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Les croiseurs légers se rangeaient autour des croiseurs de combat, tandis que les destroyers dessinaient les flancs, l’avant et l’arrière de l’ovale. « À toutes les unités du détachement chargé de la poursuite, accélérez sur-le-champ jusqu’à 0,25 c. »

Le détachement commença de s’écarter du corps principal, tandis que cuirassés, croiseurs lourds et destroyers restants continuaient d’adopter une autre formation ovoïde, dont le centre était cette fois occupé par le supercuirassé vachours, les transports d’assaut, les auxiliaires et les cuirassés.

Geary s’aperçut que son détachement gagnait rapidement du terrain sur la formation lousaraigne moins importante, qui avait jusque-là gardé la tête. « Général Charban, émissaire Rione, nous devons avertir la délégation lousaraigne que ce détachement regagne l’espace de l’Alliance à haute vélocité afin d’engager le combat avec les Énigmas.

— La teneur de ce message excède le vocabulaire dont nous disposons, mais nous ferons de notre mieux », répondit Rione.

Quoi d’autre ? Quelque chose qu’il avait laissé derrière lui. Nouvel appel. « Amiral Lagemann. »

S’il avait l’air un peu plus hagard que la dernière fois, Lagemann n’en restait pas moins enjoué. Compte tenu des assez rudes conditions d’existence régnant à bord du supercuirassé, Geary s’étonna même que son homologue n’offrît pas plus mauvaise apparence. « Je passe devant. Le capitaine Armus reste aux commandes de la formation à laquelle vous appartenez. Il ne laissera rien vous approcher.

— Merci, amiral, répondit Lagemann. Si quelque chose perçait ses défenses, je dispose à bord de mon bâtiment d’une troupe impressionnante de fusiliers. Jamais je n’aurais imaginé devoir combattre un jour à bord d’un pareil engin.

— Nous nous efforcerons de vous éviter le combat. »

Lagemann embrassa son environnement d’un geste. « Eh bien, dans le pire des cas, au moins pourrons-nous interposer bon nombre de cuirasses et une masse pour le moins volumineuse entre nos assaillants et nous. Vous ai-je dit que j’avais baptisé mon vaisseau ?

— Non. Vous lui avez donné un nom ?

— Oui. Mieux adapté. Je suis las de l’entendre surnommer le GPS, le LCCO, le TGCL ou le…

— Le TGCL ?

— Très Grosse Cible Lente. Je lui ai trouvé un bien plus beau nom. » Lagemann sourit. « C’est le tout dernier Invulnérable, amiral. »

Lagemann trouvait sans doute ça drôle, mais Geary pressentait que Desjani et de nombreux autres spatiaux n’apprécieraient pas la plaisanterie. « Êtes-vous sûr que c’est une bonne idée ?

— Sûr et certain. D’abord parce qu’il est foutrement gros et pratiquement indestructible. Ensuite, parce qu’il a été vaincu et arraisonné une première fois. Il a donc d’ores et déjà donné la preuve qu’il n’était pas vraiment un Invulnérable. Peut-être les Bofs le croyaient-ils, mais nous leur avons démontré le contraire. » Lagemann sourit encore. « Comme vous le constatez, en le baptisant de ce nom, nous nous inscrivons en faux contre l’erreur qu’ils ont commise en s’imaginant qu’ils pouvaient construire un vaisseau trop massif et coriace pour être vaincu. »

Étrangement, ça semblait faire sens. « Vous présumez que les vivantes étoiles sauront apprécier l’ironie.

— Par les cieux, amiral, regardez donc le cosmos ! Si celui ou ceux qui l’ont créé ne comprennent rien à l’humour, comment expliquer certains phénomènes ? Le genre humain, par exemple. »

Lagemann marquait un point. « Qu’en pense votre équipage ? » Celui-ci n’était pas très important, comparé à la taille du supercuirassé : une centaine environ d’officiers et de matelots en dehors des fusiliers.

« Mon équipage l’accepte, d’assez surprenante façon. Quelques-uns de mes hommes viennent du dernier Invulnérable et tous envisagent avec plaisir de rompre avec la malédiction. Et, bien sûr, l’idée d’attirer le danger comme un aimant plaît beaucoup aux fusiliers.

— Vraiment ?

— Bon, mettons que ça ne les enflamme pas tous à ce point, mais ils apprécient malgré tout l’épaisseur du blindage de ce machin… pardon, du nouvel Invulnérable.

— Je vais donc vous souhaiter bonne chance. Nous nous reverrons à Midway. » Geary coupa la communication et se tourna vers Desjani. « Vous avez entendu ? »

Tanya affichait une expression horrifiée, qui s’estompa graduellement pour céder la place à l’incrédulité. « Il veut réellement le faire ? Il est encore plus cinglé que Benan.

— S’il baptise ce Léviathan Invulnérable, la flotte ne pourra plus donner ce nom à aucun autre nouveau vaisseau, n’est-ce pas ? »

Le masque de Desjani se fit calculateur. « C’est vrai. Je crois. Et ces supercuirassés sont sacrément coriaces. » Elle indiqua son écran. Geary constata qu’elle avait ouvert une grande fenêtre virtuelle montrant une image du supercuirassé vachours… de l’Invulnérable, rectifia-t-il en son for intérieur. Il voyait en gros plan la même coque blindée que celle qu’il avait visualisée la dernière fois, durant l’assaut des fusiliers. Il émanait de cette sombre surface de métal et de composites, tantôt piquetée ou vérolée par des frappes, tantôt si lisse et brillante que les étoiles elles-mêmes semblaient s’y refléter, une impression de grande puissance.

« Comment s’y prend-on pour fabriquer un blindage aussi épais ? se demanda-t-il.

— C’est sans doute ce que nos ingénieurs et nos scientifiques chercheront à comprendre, entre autres choses, répondit Desjani. Ce n’est pas ma tasse de thé. J’apprécie la vitesse et la maniabilité autant que la puissance. Mais, même moi, quand je vois cette coque et la taille de ce vaisseau, je ne peux m’empêcher de me dire : “Wouah, génial !”

— N’empêche qu’il n’est pas réellement invulnérable.

— Non. Bien sûr que non. Mais l’amiral Lagemann a peut-être raison. C’est une manière de dire aux vivantes étoiles : “On a compris. On sait parfaitement que ce nom ne convient pas non plus à ce vaisseau parce qu’on en a déjà donné la preuve”. »

Un appel interrompit leur discussion. Geary vit s’afficher le visage solennel du docteur Nasr. « Deux autres Vachours sont morts durant notre saut depuis Hua, lui apprit le médecin chef. Autant que nous puissions le dire, les doses de sédatifs étaient trop fortes, mais ce n’est pas une certitude. »

Ne restaient donc plus que trois prisonniers bofs en vie. Geary détourna les yeux, l’estomac révulsé. « Pourquoi refusent-ils de se laisser soigner ?

— Nous en avons déjà discuté, amiral. À leurs yeux, nous nous efforçons seulement de les sauver pour les manger plus tard. Sous forme de viande fraîche.

— J’aimerais votre opinion sincère, docteur. Quelle serait la meilleure façon de procéder en l’occurrence ? »

Nasr soupira. « Amiral, ne pas nuire à autrui est la règle d’or de ma profession. On peut n’y voir qu’une règle simpliste, mais tout médecin un peu expérimenté vous dira que, si on la prend au sérieux, elle peut déboucher sur de très graves dilemmes. Nous avons voulu bien faire, du moins selon notre propre conception, en soignant les blessures des Vachours et en nous efforçant de leur sauver la vie. Et nous n’obéissions pas seulement à un intérêt égoïste puisque nous aspirions sincèrement à une chance d’établir la communication avec leur espèce. Mais vous connaissez le proverbe : l’enfer est pavé de bonnes intentions. Les nôtres ont créé une situation où toutes les options sont défavorables.