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— Je pense que je l’ai mérité…

— Non, Sara, dit Barron, et il l’attira asexuellement à lui, la serrant très fort dans ses bras, absorbant sa chaleur humaine en espérant qu’elle faisait de même avec lui, car dieu sait si elle en a besoin si j’en ai besoin moi-même si nous avons tous besoin d’un peu de réalité humaine quand un monstre comme Benedict Howards se promène en liberté de par le monde fourguant sa fichue camelote de merde.

« Tu m’as touché à un endroit sensible, c’est tout. Ce courage dont tu parles… ce n’est encore qu’un mot…

Le courage, pensa-t-il. Tu parles comme c’est facile quand on a vingt ans et qu’on est un Bébé Bolchevique et qu’on sait qu’on n’a rien à perdre. Mais avec cette crèche à entretenir, avec quatre cent mille dollars par an, l’immortalité et dieu sait quoi encore dans la balance… abandonner tout ça pour des mots, rien que des putains de mots, et pour deux cent trente millions de pauvres paumés qui ne lèveraient pas le petit doigt pour Jack Barron ? Sacrifier ma vie immortelle et risquer de me faire écrabouiller par Howards seulement pour avoir une médaille en fer-blanc et des funérailles de première classe. Tu m’en demandes trop, Sara ; je ne suis pas un héros, mais un type à qui le destin a joué un tour. Tout ce que je peux essayer de faire, c’est de me retirer du jeu en emportant le maximum et sans faire trop de mal à personne.

— Je peux te promettre une seule chose, Sara, dit-il. Je n’ai pas l’intention de faire le jeu de Bennie ni de quelqu’un d’autre que moi. Nous aurons l’immortalité, sans y laisser des plumes – c’est la première condition à remplir. Mais si l’occasion se présente de me farcir Howards au passage, je n’hésiterai pas. Tu peux me croire, Sara ! Je déteste encore plus que toi cet enculé – non seulement il essaie de se servir de moi, mais il a le culot de t’utiliser toi aussi ! Nous réussirons, tu verras, et tant mieux si nous avons sa peau en prime, mais en prime, c’est tout.

— Jack…

Il perçut à nouveau la chaleur qui était dans sa voix, avec la même pointe de détermination têtue de Bébés Bolcheviques en folie, mais curieusement se laissa attendrir et s’émut à l’idée que sa petite femme au cœur pur et aux idéaux dictés par sa motte avait besoin de protection et que ce n’était pas sa faute si elle vivait dans un monde absurde où les tigres font la loi.

— Tu veux savoir ? dit-il, sentant se rétablir peu à peu les circuits entre sa tête et son corps au contact de la chaude réalité féminine blottie contre lui. D’ici un instant, je crois que je vais te baiser comme jamais de ta vie tu ne l’as été. Parce que, quels que soient tes torts ou tes qualités, à l’intérieur, tu es bonne, Sara, et tu l’as bien gagné. Moi aussi je l’ai bien gagné.

Dongdingdongding… dong ! dong ! dong !

— Ouohhh…, grogna Jack Barron en se réveillant tout désorienté dans l’obscurité, un poids sur la poitrine. Qu’est-ce que c’est que…

Dong ! Dong ! Dong !

Fichu vidphone. Il se redressa à demi contre la boiserie circulaire, faisant glisser la tête de Sara toujours endormie, et décrocha pour arrêter le carillon qui faisait vibrer douloureusement ses tympans. Quelle heure peut-il bien être ? se demanda-t-il, essayant de secouer son esprit embrumé de sommeil. Quel est l’abruti qui s’est mis dans l’idée de me réveiller au milieu de la nuit ?

Tout en grommelant, il posa en tâtonnant le vidphone à côté de lui sur le lit, régla le volume à son minimum et lorgna d’un regard morose le visage grisâtre qui apparaissait sur l’écran, lugubre et phosphorescent dans le noir : c’était celui d’un homme aux cheveux bruns, longs, au visage fin et osseux. (Cette tête de conard qui m’appelle au milieu de la nuit ne m’est pas inconnue, mais comment a-t-il fait pour se procurer mon numéro privé ?)

— Salut, Jack, fit une voix ténue tandis que Barron essayait vaguement de mettre un nom sur ce visage. (Je connais ce type, mais qui diable peut-il être ?) Brad Donner. Tu te souviens ? disait l’image du vidphone.

Donner…, pensa Barron. Berkeley ou Los Angeles ou un endroit perdu de vue depuis des années, devait appartenir dans le temps aux Bébés Bolcheviques… oui, c’était à Los Angeles, juste avant que j’aie l’émission, un ami de Harold Spence. Un morveux d’avocat qui répétait tout le temps qu’il se présenterait au Congrès ou je ne sais pas quoi… Bordel, il suffit que je parle une fois dans ma vie à un abruti quelconque pour qu’il se croie permis de m’emmerder dans mon lit à n’importe quelle…

— Savez-vous l’heure qu’il est, Donner ? aboya Barron, qui baissa aussitôt la voix en se rappelant Sara qui dormait contre lui (et quelle nuit, mes aïeux, on peut dire que je suis claqué !). Parce que moi je n’en suis pas sûr, mais il doit être au moins quatre ou cinq heures du matin. Où avez-vous appris les bonnes manières ? Dans la Gestapo ?

— Je sais, Jack, fit Donner. (Arrête de m’appeler Jack, sale bâtard de lécheur !) Je suis désolé de t’avoir réveillé, mais il fallait que je te parle sur-le-champ. J’ai eu ton numéro par Spence, de Los Angeles. Tu te souviens, Harry, c’était ton grand copain à l’époque ?

— Personne n’est mon copain à cette heure-ci, dit Barron. Si c’est pour me demander un service, vous choisissez drôlement mal votre moment, Donner.

— Il ne s’agit pas de ça, Jack. Je travaille ici à Washington depuis trois ans comme conseiller aux Relations publiques de Ted Hennering. Ou plutôt, je travaillais pour lui jusqu’à ce qu’il soit tué…

— Félicitations, Donner, grogna Barron.

Ouais, se dit-il. Ça colle qu’un crétin dans son genre, avec ses idées C.J.S. à la con, ait fini par travailler pour un vendu comme Hennering. Mais maintenant que son patron est mort, je suis censé lui trouver un autre boulot – à quatre heures du matin ? Jésus…

— Je viens d’être réveillé moi-même, expliqua Donner, par la veuve de Ted, Madge. Elle est à bout de nerfs, Jack, elle vit dans la terreur depuis que Ted est mort. Elle est venue me réveiller tout à l’heure en disant qu’il fallait absolument qu’elle te parle, et tu devrais l’écouter, après le savon que tu viens de passer à Benedict Howards. Madame Hennering ?

Le visage de Donner fut remplacé par celui d’une femme d’une cinquantaine d’années, sans doute respectable et énergique jadis, mais qui présentement n’offrait aux regards qu’une mine échevelée, des lèvres austères tremblantes et des yeux apeurés qui semblaient se tourner vers le ciel sur le petit écran du vidphone. Qu’est-ce que c’est que cette histoire ? se demanda Barron, maintenant tout à fait éveillé. Madge Hennering ?

— Monsieur Barron…, fit-elle d’une voix qui semblait plus faite pour une froideur aristocratique que pour la note d’hystérie dont elle était chargée. Enfin ! Dieu soit loué ! Je ne savais plus où me tourner, à qui m’adresser, où aller, à qui faire confiance après… après ce qui est arrivé à Ted, et lorsque j’ai vu la façon dont vous parliez à Howards, à votre dernière émission, j’ai compris que vous étiez le seul homme à qui je puisse véritablement me fier, le seul dont je sois sûre qu’il n’était pas mêlé à cet assassinat. Vous m’aiderez, monsieur Barron ? Dites, vous me croirez ? Vous ferez savoir au pays comment mon mari a été tué…

— Calmez-vous, madame Hennering, fit Barron d’une voix apaisante, en s’insérant quasi automatiquement dans l’atmosphère de froide coordination de Bug Jack Barron. Je sais ce que vous devez éprouver après ce terrible accident, mais il faut essayer de vous…