avez dit, n’ont pas été fabriqués pour durer. On peut aisément concevoir pourquoi des bâtiments neufs seraient construits pour fournir à l’Alliance une défense durable. D’ailleurs, on pourrait même se dire que c’est là la politique la plus responsable.

— Certes, admit Geary. Mais pourquoi le cacher ?

— En partant du principe que tout le processus n’a pas de sombres connotations sous-jacentes ? Parce que, comme nous l’avons avancé un peu plus tôt, aux yeux du contribuable moyen de l’Alliance toutes les dépenses militaires sont devenues superfétatoires. Mais la corruption elle-même peut avoir joué son rôle. Contrats de construction attribués à des individus favorisés. Rétrocommissions des fournisseurs aux politiciens, pots-de-vin et le reste à l’avenant. » Duellos se tut, morose.

« Vous croyez que tout cela est impliqué ? insista Geary.

— Au moins en partie. Si nous avons affaire à plusieurs factions différentes, à de nombreux individus différents, alors nous affrontons des mobiles différents. Certains n’ont peut-être approuvé ces contrats et ce secret que parce qu’ils les reconnaissaient comme nécessaires à la défense de l’Alliance et qu’il fallait agir de manière politiquement viable. D’autres n’ont peut-être été poussés que par la cupidité. Et d’autres encore…» Duellos releva les yeux vers Geary. « Qui a obtenu le commandement de ces nouveaux vaisseaux ? Le savoir nous en apprendrait beaucoup. Certains officiers, comme feu le bien peu regretté amiral Bloch, étaient notoirement connus pour leurs ambitions politiques.

— Il comptait déclencher un coup d’État ?

— Oui. » Duellos haussa les épaules. « Nous n’en savons tout bonnement pas assez. Mais, quand on connaîtra les noms des commandants de ces nouveaux vaisseaux, leur identité nous en dira très long, ainsi que leurs justifications…» Il s’interrompit brutalement, les lèvres crispées.

« Quelles justifications ? » demanda Geary.

Duellos le fixa dans le blanc des yeux. « Des raisons pour lesquelles on ne vous en a pas confié le commandement. Vous êtes le meilleur commandant de la flotte dont l’Alliance ait disposé jusque-là. La population vous apprécie et vous place beaucoup plus haut que tout autre officier. Or on ne va pas vous confier ces vaisseaux. Comment le justifiera-t-on ?

— Vous avez l’air d’avoir trouvé la réponse.

— Effectivement : en l’absence de l’amiral Geary, comment pourrait-on lui en confier le commandement ? »

Geary se rejeta en arrière, les poings crispés de colère. « Les raisons possibles ne peuvent guère être très nombreuses.

— Oh que si. Mais, tout en divergeant sur celles qui les poussent à souhaiter l’absence de l’amiral Geary, ces gens-là peuvent au moins tomber d’accord sur cette aspiration commune. » Duellos hocha la tête d’un air satisfait. « C’est du moins ainsi que je vois les choses : non pas un complot colossal visant assidûment le même objectif, mais différents partis et des projets variés, convergeant pour beaucoup vers l’envoi de la flotte en expédition dans les conditions qu’on connaît. Il ne s’agit plus seulement de vous versus le gouvernement.

— Merci. Je voulais moi-même parvenir à cette conclusion, mais je me méfiais précisément de mon raisonnement parce que j’y tenais trop. Et vous êtes arrivé au même résultat. Des gens cherchent là-bas à me créer des difficultés, tandis que certains poursuivent des projets personnels d’enrichissement ou de pouvoir, et que d’autres encore, qui œuvrent pour le bien commun, sont induits en erreur et incités à soutenir des agissements visant d’autres objectifs. Bon, maintenant, comment puis-je vous soulager de vos inquiétudes ?

— Rien ne saurait apaiser mes angoisses, répondit Duellos. Je suis étranger en mon propre pays. Je vais devoir m’y faire.

— Vous serez toujours chez vous dans toute force sous mon commandement, affirma Geary.

— Vous avez mes remerciements. » Duellos se leva et salua avec solennité. « Mais peut-être pas ceux de ma femme. Le devoir m’appelle, amiral. »

Duellos parti, Geary fixa un instant l’écran des étoiles. Pas moi contre le gouvernement. Mais si le gouvernement changeait ? Si certaines de ces personnes contre lesquelles Rione m’a prévenu s’avisaient de vouloir s’emparer des commandes sous un prétexte quelconque ou affirmaient, pour faire taire la population de l’Alliance, qu’elles disposent de mon soutien ?

Mais alors elles ne seraient pas le gouvernement. Pas vraiment. Assurément pas le gouvernement légitime de la population de l’Alliance.