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Seize

Les croiseurs de combat et l’ensemble du détachement chargé de la poursuite avaient progressivement dépassé les six vaisseaux lousaraignes, de sorte que la formation de ces derniers se trouvait désormais entre ce détachement et le corps principal de la flotte. L’écart entre les deux sous-formations humaines se creusait régulièrement, à mesure que, adoptant une vélocité supérieure à celle que pouvaient atteindre les encombrants cuirassés, auxiliaires et autres transports d’assaut, les croiseurs de combat, croiseurs légers et destroyers accéléraient. Geary consulta les rapports sur l’état des quatre remorqueurs de l’ex-supercuirassé vachours et constata sur ces relevés le stress que subissait la coque de l’Acharné, du Représailles, du Superbe et du Splendide, contraints de haler le colossal Invulnérable à une vélocité de plus en plus élevée. S’ils en avaient eu le temps une poussée infime y aurait suffi, mais ils n’avaient pas des décennies à consacrer à une accélération lente, de sorte que les quatre cuirassés y mettaient tout ce qu’ils avaient sous le capot.

Les rapports témoignaient de problèmes un peu partout. Sans doute pas à l’échelle des pannes qui s’étaient produites à Honneur, loin de là, mais, les vaisseaux du détachement de poursuite poussant au maximum leurs systèmes de manœuvre et de propulsion, une dizaine d’entre eux signalaient déjà des défaillances ponctuelles : L’Implacable et l’Intempérant avaient chacun perdu une unité de propulsion principale qu’on s’efforçait frénétiquement de réaligner, tandis que le Vaillant avait souffert de dysfonctionnements des systèmes de ses propulseurs de manœuvre. Ces trois croiseurs de combat avaient pris du retard sur la formation. Ils étaient accompagnés par plusieurs croiseurs légers et dix destroyers qui, eux aussi, étaient partiellement privés de leur propulsion ou de leur capacité de manœuvre. Geary en venait à se dire qu’aucun de ses vaisseaux au moins n’avait perdu la totalité de sa capacité de propulsion, puis il se hâta de chasser cette pensée de peur de porter la poisse à la flotte.

Le Dragon et le Victorieux, eux, s’ils tenaient leur position dans la formation, devaient faire face à des pannes intermittentes de leurs boucliers, tandis que des batteries de lances de l’enfer tombaient en rade çà et là sur une douzaine de bâtiments.

Sous les ordres du capitaine Armus, le corps principal de la flotte souffrait également de problèmes épars, mais il disposerait des auxiliaires et de davantage de temps pour réparer ces soudaines défaillances de ses systèmes.

Ainsi que l’avait prédit le capitaine Smyth, le Sorcière mais aussi le Djinn et le Gobelin étaient maintenant à court de matériaux bruts critiques et incapables de fabriquer de nouvelles pièces. Les stocks du Cyclope étaient si bas qu’il ferait probablement état de leur épuisement dans quelques heures. Leurs ingénieurs aidaient certes les équipages des autres vaisseaux aux réparations, mais ils ne pouvaient guère faire plus pour l’heure.

« Ce pourrait être pire, laissa tomber Geary. Il reste encore quelques heures à la flotte pour réparer avant d’entrer dans l’espace du saut, puis nous profiterons du transit vers Midway pour nous livrer à des réparations internes.

— Et les Bofs ne nous poursuivent toujours pas », ajouta Desjani.

Geary ne put s’interdire un bref sourire, qui s’effaça dès qu’il eut de nouveau parcouru les rapports sur l’avancement des réparations. Certes, ils en auraient le temps, mais ils manqueraient de pièces détachées. « J’espère que nous n’allons pas aussi tomber à court de ruban adhésif, parce que nous allons en avoir sacrément besoin. »

Il s’était demandé si d’autres obstacles ne se présenteraient pas à Pele pendant qu’ils traverseraient le système : d’autres vaisseaux Énigmas, par exemple, qui fileraient rejoindre leur flottille principale. Mais, lorsque celle-ci eut sauté, il ne resta plus à Pele que les deux sous-formations humaines et, entre elles, les six vaisseaux lousaraignes. Le corps principal de la flotte avait déjà perdu beaucoup de terrain sur le détachement quand les croiseurs de combat et leurs escorteurs se retournèrent pour décélérer à 0,1 c et sauter.

Geary sentit se cabrer l’Indomptable quand ses principales unités de propulsion rugirent à plein régime pour le ralentir. Tanya n’avait accordé à la manœuvre que de faibles marges de sécurité afin de rogner encore quelques minutes supplémentaires avant de sauter. Un de ces quatre, il faudrait qu’il apprenne à vérifier après elle ce qu’elle exigeait de ses unités de propulsion, de l’infrastructure de son vaisseau et de ses tampons d’inertie.

Mais elle outrepassait rarement ces marges. Elle se contentait d’ordinaire de les frôler sans les franchir. En règle générale.

« On y est presque, hurla-t-elle pour couvrir les plaintes des tampons d’inertie qui bataillaient pour empêcher les vaisseaux de se désintégrer et leur équipage d’être réduit en pulpe par les forces en action. Les Lousaraignes arrivent derrière nous, à dix minutes-lumière exactement.

— Ils tiennent à ce que nous sautions la tête la première dans l’embuscade que nous auront préparée les Énigmas à Midway. Je ne peux guère le leur reprocher. »

Il enfonça une touche de contrôle de son unité de com : « On se retrouve à Midway, capitaine Armus. Je ne doute pas que nous y aurons besoin de votre puissance de feu. En l’honneur de nos ancêtres, Geary, terminé. » Il avait mis fin à son message de manière protocolaire, cela lui avait paru indiqué cette fois.

Les quinze dernières minutes précédant le saut ne permettraient pas à Armus de lui répondre, de sorte que Geary s’efforça de se détendre en dépit de la violence de la décélération. « À toutes les unités du détachement de poursuite, ici l’amiral Geary. Soyez prêts à combattre dès notre émergence à Midway. Les forces Énigmas que nous avons vues sauter vers cette étoile s’attendront sans doute à notre arrivée ou frapperont déjà des cibles de ce système. Dans un cas comme dans l’autre, nous allons de nouveau leur faire comprendre qu’il n’est guère salubre de s’attaquer à des territoires contrôlés par l’humanité. En l’honneur de nos ancêtres, Geary, terminé.

— Le ton n’était-il pas un tantinet trop guindé pour une annonce interne à la flotte, amiral ? railla Desjani.

— La prochaine fois que je m’adresserai à elle, nous serons peut-être au beau milieu d’un combat », répondit-il.

Quand le détachement avait freiné, tous les vaisseaux en retard en avaient profité pour le rattraper : l’Implacable, l’Intempérant, le Vaillant et les divers croiseurs légers et destroyers avaient repris leur position relative par rapport à l’Indomptable. Tous continuaient de décélérer, en même temps que diminuait la distance les séparant du point de saut.

Quand il se présenta enfin à eux, leur vélocité était réduite à 0,1 c. « À toutes les unités. Sautez ! »

Geary se contraignit de nouveau à se détendre, une grisaille amorphe venant de remplacer l’espace extérieur. « Comment se porte l’Indomptable ? demanda-t-il à Desjani.

— Vous doutez de mes relevés ?

— Bien sûr que non. Mais j’aimerais aussi connaître vos impressions. »

Tanya haussa les épaules. « Dans la mesure où nous sommes le vaisseau amiral, nous jouissons de la priorité en matière de remise à jour de nombreux systèmes. Bien sûr, une fois que les ingénieurs se sont attelés aux réparations des avaries infligées au combat et des défaillances des systèmes, les mises à jour se sont ralenties, mais l’Indomptable reste en bon état. Je ne peux pas vous garantir que rien ne tombera plus en panne sans prévenir, mais, si cela devait se produire, ça ne toucherait rien d’essentiel.