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La réaction immédiate de Barron fut une sensation de dégoût – pour Howards comme pour lui-même – et il éprouva en même temps une sorte de soulagement à l’idée que toutes les questions avaient eu leur réponse et que le jeu en valait la chandelle. Mais sa troisième réaction fut un mouvement de défiance. L’enjeu était le plus gros qui fût, plus dangereux que la bombe H. Se laisser entraîner là-dedans ?

— Ce traitement, dit-il, en quoi consiste-t-il ?

— Ça ne vous regarde pas, et ceci est définitif. C’est un secret de la Fondation et ça le restera quoi qu’il arrive, lui dit Howards, et Barron eut la certitude qu’il venait de toucher le fond, que Howards ne ferait pas une seule concession de plus. Si… si cela devait être divulgué…, grommela ce dernier, avant de s’apercevoir que Barron l’écoutait et de s’arrêter net.

Mais on ne la fait pas à Jack Barron, Bennie ! Merde, il admet que son immortalité sera réservée à un tout petit nombre, et il croit que je suis capable de faire avaler la pilule au public, mais il a peur qu’on sache en quoi consiste le traitement. Ça doit être un sacré traitement ! C’est cela qui le terrifie, et pour que quelque chose terrifie Bennie… Qu’est-ce que ça peut bien être ? On finit transformé en vampire de Transylvanie ? Peut-être que ce n’est pas si rigolo que ça en a l’air. L’immortalité, d’accord, mais dans quoi veut-il m’engager ? Bah… que peut-il y avoir de si terrible à faire qui ne vaille l’immortalité à la clé ?

— J’ai besoin de réfléchir, Howards. Comme vous le voyez…

— Jack Barron se dégonfle ? railla Howards. Je vais vous laisser réfléchir. Je vais vous laisser réfléchir vingt-quatre heures, pas une minute de plus. J’en ai assez de discuter. À partir de maintenant, les seuls mots de vous que j’accepterai d’écouter seront oui ou non.

Et Jack Barron sut que les jeux étaient faits, que le temps des négociations était terminé. Mais il n’avait aucune idée de ce que sa réponse allait bien pouvoir être.

10

Le carillon du vidphone se fit entendre à nouveau, Nu-pieds, Sara Westerfeld marcha jusqu’au combiné mural, hésita, la main sur l’appareil, et laissa mourir l’appel sans répondre.

Difficile de me sentir entièrement chez moi, pensa-t-elle. Est-ce que Jack aimerait que je décroche ? Qui sait, ça pourrait être encore cette histoire d’investiture… ou même Benedict Howards. (Non, Jack est censé discuter avec lui en ce moment même.)

La vérité, c’est que je n’arrive pas à me remettre dans la peau de Sara Barron. Sara Barron n’hésiterait pas à répondre en l’absence de Jack, parce qu’elle saurait qui elle est, où elle est, serait capable de réagir dans n’importe quelle situation. Tandis que Sara Westerfeld est une créature du passé évoluant dans l’univers présent de Jack sans en connaître la nature ni le contour, sans savoir si le moment venu elle voudra ou pourra accomplir le grand saut qui la fera redevenir Sara Barron.

C’était un peu trop facile, se dit-elle, de laisser Howards me catapulter comme une putain de luxe dans les bras de quelqu’un que je croyais haïr. Le risque était mince – ou bien je ramenais à la surface le Jack Barron que j’aimais jadis, ou bien je m’éloignais sans regrets d’un baisse-froc qui n’avait plus rien à me donner.

Mais comment pouvais-je prévoir que j’aurais tout de suite en face de moi le vrai Barron de Berkeley, occupé à faire devenir réels nos vieux rêves au-delà de nos espérances, occupé à détruire Howards, l’homme-reptile, et à devenir Président des États-Unis pour la Justice sociale ? Ce Jack-là ne me haïrait-il pas à son tour, de savoir que je l’ai méconnu au point de me servir de lui pour nous obtenir une place dans un Hibernateur, au point de marchander avec l’homme-reptile pour pouvoir, moi, le faire devenir de force ce qu’il était déjà depuis longtemps ? Et si Jack est réellement engagé dans une sale combine avec Howards, est-ce que je ne lui fais pas du tort s’il apprend que l’homme-reptile a pu m’acheter et se servir de moi ? Se pourrait-il… se pourrait-il que Howards ait tablé là-dessus, qu’il désire que je raconte tout à Jack et que ce soit là son arme secrète ?

Mais si la partie n’est pas encore jouée… si ni Jack ni Howards n’ont l’avantage et que Jack soit sur le point de devenir ou le champion de Berkeley ou le plus grand baisse-froc de tous les temps, alors ne vaut-il pas mieux tout lui dire ? C’est à moi de choisir…

Le dilemme cruel était lourd à porter ; choix existentiel où les lignes du temps passé et futur s’opposaient en un équilibre mortel. Choix de femme, se dit-elle, alors qu’elle avait du mal à ne pas réagir en petite fille désemparée dans un univers masculin plus grand que la réalité.

Le carillon du vidphone retentit une nouvelle fois.

Et si c’était Jack ? Cela expliquerait les appels répétés ; n’importe qui se dirait qu’il n’y a personne, mais Jack sait que je suis ici et que je finirai par comprendre que c’est lui qui ne fait que sonner…

Irritée d’être incapable de prendre une aussi infime décision, elle se força à aller jusqu’à l’appareil et à établir la communication.

Et sombra dans un abîme de regret et de terreur glacée lorsqu’elle vit se former sur l’écran le visage aux yeux de belette de Benedict Howards.

— Il était temps que vous vous décidiez, dit-il. J’essaie de vous avoir depuis une demi-heure. Qu’est-ce que vous fabriquez ?

— C’est… c’est moi que vous appelez ? bredouilla Sara, qui sentait les anneaux glacés du serpent se refermer sur elle.

— Et qui d’autre ? Puisque je viens de voir Barron en personne. Avez-vous oublié que nous sommes… associés ? Maintenant, écoutez-moi bien. Barron va bientôt rentrer. Je lui ai fait une proposition finale, et il a environ vingt-trois heures pour l’accepter. Ce qui signifie que vous disposez du même temps pour accomplir votre part du marché, et vous réserver une place dans un Hibernateur. Dès qu’il sera là, commencez à le travailler, et tâchez d’être convaincante.

Entre la peur de perdre celui qu’elle avait retrouvé et la peur d’affronter l’homme-reptile, Sara choisit la moindre et dit en relevant moralement la tête :

— Tout cela ne m’intéresse plus maintenant. J’ai Jack, et c’est la seule chose qui compte pour moi. Vous nous avez réunis pour vos ignobles raisons, mais vous n’aviez pas compris que nous nous aimons toujours, que nous nous sommes toujours aimés et que rien d’autre n’existe à nos yeux.

— À votre guise, miss Westerfeld, mais n’oubliez pas que je n’ai qu’à dire à Barron ce que vous êtes, une putain qui travaille pour moi, et où est votre grand amour ?

— Jack comprendra…

— Vous croyez ? Qui écoutera-t-il ? Vous ou moi ? Après ce que je lui ai offert, c’est moi qu’il préférera croire.

— Vous vous croyez très fort, mais vous ne savez pas ce que c’est que l’amour. C’est plus que vous ne pourrez jamais payer pour acheter quiconque.

Howards lui lança un regard sournois, et elle comprit qu’il avait anticipé chacune de ses réactions.

— Peut-être, dit-il. Mais il y a quelque chose de plus fort que n’importe quel amour… mortel, et c’est l’amour immortel. Barron vous aime, n’est-ce pas ? Est-ce qu’un homme qui vous aime accepterait de vous laisser mourir alors qu’il pourrait vous faire le plus beau cadeau qu’un homme puisse faire à une femme, le plus beau qu’il puisse se faire à lui-même ?