Выбрать главу

— Si je te disais que chez mon neveu, l’ancien boxeur, ça ne carbure pas fort ? Sa femme est en sénat dans les Alpes. On vient de lui faire une plume au thorax. Ça a commencé bêtement, par une friction de poitrine et puis…

Et d’écraser une douzaine de larmes fort bien constituées qui foutraient le bourdon à un congrès de crocodiles.

Berthe fait une heureuse diversion en jouant les gracieuses hôtesses d’Air-France. Elle m’apporte un plateau tellement garni que je pourrais sustenter avec ça la population de trois pays sous-développés.

Je bouffe, un peu du bout des chailles, en songeant à ma Félicie qui se morfond dans les pattes de ces salopards.

Sa voix au téléphone était ferme, nette. C’est une sacrée femme, Félicie. Pas du tout le genre mauviette. Je suis certain qu’elle leur en impose par son calme et sa dignité.

— T’as des projets ? demande le Gros en se versant un nième godet de rouquin.

J’opine.

— C’est au bureau de poste des Champ’s que nous devons usiner, Gros. Seulement ces foies-blancs m’ont à l’œil. S’ils me voient draguer là-bas sans que j’y dépose les plans, ils comprendront que je cherche à les biaiser en canard.

Je mords dans un pilon de canard précisément. Les bonnes recettes de tante Berthe ! Tome douze, chapitre seize !

— Qu’est-ce que tu mijotes, pour le bureau de poste, une souricière ?

— Impossible. Ces tantes ont raison : trop de gens usent des taxiphones. On ne peut filer tous ceux qui pénétreront dans la cabine 14…

— Alors ?

— Alors on va s’y prendre autrement. Le bureau de poste ferme tard, mais il ferme. Cette nuit, nous préparerons un petit dispositif spécial dans la cabine 14…

— Quoi ?

Je bois un vieux coup.

— La personne qui nous intéressera sera celle qui se saisira de l’enveloppe cachée derrière le taxiphone. J’irai donc déposer un pli bidon. Seulement je demanderai au labo de brancher dans la cabine un signal qui se déclenchera lorsqu’on touchera à l’enveloppe. Quelque chose dans le genre lampe rouge qui s’éclaire. Tu piges ?

— Bravo, c’est royalement imaginé, bafouille le merlan.

— Toi, Béru, tu t’achèteras une blouse grise et tu t’installeras à un guichet du bureau de poste. Lorsque la lampe s’allumera, tu fileras le quidam, compris ?

— Fais confiance, je suis doué pour la filature, gronde Béru en décochant à son coéquipier un regard lourd de sous-entendus.

CHAPITRE IV

Comme je franchis le seuil de la French Chicken House Corporation, Société furieusement anonyme, au capital indexé, dispensée de l’impôt cellulaire, je suis z’hélé par le sous-brigadier Pardevans qui, arrivant par-derrière, me frappe respectueusement l’épaule par-dessus.

— J’suis bien n’aise de vous voir, m’sieur le commissaire. Le patron vous réclame à corps z’et à crie. On a essayé de téléphoner chez vous, mais ça ne répondait pas…

Je remercie Pardevans et je m’esquive par côté en plongeant dans le vieil ascenseur hydraulique qui hisse quotidiennement des chargements de poultoks paresseux vers des étages où flottent des relents de tabac et de passages à tabac.

Débarquement chez le Vieux. Sa frime m’épouvante : je ne lui ai jamais vu une bouille pareille, même dans mes cauchemars.

Il est d’un blanc tirant légèrement sur le vert, avec sur la coquille des reflets moirés. Ses lèvres déjà minces comme celles d’un tronc pour le soutien de l’école laïque ressemblent à un coup de rasoir. Quant à son regard, il dégage autant de chaleur qu’un pain de glace dans un wagon frigorifique traversant l’Alaska.

Pas besoin d’être grand clerc (même les clercs de deux maîtres gradués en droit peuvent s’abstenir) pour comprendre qu’il y a du mou dans la corde à nœud.

Pourvu que le Vieux ne me colle pas sur une enquête urgente ! Je serais obligé, en ce cas, de lui cloquer ma démission car mon enquête personnelle prime tout.

— Vous voulez me voir, patron ?

Il me désigne un fauteuil pivotant, comme s’il s’agissait de la chaise électrique. J’y hasarde un dargif prudent. Je remarque l’extrême nervosité de ses doigts, il en fait des huit, des nœuds, des arabesques.

— Oui, San-Antonio, je voulais vous voir…

Il soulève son sous-main en cuir repoussé et cueille une enveloppe en papier kraft. Je la reconnais, c’est elle qui contient les documents ramenés de Barcelone et si furieusement convoités.

— Tenez…

— Qu’est-ce qu’il y a, patron ? croassé-je, car j’ai été élevé chez les Frères.

— Regardez !

J’ouvre l’enveloppe et j’en retire une liasse de feuillets. J’examine ceux-ci : ils sont rigoureusement blancs. Du coup, une flambée de raison me monte à la vitrine.

— Je ne comprends pas, chef, barris-je, car j’ai intimement connu un cornac autrefois.

— Regrettable, fulmine le dabuche, moi qui comptais précisément sur vous pour m’expliquer…

C’est l’effarement des grandes circonstances. Dans mon bulbe dont l’efficacité est cependant reconnue, on joue « Mystère et boule de gomme  » en version originale, sous-titres papous.

— Vous voulez dire que l’enveloppe que vous ont remise Mathias et Pinaud ne contenait que ces feuilles blanches ?

— Exactement.

— Mais, mais, bêlé-je, ce qui s’explique par le fait que j’ai mangé du gigot.

— Mais quoi ? tranche le Vieux avec son coupe-papier.

— Je suis absolument certain d’avoir récupéré les vrais plans à Barcelone. Je les ai prélevés sur l’agent turc dans une chambre de l’hôtel Arycasa. Je les ai vérifiés et je ne vois guère comment… Ils étaient dans la poche intérieure de mon veston. J’avais même pris la précaution de les fixer à ma veste au moyen de deux épingles de sûreté et je ne me suis pas dévêtu avant d’arriver chez moi.

— Les faits sont pourtant là ! affirme le boss.

Il ne se réchauffe pas. J’ai beau lui distribuer des regards éplorés, ça le laisse aussi froid que le Mont-Blanc en hiver.

Un silence pénible s’appesantit sur ma hure.

Le vieux le rompt sans effort.

— Je préfère vous laisser élucider ce mystère, mon cher. J’insiste sur l’urgence de… la chose. Lorsque vous m’avez téléphoné de Barcelone que votre mission avait réussi, j’ai aussitôt, me fiant à votre parole, averti M. le ministre de ce… heu… soi-disant succès !

La vache ! Il a de ces mots qui font mal. Je me lève.

— Il ne m’est pas possible de vous donner des ordres plus précis, non plus que des conseils, San-Antonio. Tout ce que je puis vous dire, c’est qu’il me faut ces plans de toute urgence.

Il hésite et condescend pourtant à me tendre la main. Je lui en presse cinq, sans enthousiasme. Il a les mains froides comme celles d’un serpent, dirait Ponson du Terrail.

Le mecton qui sort de son bureau est plus délavé que la vitrine d’un marchand de parapluies brestois.

Renonçant à l’ascenseur car je suis pressé, je dévale jusqu’à mon bureau.

J’y découvre le très honorable Pinuchet à quatre pattes sur le plancher ; fort occupé, m’explique-t-il, à chercher un bouton de sa braguette qui vient d’y rouler. Cette perte l’afflige d’autant plus que ce bouton était le dernier.

— Si je sors comme ça, lamente le digne homme, je vais me faire lyncher pour attentat à la pudeur…

Je le rassure.

— Pour attenter à la pudeur, il faut une cause précise au délit ; en ce qui te concerne, t’es paré. Ce n’est pas avec un lointain souvenir qu’on offusque ses contemporains.