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» Ils vont tous mourir, amiral. Nous n’en savons pas assez sur leur métabolisme et leur organisme. Soit nos doses de sédatif sont trop fortes, soit elles sont insuffisantes. Un seul et bref instant de lucidité et ils mettent fin à leurs jours. Ou bien, dans le cas contraire, ce sont les surdoses qui les tuent. »

Geary fixa le médecin. « Êtes-vous en train de me dire que je devrais les laisser mourir ?

— Non, je ne peux pas faire cela. Ce que je m’efforce de vous faire comprendre, c’est qu’ils mourront de toute façon. Où et quand, telle est la seule question. Vous pouvez m’ordonner de réduire ou d’augmenter leur sédation. Ou encore de continuer à marcher sur le fil du rasoir afin de les maintenir en vie le plus longtemps possible.

— Je ne peux pas vous ordonner de les tuer, docteur. Souffriront-ils si nous continuons de faire pour le mieux ?

— Souffrir ? Non. Ils passeront simplement du coma provoqué à la mort, ou à la reprise de conscience puis à la mort. J’ignore si leur agonie est douloureuse, mais, d’après les relevés dont nous disposons sur celui qui a mis fin à ses jours et son autopsie ultérieure, le processus ne semble pas traumatisant. Bien au contraire, car leur organisme se sature alors de produits chimiques et d’hormones qui bloquent la douleur et provoquent peut-être des hallucinations, en même temps que l’arrêt assez rapide des fonctions métaboliques. »

À l’entendre, c’était presque agréable. Pas de souffrance. Peut-être même des visions, de celles auxquelles aspirait l’agonisant. Un réconfort. Mais même provoquer cela sciemment… « Persévérez dans vos tentatives pour les maintenir en vie. Ce sont nos règles à nous, je le reconnais. Mais aussi les seules auxquelles je puisse me plier.

— Nous leur permettons de s’éteindre s’il n’y a plus aucun espoir et si le patient refuse toute intervention artificielle, fit remarquer Nasr.

— Il reste de l’espoir », laissa tomber Geary en se demandant s’il y croyait lui-même.

Le médecin hocha la tête. Geary n’avait jamais réussi à obtenir du personnel médical qu’il adoptât le salut réglementaire. « Il y a un autre problème, amiral. Ces citoyens des Mondes syndiqués que nous avons arrachés aux Énigmas, avez-vous pris des dispositions à leur égard ?

— Non, docteur. Je viens déjà de jouer à l’arbitre divin avec les Vachours. Dois-je réitérer avec les Syndics ?

— Oui, amiral. Si vous les remettez aux autorités des Mondes syndiqués, vous savez ce qu’il adviendra d’eux. On les traitera en cobayes de laboratoire, en leur faisant subir un sort pire que celui auquel les vouaient les Énigmas. »

Geary secoua furieusement la tête. « Pareil si je les ramenais à l’Alliance ! Nos chercheurs parlent peut-être de respect de la dignité humaine, mais ça reviendrait au même. » Il afficha un rapport qu’il se souvenait d’avoir lu et parcourut les informations pour rafraîchir ses souvenirs. « On a demandé à ces gens de choisir, et tous ont répondu qu’ils préféraient rentrer chez eux.

— Voulez-vous rentrer chez vous, amiral ?

— Je…» Oui. Mais je n’ai plus de chez-moi. Ma patrie n’existe plus depuis longtemps. Et, si je me rendais là où elle se trouvait auparavant, je n’aurais pas un seul instant de paix. Exactement comme ces trois cent trente-trois malheureux Syndics. « Je comprends, docteur. Sincèrement. Je vous promets de ne rien faire sans avoir d’abord mûrement réfléchi au bien-être de ces gens.

— Merci, amiral. Je ne peux guère en demander plus. »

Las de devoir prendre de dures décisions, d’autant que le plus grand flou régnait dans les deux cas, Geary se laissa retomber en arrière.

« Amiral, le héla Desjani à voix basse.

— Oui.

— Pendant que vous discutiez avec le médecin, vous avez reçu un autre message hautement prioritaire. Le capitaine Jane Geary demande à vous rencontrer le plus tôt possible. »

Oh, super ! Mais il l’avait vu venir et, maintenant que les croiseurs de combat s’éloignaient régulièrement des cuirassés, plus il repousserait cet entretien, plus les délais de réception d’un vaisseau à l’autre s’allongeraient et plus la conversation deviendrait fastidieuse. « Je vais l’appeler de ma cabine.

— Ne tournez pas autour du pot. Ne cherchez pas à ménager sa susceptibilité. Soyez aussi clair et brutal que possible. Et, pour l’amour de nos ancêtres, n’allez surtout pas lui dire que je vous ai donné ce conseil. »

Il resta quelques minutes encore sur la passerelle, à regarder la flottille Énigma sauter vers Midway et disparaître. Certes, l’événement s’était produit des heures plus tôt, mais y assister au moment où l’image de cette disparition atteignait enfin la flotte lui conférait une manière d’immédiateté. « Très bien. Je vais aller parler à ma petite-nièce. »

Il vérifia à deux reprises les paramètres de sécurité de son logiciel de communication avant d’appeler l’Intrépide, sachant d’expérience que ces communications n’étaient jamais totalement sûres. Néanmoins, il devait s’efforcer de garder cette conversation aussi privée que possible.

L’image de Jane Geary apparut dans sa cabine. Elle n’avait pas l’air contente, mais il s’y attendait. « Amiral, je dois respectueusement vous demander pour quelles raisons vous ne m’avez pas confié le commandement du corps principal de la flotte. » Soit il donnait à sa réponse une touche personnelle, soit il l’entourait de ce même écran de fumée professionnel dont Jane Geary s’était si souvent servie pour dissimuler ses sentiments. En dépit du conseil de Desjani, il opta pour prendre d’abord le second parti. « Capitaine Geary, commença-t-il sur un ton officiel, j’ai choisi celui de mes officiers qui, selon moi, était le mieux placé pour faire exécuter les ordres assignés au corps principal.

— Si c’est à cause de ces rumeurs selon lesquelles vous me favoriseriez, je trouve injuste de me pénaliser parce que d’autres ont répandu de fausses accusations, amiral. »

Geary dut réfléchir avant de répondre. Des bruits courraient faisant état de mon népotisme en faveur de Jane Geary ? Pourquoi Tanya ne m’en a-t-elle pas parlé ? Mais peut-être n’est-elle pas au courant. Qui irait lui rapporter de tels ragots ?

Et sur quoi se fonderaient-ils, d’ailleurs ? Certes, j’ai fait son éloge après la bataille d’Honneur, mais qui pourrait bien y objecter ?

« Capitaine Geary, je vous garantis que ma décision n’a pas tenu compte de ces rumeurs. » Puisqu’elles ne sont jamais parvenues jusqu’à mon oreille, je n’ai jamais été plus proche de la vérité.

Au tour de Jane Geary d’hésiter. « Pourquoi ne serais-je pas l’officier le mieux placé pour commander au corps principal ? » finit-elle par demander.

Allait-il lui dire la vérité ? S’il s’en gardait, ne porterait-il pas l’entière responsabilité de ce qu’elle ferait par la suite ? Il voyait déjà, dans sa tête, le regard furieux que lui décocherait Tanya.

Soyez aussi clair et brutal que possible. « Je vais me montrer très direct, capitaine Geary. La commandante de l’Intrépide que j’ai rencontrée pour la première fois à Varandal aurait sûrement reçu cette affectation. Elle était agressive, intelligente, fiable et compétente. J’aurais su avec certitude comment elle agirait. Mais, depuis que nous avons quitté Varandal pour mener notre mission à bien, les doutes m’assaillent de plus en plus quant à vos réactions possibles dans une situation donnée. »