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Il souhaitait presque que Benedict Howards lui réponde d’aller se faire voir, le pousse dans l’abîme inconnu. Il était un junkie affamé de pouvoir qui allait avaler une double ration, et qui sait ce qui l’attendait au bout du voyage ? Mince, Bennie, se dit-il, tu aurais intérêt à jouer la bonne carte !

— Regardez-moi, Barron, articula finalement Howards. Que voyez-vous ?

— Écoutez, nous n’allons pas…, commença à répliquer Barron, qui s’arrêta net quand il aperçut l’étrange lueur qui s’était glissée comme un chancre dans le regard de camé de Benedict Howards.

— Oui, Barron, regardez bien. Vous voyez un homme dans sa cinquantaine, assez bien conservé, n’est-ce pas ? Regardez maintenant dans dix ans, dans vingt ans, un siècle, un million d’années, et qu’est-ce que vous verrez ? Un homme dans sa cinquantaine, assez bien conservé, voilà ce que vous verrez. Un siècle… un million d’années… l’éternité, Barron. L’éternité.

« Je ne suis pas seulement un homme, je suis quelque chose de plus. Vous l’avez dit vous-même, Barron, quatre milliards de dollars de budget annuel, c’est beaucoup pour n’avoir aucun résultat. Eh bien, mes savants ont fini par trouver, et le résultat vous êtes en train de le contempler. Je suis immortel, Barron. Immortel ! Savez-vous ce que cela signifie ? Je ne vieillirai jamais, je ne mourrai jamais. Pouvez-vous imaginer ça ? Se lever le matin et se dire que l’air qu’on respire, on le respirera chaque matin pendant un million d’années, peut-être plus, peut-être l’éternité… comme les médecins me l’ont dit avec un certain humour, ils ne pourront savoir si je vivrai éternellement que lorsque j’aurai vécu éternellement. Ils ne disposent pas d’assez de données, voyez-vous ? Mais Benedict Howards va leur fournir toutes les données, en vivant éternellement… Vous voyez contre qui vous voulez vous dresser, Barron ? Un immortel… presque un dieu ! Pensez-vous que je laisserais quoi que ce soit s’interposer entre ça et moi ?

— N… non, murmura Barron, car le regard d’Howards lui disait en lettres éclatantes d’un kilomètre de haut que c’était la vérité. La vérité !

L’immortalité, pensa-t-il. Même le mot semble irréel. L’éternité ! Vivre pour l’éternité. Ne jamais mourir, être jeune et fort pendant un million d’années… cela explique le comportement de Bennie, pour avoir ce qu’il a n’importe qui serait prêt à… Et dire que ce tas de merde ambulant a l’immortalité ! Il continuera à puer, il rira un million d’années, l’enculé, pendant que moi je pourrirai sous terre…

— Je vais vous acheter, Barron, dit Howards en ouvrant sa mallette. Jusqu’à la semelle de vos souliers, et tout de suite. (Il fit glisser sur le bureau dans la direction de Barron un nouveau contrat en trois exemplaires :) Voici un nouveau type de contrat, dit-il. Le premier du genre. Il est identique à celui de tout à l’heure à l’exception d’un détail – il comporte une clause qui vous donne le droit de bénéficier au moment que vous choisirez de tout traitement d’immortalité découvert par la Fondation. Et ce traitement, nous l’avons déjà. L’éternité, Barron ; l’éternité. Vous me donnez deux ou trois malheureuses années de votre existence pour faire passer mon projet de loi, me faire élire Président et… réparer quelques petites choses, et en échange je vous donne le million d’années qui viennent. Croyez-en le seul homme au monde qui en ait vraiment l’expérience. Barron ; huit ans, ce n’est absolument rien, même pas le temps d’un clin d’œil, vu de l’endroit où je suis. Où vous pourriez être…

— Qui croyez-vous être, Howards, le Diable ?

Et au moment même où Barron les disait, ces mots l’emplirent d’une frayeur mortelle qu’il ne se serait jamais cru capable d’éprouver. Drôle de mot, se dit-il, le Diable. Un gros chat avec une longue queue fourchue, qui connaît le secret de chacun et le prix de chacun et peut vous satisfaire quoi que vous lui demandiez, en échange d’une chose appelée votre âme. Votre âme immortelle, censée être ce que vous avez de plus précieux. Celle qui vous permet de vivre jeune et fort au paradis pendant l’éternité – le paiement que reçoit le Diable est la rétribution que donne Howards. Le Diable est un amateur à côté d’Howards. Méfie-toi, Satan, la Fondation est capable de t’évincer du marché !

— Je retire ce que j’ai dit, Howards, reprit Barron. Comparé à vous le Diable est un pauvre paumé. Je signe à l’encre ? Ou de mon sang ? J’aurai plusieurs exemplaires que je pourrai mettre à l’abri ? Ni annulables ni exorcisables ?

— Mille exemplaires si vous voulez, Barron. Un contrat en béton armé que moi-même je ne pourrai pas briser. Tout ce que vous avez à faire, c’est d’apposer votre signature.

Sara ! pensa soudain Barron.

— Et Sara ? fit-il à haute voix. Ma femme, le même contrat à son nom aussi ?

Benedict Howards eut un sourire qui sentait le soufre :

— Pourquoi pas ? Après tout, je peux être généreux. Le secret de ma réussite, en fait, Barron, c’est que je peux me permettre à peu près n’importe quoi. Je suis en mesure de détruire un ennemi aussi bien que d’acheter qui je veux en lui donnant ce qu’il demande, y compris – s’il vise aussi haut et s’il en vaut la peine – la vie éternelle. Allons, Barron, nous savons tous les deux que vous allez le faire. Signez à l’endroit indiqué.

Barron prit les contrats entre ses doigts ; son regard se posa sur le stylo qui était devant lui. Il a raison, se dit-il. L’immortalité, avec Sara, l’éternité, je serais un idiot de ne pas signer. Il saisit le stylo, et son regard rencontra celui d’Howards. Il vit les yeux avides et fous, semblables à ceux de quelque monstrueux crapaud. Mais derrière la folie du regard, il lut la peur – une peur aussi nue que sa mégalomanie, une peur farouche et imprévisible qui nourrissait sa folie et la fortifiait. Il comprit que dans toutes ses actions était tapie la peur. Et Benedict Howards avait peur de lui.

Il y a quelque chose de pourri au Colorado, se dit Barron. Sûr et certain. Avec ça dans la poche et cinquante milliards de dollars, Bennie peut acheter pratiquement qui il veut. Alors, pourquoi faut-il que ce soit moi qui l’aide à faire passer son putain de projet de loi quand il peut mettre dans sa poche le Congrès, le Président et la Cour suprême ? Et ce n’est pas de la blague, il a besoin de moi, il n’y a qu’à le lire dans ses yeux ! Il a besoin de moi pour l’aider à combattre ce qui lui fait si peur. Et qu’est-ce que je suis, moi, dans tout ça ? Une sorte de sacrifice propitiatoire ?

— Avant de signer, dit-il (admettant implicitement qu’il allait le faire), pourriez-vous m’expliquer en quoi, avec l’arme dont vous disposez, vous pensez avoir besoin de moi ?

— J’ai besoin du soutien de l’opinion publique, fit Howards avec un air de conviction intense. C’est la seule chose que je ne puisse acheter directement. J’ai besoin de vous pour vendre l’immortalité à votre foutu public.

— Vendre l’immortalité ? Vous êtes fou ? C’est comme si vous faisiez de la publicité pour vendre de l’argent.

— Précisément. Voyez-vous, le traitement pour l’immortalité existe, mais il est… il est extrêmement coûteux. Nous pourrons sans doute traiter mille personnes par an, à environ deux cent cinquante mille dollars par tête, mais c’est tout, et ça restera ainsi pendant des années, des décades, toujours, peut-être. Voilà ce que vous aurez à vendre, Barron – non pas l’immortalité pour tout le monde mais l’immortalité pour quelques-uns… quelques-uns que je choisirai moi-même.