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— Messieurs, leur dis-je, je crois que le moment est venu de faire le point de cette peu brillante situation.

Ils observent attentivement un silence recueilli.

Plus pour le gars Moi-même que pour Euss, je procède à un résumé des chapitres précédents.

— Voici les faits, dans leur ordre chronologique, exposé-je.

— On se croirait à la Fac, plaisante Bravissimo qui a eu son Certificat d’études primaires à l’ancienneté et par erreur.

— Tu nous la sors bonne, se croit obligé de renchérir le Bérurier de service.

Je le stoppe d’un regard qui foutrait le feu à un igloo.

Et j’attaque :

— Des plans intéressant les recherches atomiques françaises ont été volés naguère par un filou d’origine turque spécialisé dans ce genre de besogne. Lancé sur la piste, j’ai, en un temps record, retrouvé le type à Barcelone où il s’était rendu pour négocier sa prise. Avec la dextérité que vous me connaissez, j’ai récupéré la marchandise et infligé à Kémal Otru une correction à grand spectacle.

« Là-dessus, je fonce d’une traite jusqu’à Paris. Avant de passer chez le Vieux, je me rends à la maison, histoire de me réconforter un peu. Ma mère est en train de me cuisiner une blanquette, le jardinier qui exerce en outre la délicate profession de crétin de village bêche allègrement le jardin. Il fait soleil, la vie semble potable. Je décide d’aller acheter des cigarettes au tabac du coin. Mais ne voulant pas transbahuter les plans, je les glisse dans un cache-pot de cuivre.

« Vous me suivez, les gars ?

Trois hochements de menton pulvérisent mes doutes. J’enchaîne :

— Lorsque je reviens, je trouve le jardinier assommé, ma mère a disparu, ses petits oignons sont carbonisés dans la poêle.

— Quelle pitié ! sanglote le Gros.

— Et les plans ? demande Bravissimo qui a l’esprit pratique.

— Ils sont toujours là, du moins l’enveloppe est toujours là…

Nous sommes interrompus par l’arrivée d’une ambulance. Des messieurs en blouse blanche déplient une civière et y chargent feu le faux Pilois.

— Continue ! supplie Bérurier, lequel, cependant, est le seul à connaître déjà l’histoire.

— Je tube au Vieux pour qu’il fasse prendre les documents. Mathias et Pinaud viennent les chercher. Mais entre mon coup de grelot et leur visite je reçois une communication extraordinaire. Une femme me fait écouter la voix de Félicie et m’informe que si je ne porte pas les plans dans une cabine du bureau de poste des Champ’s avant vingt-quatre heures on tuera ma Vieille !

— Et vous nous avez tout de même remis les documents ! admire Mathias.

— Le devoir, mon fils, murmuré-je.

Ces messieurs m’admirent à qui mieux mieux et de gauche à droite. N’étant point vanneur, je continue l’exposé.

— Je prends mes dispositions pour poser un piège dans la cabine 14. Or, voilà que le Vieux me joue la grande scène du III car l’enveloppe remise à Mathias ne contenait que des feuilles blanches.

Exclamations, bruits divers, mouvements de foule dans l’auditoire.

Premier mystère ! annoncé-je du ton que prend un employé des Wagons-Lits à la Cooks pour clamer « premier service ». On à volé les plans et on me les réclame ! C’est un peu fort de café, non ?

« Bref, poursuis-je inexorablement, je prends au bureau de poste les dispositions que vous savez et, effectivement, le quidam que messieurs les charognards sont en train de coltiner dans l’ambulance vient chercher la camelote. Nous le suivons. Il fout le camp de Paris. Pendant ce temps, la même bonne femme téléphone chez moi et se plaint que je n’ai pas déposé l’enveloppe. Deuxième mystère.

« Notre type se sachant filé nous sème des clous (et du poivre par la même occase) et prend le large. Il est buté, quelques kilomètres plus loin, par un inconnu qui lui vole une enveloppe cachetée ne contenant que les pages 7 et 8 de France-Soir. Troisième et, provisoirement, dernier mystère !

Je me frotte la joue.

— Allons, messieurs les jurés, qu’en dites-vous ? Toi, Mathias ?

Le rouquin se masse l’incendie, branle le chef, et déclare :

— À mon point de vue, il y a deux bandes sur le coup, patron. L’une a kidnappé votre maman et n’a pas les plans. L’autre a les plans…

Je pulvérise sa thèse avec un empressement sadique.

— Le pseudo-Pilois a participé à l’enlèvement de Félicie. J’ai trouvé une épingle à cheveux de ma vieille dans sa voiture. Donc il fait partie de la bande des kidnappeurs. En ce cas, pourquoi ceux-ci prétendent-ils que je n’ai pas remis l’enveloppe ?

— Ils ont peut-être voulu dire « la bonne enveloppe », rectifie le rouillé.

— En ce cas, cela sous-entendrait qu’ils sont au courant de la supercherie. Seul Pilois aurait pu les prévenir. Or il n’y avait aucune raison pour qu’il prenne la route avec l’enveloppe s’il savait que celle-ci ne contenait qu’une feuille de journal.

Bravissimo demande la parole. Je la lui accorde.

— Justement, dit-il. Supposez que Pilois, dans la cabine s’assure du contenu. Il constate que vous les avez fabriqués et de la cabine, il tube à la bande. Ses chefs flairent un piège et vous rendent la monnaie de votre pièce en vous entraînant à la suite du gars loin de Paris.

J’envisage.

— Ça ne tient pas, objecté-je.

— Pourquoi ?

— Ils ont appelé à la maison pour réclamer les plans. Ils sont pressés. Ils n’avaient aucun intérêt à m’éloigner de Paris, au contraire…

Le Gros, qui n’a pas encore moufté, prend à son tour la parole. Il déclare, calmement, les sourcils joints au-dessus de son regard animal :

— Ça me donne soif !

— À part ça, dis-je plein d’aigreur, tu n’as pas d’autres observations à nous transmettre ?

Il saisit délicatement un poil de son nez et l’arrache d’un geste sec. Dans les cas désespérés, il procède toujours ainsi. Et le plus étonnant c’est que, chaque fois, le poil repousse dans un laps de temps très court.

— Je pense comme toi qu’on n’a pas voulu t’entraîner loin de Pantruche, assure le Mahousse. Pourquoi qu’on aurait buté Pilois alors ? Hein ? Il pouvait nous entraîner jusqu’à Mardivostok du train que ça allait.

Ayant dit, il s’entortille une feuille de pissenlit autour de son petit orteil (celui qui sonne du cor) et remet sa chaussure.

— Qu’est-ce qu’on fout ? bougonne Bravissimo. On va à la pêche ? M’est avis, patron, que c’est pas dans cette cambrousse que vous trouverez ce que vous cherchez…

— Sans compter, renchérit l’Énormité bérurienne, que les vingt-quatre heures arrivent à expiation. Je ne veux pas te cailler le raisin. Gars, mais je pense à madame ta mère qu’est dans un drôle de pétrin !

— Alors ? mendié-je, perdant toute self-respectability. Quelle conduite adoptons-nous ?

Pour une fois, les trois lascars sont unanimes. Ils préconisent le retour sur Paname. D’abord parce que leurs légitimes les y attendent, ensuite parce que leurs illégitimes les y attendent aussi, enfin parce que, d’après eux, c’est à Paris que se trouvent Félicie, la bande, le bureau de poste qui sert en l’occurrence de dénominateur commun et la clé du mystère.

Nous faisons, demi-tour avec Bravissimo au volant, ce qui nous promet des sensations.

Nous roulons depuis une demi-heure à tombeau ouvert, quand, de nouveau, nous tombons sur une alignée de voitures.

— On a encore buté un mec ! gouaille le remarquable et très remarqué Béru.

Bravissimo stoppe et nous allons aux renseignements. La cause de cet arrêt, aussi surprenant que ça puisse paraître, est due à Bérurier soi-même !