Выбрать главу

— Accident ! s’écria Madge Hennering d’une voix aiguë qui faillit réveiller Sara. Ce n’est pas un accident. Mon mari a été assassiné. J’en suis certaine. Il devait y avoir une bombe dans l’avion. Benedict Howards l’a fait tuer !

— Hein ? grogna Barron. (Elle déraille, c’est sûr, pensa-t-il. Hennering était vendu corps et âme à Howards. C’est Howards le plus grand perdant depuis qu’il est mort. Elle est complètement détraquée, cette pauvre vieille. À quatre heures du matin, il faut que je joue au psychiatre ?) Ne pensez-vous pas que cette histoire concerne plutôt la police ? demanda-t-il. À supposer, naturellement, qu’elle soit vraie. (Tu commences à me les casser, ma belle.)

— Mais je ne puis aller trouver la police, dit-elle. Il n’y a aucune preuve. Howards a pris ses précautions. Il ne reste plus rien de l’avion de Ted… plus rien… (Elle se mit à sangloter, puis avec un effort que Barron ne put s’empêcher d’admirer, serra les mâchoires et reprit d’une voix glacée :) Pardonnez-moi, monsieur Barron. Il se trouve que je suis l’unique témoin, et je ne possède aucune preuve suffisante. Je ne savais pas à qui m’adresser…

— Écoutez, fit Barron d’une voix lasse. Ce n’est pas le moment de parler politique, mais Howards n’avait pas la moindre raison de tuer votre mari, madame Hennering. Votre mari soutenait le projet de loi d’Hibernation, et ce n’est un secret pour personne que Howards voulait le faire élire Président. En d’autres termes, Hennering était… euh… dévoué à Howards. Ce dernier n’avait rien à gagner à sa mort, au contraire. Vous devez le savoir.

— Je ne suis pas une idiote, monsieur Barron. Mais la veille de sa mort, Ted avait eu une longue conversation au vidphone avec Benedict Howards. Je n’en ai entendu qu’une partie, mais le ton a monté et ils ont échangé des propos très violents. Ted disait à Howards qu’il ne voulait plus entendre parler de lui ni de la Fondation, et qu’il était un monstre ignoble. Jamais je n’avais vu Ted s’emporter de la sorte.

« Il disait qu’il allait se désolidariser publiquement du projet de loi d’Hibernation, et faire une déclaration à la presse où il révélerait quelque chose d’horrible qu’il avait découvert sur les activités de la Fondation. Howards a répondu : « Personne n’a jamais fait ça à Benedict Howards, Hennering. Mettez-vous en travers de ma route, et je vous écraserai comme une punaise. » Ce sont ses termes exacts. Puis Ted a répondu quelque chose de terriblement obscène, et il a raccroché. Lorsque je lui ai demandé de quoi il s’agissait, il s’est mis en colère, mais je crois qu’en réalité il avait très peur – je ne l’avais jamais vu terrifié à ce point. Il a refusé de me donner des explications, en disant qu’il serait trop dangereux pour moi de savoir ces choses-là – qu’il ne voulait pas mettre ma vie en danger. Le lendemain, il a pris l’avion pour rencontrer le Gouverneur, mais… il n’est jamais arrivé. Howards l’a fait tuer. Je sais qu’il l’a fait tuer !

Quel merdier ! pensa Jack Barron. Il y a gros à parier que cette canaille de Hennering trempait dans trente-six combines à la fois, allant de sénateur à sénateur pour le compte de Howards et avec le fric de Howards. Tous ceux qui savent lire les journaux entre les lignes sont au parfum. Très touchant de la part de cette vieille, d’essayer de faire passer son mari pour un petit saint une fois qu’il est mort. Héros posthume. Homme de paille démocrate au service du fric de la Fondation. Frappé soudain de repentir juste avant de passer l’arme à gauche. Ted Hennering. Noble martyr. Ouais, après que cent millions de téléspectateurs l’ont vu l’autre soir déconner comme… comme…

Jésus à bicyclette ! Et si c’était pour ça que Hennering était si bouleversé ? Merde, ça correspond ! Hennering est mort jeudi soir, ce qui signifie qu’il a pu vider son sac à Howards mercredi ou jeudi, comme elle dit, et qu’il savait déjà à quoi s’en tenir sur la Fondation quand il est passé à Bug Jack Barron. Cela expliquerait son attitude bizarre…

— Vous me croyez, maintenant, n’est-ce pas ? reprit Madge Hennering. À Washington, tout le monde dit que vous êtes l’ennemi de Howards. Vous utiliserez ces renseignements contre lui, n’est-ce pas ? Vous me ferez passer à votre émission et vous m’aiderez à faire savoir au pays comment mon mari est mort ? Pas seulement pour sauver sa réputation, monsieur Barron. J’ai été sa femme pendant vingt et un ans. Nul ne le connaissait mieux que moi. Je sais qu’il n’était pas irréprochable et qu’il travaillait pour Howards, mais ce n’était ni un mauvais homme ni un lâche. Il a découvert quelque chose sur la Fondation pour l’immortalité humaine qui l’a indigné, écœuré, quelque chose de si terrible qu’il craignait pour sa vie et la mienne rien que parce qu’il détenait ce secret.

« Je ne m’y connais pas beaucoup en politique, mais assassiner un sénateur des États-Unis est une chose que même un individu comme Benedict Howards ne se risquerait pas à faire si… s’il ne se sentait poussé dans ses derniers retranchements. Je ne sais pas ce qu’il y a derrière tout cela, mais pour que Howards ait recours à l’assassinat politique, il faut que des choses terriblement importantes soient en jeu. Un fou avec un fusil, c’est une chose, mais cela… Oh, Ted ! Ted ! (Et elle se mit à trembler violemment, à sangloter convulsivement, convaincant au moins Barron qu’elle ne jouait pas la comédie.)

Mais un assassinat politique, se dit-il, c’est complètement délirant. D’accord, Hennering a peut-être mis la main sur quelque chose qui l’a convaincu de rompre les ponts avec la Fondation. (Encore que je me demande ce qui pourrait bien dégoûter un vendu comme Hennering, au point de le faire renoncer à son investiture présidentielle.) Admettons qu’il ait eu des mots avec Howards, et que Howards l’ait menacé (combien de fois ne m’a-t-il pas fait le coup de la punaise qu’on écrase ?). Mais faire sauter un avion rien que pour avoir sa peau… pure coïncidence, c’est tout. Il n’y a pas de quoi en tirer une conclusion si rapide.

Donner remplaça Madge Hennering sur l’écran du vidphone.

— Eh bien, Jack, que comptes-tu faire ? Est-ce que je lui dis de t’appeler mercredi prochain ? Cette histoire inquiétante vaut d’être…

— Inquiétante, on peut le dire, fit Barron. Ce qui m’inquiète le plus, c’est la pensée du procès que Howards pourrait nous coller sur le dos si cette femme accusait publiquement Howards d’avoir assassiné son mari sans le moindre commencement de preuve. Vous vous prétendez avocat ? Vous ne savez pas reconnaître un cas de diffamation quand il vous crève les yeux ? Non seulement Howards engagerait des poursuites, mais la F.C.C. me retirerait ma licence en moins de temps qu’il n’en faut pour dire ouf. Laissez tomber. Donner, je suis peut-être fou mais je n’ai pas encore perdu les pédales.

— Mais, Jack…

— Et cessez de m’appeler Jack ! hurla Barron. En fait, ne m’appelez pas tout court ! (Et il raccrocha tandis que Sara finissait par ouvrir des yeux qui papillotaient.)

— Euh… qu’est-ce qu’il y a… ? grogna-t-elle.

— Rendors-toi, ma chatte. C’étaient deux plaisantins. Des cinglés, rien de plus.

Oui, se dit-il. Des abrutis, c’est tout. Bennie a beau travailler un peu du chapeau, il n’irait pas jusqu’à tuer des gens. Il aurait trop à perdre, sa précieuse vie immortelle sur la chaise électrique…

Pourtant, lorsqu’il se laissa aller en arrière contre la boiserie du lit circulaire, il ressentit comme un picotement dans le dos.

12

Merde ce soir on ne peut pas dire que ce soit la grande forme, pensa Barron tandis qu’on commençait à passer le dernier commercial. Bon, l’acide est peut-être légal à Strip City sous la juridiction locale C.J.S., et illégal au regard de la loi de l’État de Californie gouverné par Greg Morris ; donc Morris fait demander par son Attorney général d’avoir accès aux archives du Bureau de contrôle des stupéfiants de Strip City, afin de faire passer Woody Kaplan ou bien comme un criminel ou bien comme un mouchard, et le maire de Hip-City fait « niet ». Tu parles d’un merdier. J’aurais dû suggérer que les flics de l’État fassent irruption dans les bureaux de Strip City pour s’emparer des dossiers, ainsi on aurait assisté à une belle empoignade, les flics hippies arrêtant la police de l’État pour effraction en vertu de la loi locale, et les seconds cueillant les premiers pour entrave à l’action de la police de l’État. Dans tout le comté de Los Angeles, on aurait vu les flics se tomber dessus au coin des rues, ça aurait fait une belle rigolade et au moins les quarante-cinq minutes qui viennent de passer auraient servi à quelque chose.