— Est-ce à dire que vous avez trouvé la réponse ? s’enquit Desjani.
— Oui. » Il pointa l’index sur l’écran. « Ils veulent aussi nous anéantir. S’ils détruisaient le portail et balayaient toute présence humaine de cette planète et de cette station orbitale, pour quelle autre raison seraient-ils restés ici, sinon pour nous combattre ?
— Et ils tiennent à ce que nous y restions aussi pour nous battre. » Elle hocha la tête, le visage sévère. « Ils ont donc laissé intact tout ce que nous pourrions vouloir sauver. Autrement dit, ils ne comptent pas fuir. Mais encore s’assurer que la porte d’entrée serait verrouillée, que nous serions annihilés et désormais incapables de revenir investir leur territoire. Cela étant, le rapport de forces ne joue pas réellement en leur faveur. Ils ont sûrement en tête un stratagème susceptible de nous liquider. Ensuite…» Elle fixa son écran en fronçant les sourcils. « Trois flottilles syndics. Devons-nous nous inquiéter d’elles ? Vont-elles nous aider ? Nous combattre ? Ou bien rester les bras croisés et nous regarder nous battre contre les Énigmas en riant de voir leurs ennemis s’entre-tuer ?
— S’il y a bien quelque chose dont nous ne devons pas nous préoccuper, c’est d’une attaque des Syndics. » Il ressentait désormais douloureusement la nécessité d’accélérer le mouvement, mais il n’en restait pas moins conscient qu’à sa vitesse actuelle il faudrait cinq heures à sa flotte pour rejoindre la formation des Énigmas. Il serait beaucoup plus avisé, avant d’agir, d’étudier scrupuleusement la situation régnant dans ce système stellaire.
Desjani secoua la tête. « Le commandant en chef de leur flottille, la dernière fois que nous sommes passés ici… comment s’appelait-elle ? Kolani. Elle était mauvaise et coriace. Elle aurait adoré nous combattre, ne serait-ce que pour achever nos blessés déjà estropiés par les Énigmas. »
Trois flottilles syndics… certes très réduites par rapport aux flottes de l’Alliance et des Énigmas : un cuirassé et deux croiseurs lourds à la station orbitale proche de la géante gazeuse, un autre cuirassé, six croiseurs lourds, quatre croiseurs légers et dix avisos stationnant près du portail, et deux croiseurs lourds, six croiseurs légers et douze avisos se dirigeant vers la géante gazeuse, sur une trajectoire indiquant qu’ils venaient d’un point proche du monde habité.
« Si les Syndics pouvaient rassembler toutes leurs forces et réunir ces trois petites flottilles…
— Ils disposeraient d’une petite flottille, le coupa Desjani. Si l’on ajoute les vaisseaux qui viennent de la planète habitée à ceux de la géante gazeuse, sans tenir compte du cuirassé, on obtient à peu près ce qu’ils avaient déjà lors de notre dernier passage. Apparemment, tout était paisible ici. Ceux qui sont près du portail de l’hypernet doivent être des renforts envoyés par le gouvernement central de Prime.
— Pas grand-chose, convint Geary. Mais on ne peut pas ne pas tenir compte des deux cuirassés. » Il n’avait pas terminé sa phrase qu’un des symboles de son écran représentant une menace s’altérait, en même temps que changeait sa légende. « Regardé comme non opérationnel ? Le cuirassé de la géante gazeuse n’est pas en état de combattre ?
— C’est ce que disent les senseurs de la flotte, amiral, confirma le lieutenant Yuon. D’après l’analyse de sa coque extérieure, il devrait être flambant neuf, mais tout ce que captent nos senseurs quant à son activité et son équipement suggère qu’il est encore en construction.
— Ce qui explique sans doute pourquoi il se trouve dans le chantier spatial de Midway, lâcha Desjani. Les deux croiseurs lourds doivent donc être là pour le protéger. »
Le visage du lieutenant Iger apparut près de Geary. « Amiral, nous venons d’intercepter un message destiné à la station orbitale de la géante gazeuse et envoyé par la flottille des Mondes syndiqués stationnée près du portail. Nous nous trouvions assez près du signal pour le capter. Il est signé du commandant de la flottille, le commandant en chef Boyens.
— Faut croire qu’on ne l’a pas fusillé, laissa tomber Desjani, l’air un peu déçue.
— Plus importante encore est sa teneur, poursuivit Iger. Nous ne l’avons toujours pas entièrement décrypté, mais nous pouvons affirmer avec certitude que c’est une demande de reddition. »
Geary mit un moment à digérer l’information. « De reddition ? Visant les croiseurs, le cuirassé ou l’installation orbitale ?
— Tous les trois, amiral. Nous en sommes certains.
— Qui pourrait bien être assez fou pour entrer en rébellion avec un cuirassé qui n’est pas encore opérationnel ? s’étonna Desjani. Donc la force qui se dirigerait vers eux depuis la planète habitée serait chargée de les mater ?
— Peut-être pas, répondit aussitôt Iger. Les senseurs ont également décelé les signes de dommages infligés à plusieurs cités de la principale planète habitée. Des réparations sont déjà en cours, mais les dégâts sont encore assez étendus pour rester perceptibles.
— Un bombardement des Énigmas ? s’interrogea Geary. Non. Si cette force s’en était chargée, le déclencher, frapper cette planète et entreprendre des réparations aurait exigé beaucoup plus de temps.
— C’est exact, amiral. Et on ne distingue pas non plus de cratères consécutifs à un tel bombardement. Ces dégâts semblent plutôt le fruit de violents combats au sol. »
En surface ? Mais qui contre qui ? « Une guerre civile serait-elle en cours là-bas ?
— Non, amiral. Nous n’avons rien repéré jusque-là pour le confirmer. C’est antérieur.
— Quelqu’un a gagné et quelqu’un a perdu, résuma Desjani. Si les bâtiments de la géante gazeuse et de la station orbitale sont bien occupés par des rebelles, ils auront peut-être gagné sur place mais perdu sur la planète. »
Iger prêtait l’oreille à l’un de ses collègues en même temps qu’il lisait rapidement : « Amiral, les échanges de communications sont inhabituellement nombreux dans ce système stellaire. Ces messages anticipent notre propre émergence et l’arrivée des Énigmas. Celui de la flottille menée par le commandant en chef Boyens est dans un format syndic réglementaire, mais les locaux ne se sont pas servis récemment des codes standard syndics, même s’ils semblent observer les protocoles normaux. Les bulletins d’informations que nous captons parlent de la “présidente” Iceni et du “général” Drakon comme s’ils étaient désormais aux commandes du système. Selon ces vidéos, il s’agirait des mêmes personnes que nous connaissions sous le nom de commandante en chef Iceni et de commandant en chef Drakon.
— Nous savons maintenant qui a gagné, déclara Geary à Desjani.
— La “présidente” Iceni ? Comme si elle avait été élue ? De qui se moque-t-on ?
— N’y avait-il pas un autre commandant en chef sur la planète ? s’enquit Geary.
— Oui, amiral, répondit Iger. Le commandant en chef Hardrad. Je ne trouve aucune allusion à lui dans les échanges actuels de messages. Iceni était la responsable de tout le système stellaire, Drakon le chef des forces militaires au sol et Hardrad celui de la sécurité interne. »
La sécurité interne. Sur une planète des Mondes syndiqués, c’était bien davantage qu’une police. Il s’agissait de maintenir la population sous contrôle. Mais si Hardrad n’était plus là…
« Une minute ! lâcha Geary. Si les dirigeants de cette planète, Iceni et Drakon, se sont révoltés contre les Syndics et débarrassés de Hardrad, cela peut vouloir dire que la flottille qui, sous les ordres de Boyens, comprend le cuirassé opérationnel n’est pas du tout une force d’appoint. »