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Barron le regarda un long moment sans que sa physionomie exprimât la moindre émotion. Pas un muscle de son visage ne bougea, mais un imperceptible changement s’opéra dans son regard et Howards, fort d’une longue expérience au contact de gros manitous plus coriaces, sut qu’il avait gagné avant même d’entendre sa réponse.

— D’accord, Howards. Marché conclu. (Et Barron signa les trois exemplaires du contrat.)

— Voilà qui est raisonnable, fit Howards. Maintenant, faites signer Sara Westerfeld et je vous conduis ce soir même au complexe d’Hibernation du Colorado dans mon avion personnel pour y subir le traitement. Vous économisez un billet d’avion, et je vous montrerai que même les questions de détail ne traînent pas quand on a affaire à Benedict Howards !

Barron esquissa un sourire sardonique que Howards fut incapable de déchiffrer, et il en conçut un début de panique. Qu’est-ce qu’il peut encore préparer ? se dit-il. Mais ne nous affolons pas, une fois qu’il aura subi le traitement il aura pieds et poings liés comme n’importe qui d’autre.

— Hé, Sara ! hurla Barron. Viens ici, nous avons quelque chose à te faire signer.

Il sourit si suavement lorsqu’une porte s’ouvrit et que Sara, le visage sans expression, traversa lentement le living jusqu’à eux, que Howards redouta pour de bon de voir lui échapper le contrôle de la situation. Il avait l’impression insensée que Barron se fichait de lui – cette folle a-t-elle été capable de tout lui raconter ? Il vit que Barron tenait serrés entre ses doigts les six contrats… comme s’il allait les déchirer, tout remettre en question… Que sait-il, exactement ? Que lui a dit cette stupide garce ?

Trônant sur sa selle de chameau comme un marchand d’esclaves d’Arabie Saoudite, Jack Barron ne cessait de retourner les contrats dans ses mains, comme s’il jouait avec la tête de Howards. Sara s’approcha d’eux, lançant à ce dernier un regard d’indifférence étudiée, puis se tourna vers Jack Barron avec une lueur de vénération écœurante dans les yeux, comme pour bien montrer à Howards que si elle était la putain de quelqu’un, ce quelqu’un était Jack Barron et personne d’autre. Que lui a-t-elle dit ? se demanda à nouveau Howards en luttant désespérément pour ne rien laisser paraître sur son visage. Sera-t-elle intelligente pour ne pas parler maintenant ?

Barron la regarda, inclinant légèrement la tête en avant pour capter des ombres denses dans le creux de ses yeux, comme il faisait à la télévision, se dit Howards, pour impressionner les gogos, mais il n’en avait pas moins l’impression très désagréable qu’il lisait en lui comme à livre ouvert. Ce conard pourrait être dangereux, beaucoup plus dangereux que je ne le croyais. Il est très fort, et il est complètement sonné. Ce qui donne un mélange explosif, à moins que je ne l’achète des pieds à la tête. Il faut absolument qu’il prenne l’avion avec moi et qu’il subisse le traitement ce soir !

Jack Barron émit un rire sonore qui ne fit qu’accroître la tension et déclara :

— Ne soyez pas si nerveux, Bennie. Sara est au courant de tout. Je ne lui cache rien… (Il marqua un instant de pause – ou est-ce un effet de mon imagination ? se demanda Howards – détachant chaque mot à son bénéfice ou celui de Sara ?) : Nous n’avons pas de secret l’un pour l’autre.

Il tendit à Sara Westerfeld les trois exemplaires du contrat et le stylo :

— Signe, dit-il. Tu sais ce qu’il y a dans le contrat, n’est-ce pas ?

Sara Westerfeld regarda Benedict Howards dans les yeux et signa, avec un sourire qui pouvait être aussi bien interprété comme une reconnaissance du pacte qu’ils avaient conclu que comme une marque de connivence entre Barron et elle. Elle répondit :

— Je le sais très bien. Jack m’a tout raconté, monsieur Howards. L’immortalité. Comme il vient de vous le dire, nous n’avons aucun secret l’un pour l’autre.

Cette folle garce, elle se fiche de moi ? Mais ça ne fait rien, pensa Howards tandis que Sara redonnait les contrats à Barron qui les mit en ordre et lui passa un exemplaire de chaque. Deux contrats en bonne et due forme. Je les tiens maintenant, noir sur blanc, dans le creux de ma main, et avant ta prochaine émission, pauvre conard, ce sera écrit avec du sang sur de la chair, la tienne et la sienne, et alors peu importe que tu saches ou pas comment je me suis servi d’elle. Elle a fait son travail d’une façon ou d’une autre, et c’est la seule chose qui compte. Jack Barron m’appartient désormais jusqu’au bout de ses ongles.

Howards rangea soigneusement les contrats dans sa mallette.

— Bon, dit-il. Je suppose que je peux parler librement devant elle. (C’est le moment de montrer le bout du bâton, et il n’est pas mauvais qu’elle voit dès le début qui va être le maître. Qu’est-ce que tu dis de ça, Barron de mon cœur ?) Vers 19 heures, une voiture viendra vous prendre pour vous conduire à l’aéroport. Nous aurons tout le temps dans l’avion pour mettre au point votre prochaine émission.

« Je pense que la première chose à faire sera de récupérer les voix que vous m’avez fait perdre au Congrès avec votre grande gueule. Vous montrerez une victime d’une de ces compagnies d’Hibernation à la noix, par exemple le parent d’un pauvre type qui a signé avec eux et que la compagnie a laissé pourrir quand elle a fait faillite. Ne vous inquiétez pas, je trouverai bien quelqu’un d’ici mercredi, et si je n’arrive pas nous prendrons un acteur pour tenir le rôle. Ensuite vous mettrez sur la sellette un ou deux de ces charlatans – j’en ai toute une liste – pour montrer à quel point ils se sont moqués du public. Vous saisissez le topo ? Seule la Fondation est capable d’offrir toutes les garanties, et dans l’intérêt général le Congrès doit voter…

— Une seconde, Howards, interrompit Barron. Pour commencer, vous n’avez pas à m’expliquer comment je dois faire mon métier. Ça puerait le coup monté à des kilomètres si je retournais ma veste après les deux dernières émissions consacrées à la Fondation. Il faut d’abord laisser les choses se refroidir un peu. Je ferai deux ou trois émissions qui n’auront rien à voir avec la Fondation, histoire de laisser se calmer les esprits. Puis, dans trois ou quatre semaines, je passerai pendant une dizaine de minutes une victime de vos soi-disant concurrents à la fin de l’émission, et cela préparera le terrain pour la semaine d’après où nous nous occuperons de vos charlatans. N’oubliez pas que Bug Jack Barron est censé être indépendant, spontané et contrôlé par les téléspectateurs. Si vous voulez que je vous serve à quelque chose, il faut préserver les apparences.

— Comme vous dites, c’est votre métier, acquiesça Howards.

Le salaud va vraiment m’être utile, pensa-t-il. Il connaît son affaire et il a raison, il faut se montrer subtil. Le mieux est de lui donner carte blanche, de lui dire ce qu’il faut faire et de le laisser agir. Après tout, c’est le genre de larbin le plus efficace, celui qui est capable d’exécuter vos ordres beaucoup mieux que vous ne sauriez le faire, le spécialiste qu’on remonte comme une mécanique et qu’on regarde faire.

— Je vous laisserai agir, Barron. La seule chose qui compte pour moi, c’est le résultat. (Benedict Howards se leva, avec l’impression d’avoir accompli une bonne journée de travail.) La voiture passera vous prendre à 19 heures, et d’ici à deux jours vous aurez touché votre dû. Pensez-y, chaque matin vous vous lèverez pendant un million…

— Pas si vite, dit Jack Barron. Nous attendrons un peu avant de nous soumettre au traitement, histoire de voir venir. Nous sommes jeunes, rien ne presse, et selon les termes du contrat nous pouvons faire jouer la clause d’immortalité au moment de notre choix.